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2 décembre 2024 1 02 /12 /décembre /2024 17:04

 

 

Cette fois, la messe semble dite : le gouvernement de Michel Barnier devrait, sauf événement exceptionnel, être censuré avant la fin de la semaine ! C'est la fin d'un feuilleton qui, en fait, a commencé dès la nomination du Premier ministre, contraint de composer une équipe gouvernementale avec la droite et les macronistes, mais sans porter ombrage au RN. Situation intenable sur la durée, tant les ambitions politiques des uns et des autres se portaient en réalité sur 2027. Mais, surtout, il est très vite apparu que les projets politiques des groupes parlementaires étaient incompatibles entre eux, rendant le vote du budget quasiment impossible.

 

Qu'est-ce qu'une motion de censure ?

 

Plutôt qu'un long discours, voici une infographie diffusée par le site https://www.vie-publique.fr :

 

 

[ Source : https://www.vie-publique.fr/infographie/291368-infographie-quest-ce-quune-motion-de-censure ]

 

La censure, un événement rare !

 

Si le dépôt d'une motion de censure est assez fréquent sous la Ve République, son adoption à la majorité demeure l'exception. En réalité, le seul gouvernement renversé de la sorte fut celui de George Pompidou le 5 octobre 1962, à la faveur d'une motion déposée par une coalition de socialistes, chrétiens-démocrates, radicaux et indépendants. Le 9 octobre, le général de Gaulle répondra par une dissolution de l’Assemblée nationale.

Ainsi, la chute probable du gouvernement Barnier sera historique à plus  d'un titre. Tout d'abord, parce qu'après toutes les motions déposées sous la Ve République et non adoptées, les gouvernements successifs ne redoutaient plus vraiment cette arme qui, d'ailleurs, était devenue un moyen de gouverner sans majorité à l’Assemblée nationale.

Infographie: Quels Premiers ministres ont le plus utilisé le 49.3 ? | Statista Vous trouverez plus d'infographie sur Statista

Mais, elle sera aussi historique, car elle prolonge (parachève ?) la désastreuse séquence entamée par la dissolution ratée du moins de juin dernier. Après sa défaite aux élections européennes et la victoire du RN, Emmanuel Macron a en effet pris une décision dont l'histoire devra dire si elle relève d'un calcul politique fou ou d'un fou en calcul politique...

 

Conséquences politiques de la censure

 

Toujours est-il qu'après le temps à peine croyable passé à chercher un Premier ministre qui ne serait pas immédiatement censuré, et le peu de temps qui lui a finalement été accordé par les oppositions, l'État français entre dans une période d'instabilité politique inconnue jusque lors. Il n'est, en effet, pas permis à Emmanuel Macron de dissoudre à nouveau l'Assemblée avant juillet 2025, alors que l'incompatibilité entre le NFP, le RN et accessoirement les macronistes en matière de projet politique est indéniable.

 

Chacun suit sa propre rationalité politique, mais qui ne débouche en fin de compte sur aucune forme de cohérence politique globale à l'Assemblée nationale. Point de main invisible en politique  - non plus qu'en économie - qui harmonise les intérêts individuels pour donner un ordre collectif. Pis, les électeurs de ces deux grands ensembles que sont le NFP et le RN ont l'impression que leur vote n'a pas été entendu, malgré une mobilisation massive, puisque non seulement la présidence de l'Assemblée nationale est retournée à une macroniste, mais en outre ce sont les formations politiques vues comme perdantes qui ont formé un gouvernement. Et comme à eux deux, NFP et RN forment la majorité des députés, rien ne pourra se faire sans leur approbation.

 

Plus précisément, il est apparu très clairement, dès le mois de septembre, qu'en raison de la volonté du NFP de censurer a priori tout Premier ministre non issu de ses rangs (cf. le tir au pigeon des candidats du NFP avant l'avènement de Lucie Castets, le NFP considérant qu'il avait gagné les élections au vu du nombre de députés), le RN devenait de facto un faiseur de rois. Les nombreux compromis faits par Michel Barnier en réponse aux exigences du RN - extrêmement critiqués par le NFP et les macronistes - démontrent jusqu'à l'excès cet état de fait. Désormais, nous en revenons donc à un gouvernement démissionnaire, qui peut rester en place assez longtemps dans la mesure où la constitution ne semble pas imposer de délai au président de la République.

 

Néanmoins, personne n'est dupe qu'il n'est pas envisageable de rester trop longtemps sans gouvernement, puisque des ministres démissionnaires n'ont légalement le droit que d’expédier les affaires courantes. Adieu ainsi les grands projets (lesquels au fait ?) en attendant de trouver un Premier ministre compatible avec toutes les formations et tendances politiques. Comment trouver une telle perle rare ? À défaut, c'est bien un retour à un régime parlementaire auquel nous allons assister les 7 prochains mois, comme au pire moment de l'instabilité sous la IVe République !

 

À bien y regarder, cette séquence politique est un mauvais vaudeville, proche du théâtre de l'absurde, à mi-chemin entre l'Arlésienne et "En attendant Godot"... J'en veux pour preuve qu'après avoir placé le RN en tête au premier tour des législatives, les électeurs ont pratiqué un barrage au second tour, qui a permis de sauver le camp macroniste du naufrage, empêcher le RN d'accéder au pouvoir et vu l'Assemblée nationale être partitionnée en trois blocs dont les projets politiques sont idéologiquement incompatibles. La clarification tant attendue n'est donc pas advenue, mais il devenait alors évident que la formation d'un gouvernement virerait au casse-tête inextricable, d'autant que derrière les beaux appels à une nouvelle république parlementaire se cachaient en fait des ambitions politiques à peine voilées pour 2027.

 

La démission d'Emmanuel Macron ?

 

Qu'on le veuille ou non, sous la Ve République, le chef est le président de la République et c'est pourquoi tous ne rêvent que de devenir calife à la place du calife. Ce d'autant plus que celui-ci ne pourra pas se représenter en 2027 et qu'il sort très affaibli politiquement depuis la crise des gilets jaunes et maintenant les conséquences de la dissolution de juin dernier. C'est pourquoi, si je compte bien, il y a déjà suffisamment de candidats plus ou moins déclarés en 2027 pour former une équipe de rugby, mais aucun bon pilier à première vue !

 

Certains espèrent même une démission d'Emmanuel Macron au plus vite, tant il est vrai que derrière l'échec du gouvernement Barnier, il faut voir l'échec cuisant d'un président de la République (et de sa politique, notamment économique et diplomatique) auquel les Français n'accordent plus que minoritairement leur confiance. C'est du reste ce qui ressort d'un sondage "Opinion en direct" piloté par l'institut Elabe pour BFMTV du 27 novembre : on y apprenait qu'en cas de censure du gouvernement, 63% des sondés seraient favorables à la démission du président de la République !

 

Le résultat des législatives peut donc aussi se lire comme un rejet avant tout de la politique macroniste et de la personnalité d'Emmanuel Macron. Dans ce cas, aucun Premier ministre ne serait plus en mesure d'emporter une confiance suffisante pour gouverner, acculant fatalement le président de la République à la démission comme l'explique notamment Charles de Courson :

Certes, la démission du président de la République n'ajouterait que du désordre à court terme, mais elle est clairement perçue par de plus en plus de dirigeants politiques comme un retour indispensable au suffrage universel, afin de donner des perspectives aux Français.. et à la France ! Une chose est certaine, c'est que si Emmanuel Macron échoue lors de la prochaine dissolution du mois de juillet 2025, après un an d'instabilité politique, alors les appels à la démission pour forts qu'ils sont déjà deviendraient oppressants...

 

L'article 16 de la Constitution

 

À moins qu'il ne choisisse la voie de l'article 16 de la Constitution, qui dispose :

 

"Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.

Il en informe la nation par un message.

Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.

Le Parlement se réunit de plein droit.

L'Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.

Après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée."

 

Soyons clairs : l'article 16 n'est pas une simple procédure, mais bien un acte politique grave ! Son utilisation doit être une réponse temporaire à des situations de crise précisément identifiées. Impossible d'y avoir recours pendant les deux dernières années de son mandat sous prétexte que la France est attaquée par les marchés financiers comme on peut l'entendre dans certains médias. Un double contrôle de ces pouvoirs exceptionnels est prévu comme l'explique fort bien le Conseil constitutionnel :

 

"À un contrôle juridictionnel s'ajoute un contrôle politique. D'une part, la décision présidentielle de recourir à l'article 16 de la Constitution constitue un acte de gouvernement, c'est-à-dire un acte que le juge administratif ne contrôle pas (CE, 2 mars 1962, Rubin de Servens). Les décisions présidentielles prises en application de l'article 16 de la Constitution peuvent être contrôlées par le juge administratif si elles sont intervenues dans le domaine du règlement figurant à l'article 37 de la Constitution (pour une illustration d'un tel contrôle, voir, par exemple, CE, 23 octobre 1964, d'Oriano). D'autre part, en vertu de l'article 68 de la Constitution, le chef de l'État pourrait être destitué par la Haute Cour en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat."

 

Bref, un usage prolongé de l'article 16 pourrait conduire à une procédure de destitution du président de la République.

 

Conséquences économiques de la censure

 

Que n'attend-on entendu sur les conséquences économiques de la censure du gouvernement ! "Tempête", "crise", "raz-de-marée", "attaque spéculative", les expressions et superlatifs ont fusé comme lors d'un 14 juillet. Le pompon est remporté sans hésitation par Élisabeth Borne sur LCI : "Si le budget sur la Sécurité sociale était censuré, ça veut dire qu’au 1ᵉʳ janvier, votre carte vitale ne marche plus. Ça veut dire que les retraites ne sont plus versées. Ça veut dire au bout d’un moment que les fonctionnaires ne sont plus payés". Rien que ça ! 

 

Outre que l'utilisation abusive du mot "shutdown", qui fait spécifiquement référence au fonctionnement particulier des finances publiques aux États-Unis, n'éclaire en rien la situation française, elle laisse à penser que le monde va s'arrêter de tourner en cas de censure du gouvernement sur le budget. Oui, c'est inédit, mais le contexte politique dans lequel cela arrive l'est tout autant. Quand Gabriel Attal et Laurent Wauquiez affirment dans un communiqué commun que « voter une motion de censure reviendrait à plonger le pays dans l’inconnu », ils ont raison. Mais inconnu n'est pas synonyme de chaos, car l'instabilité politique a commencé dès le soir du second tour des élections législatives !

 

Pour preuve, le gouvernement démissionnaire de Michel Barnier peut tout à fait déposer une loi spéciale, selon l'article 45 de la Constitution, pour reconduire en 2025 le budget 2024, en attendant le vote d'un budget dans les prochains mois. Nul doute que cette solution trouverait grâce aux yeux des oppositions, d'autant qu'il reste possible de modifier ensuite ces budgets en votant des projets de loi de finances rectificatifs (PLFR). Il y aurait alors continuité des dépenses et recettes de la puissance publique, certes quelque peu dégradée ici ou là, notamment dans les seuils d'entrée dans les tranches de l'impôt sur le revenu ou les projets de dépense des ministères. Mais rien d'insurmontable à court terme.

 

Pour la Sécurité sociale, les cotisations seront toujours dues (ne rêvez pas !) et le fonctionnement de la Sécu se poursuivra. Pour les retraites et traitements des fonctionnaires, qui ressortissent au budget général appelé projet de loi de finances (PLF), l'article 47 de la Constitution permet en théorie au gouvernement peut faire voter le budget par ordonnances si le Parlement n'est pas parvenu à un vote sous 70 jours :

 

"Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique.

Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de quarante jours après le dépôt d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l'article 45.

Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance.

Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés.

Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n'est pas en session."

 

Là où il y aura du travail pour les constitutionnalistes, c'est que l'Assemblée nationale s'est prononcée contre le PLFSS en votant une motion de censure, ce qui interroge sur la possibilité de recourir aux ordonnances. Mais, nul doute que le Conseil constitutionnel saura prendre la mesure des événements politiques et apporter son concours au gouvernement...

 

Quant aux conséquences financières de cette censure, certains ont voulu voir dans l'augmentation de l'écart entre les taux des obligations publiques allemandes et françaises un signe d'une attaque des marchés financiers. C'est peu probable à ce stade, car la dette publique française reste très recherchée, d'autant qu'elle vient de passer l'examen des agences de notation. Il y a de la fébrilité sur les marchés, c'est normal dans ce contexte, mais pas d’alarmisme pour l'heure. De même, le krach boursier tant guetté a vraisemblablement plus de chance d'arriver pour des raisons structurelles que pour des raisons politiques. Il me semble que jouer sur les peurs économiques du changement et du déclassement de la France reste un moyen efficace pour certains de conforter leur position sociale en ralliant à moindres frais les plus modestes à leur cause. Toutefois, il est vrai que le saut dans le vide (avec élastique pour le moment) reste un sport dangereux.

 

En conclusion (partielle et provisoire), à l'heure où cet article est rédigé, la France subit le énième avatar d'une crise politique déclenchée au soir du second tour des élections législatives. La censure du gouvernement Barnier était donc attendue, certes peut-être pas à une échéance aussi brève. Cela va nous plonger en terra incognita, un nouveau contexte politique et budgétaire, qui assurément va compliquer le fonctionnement de l'État et de tous les agents économiques, mais qui n'a aucune raison de glisser vers le chaos fantasmé ou espéré par certains, pour peu qu'une solution rapide soit apportée.

 

P.S. L'image de cet article provient d'une capture d'écran d'une vidéo de BFM.

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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 11:53

 

 

Cet ouvrage collectif est destiné aux étudiants préparant le concours commun d'entrée en 1re année des IEP, qui se déroulera le 26 avril 2025. Composé de 440 pages et de d'une centaine de fiches (dissertations corrigées, fiches de culture général, fiches de lecture), il permet une préparation efficace à l'épreuve de questions contemporaines du concours (durée : 3h, coefficient 3, dissertation sur un sujet à choisir parmi deux), dont les thèmes pour 2025 sont solidarités et le corps.

 

Rappelons que cette épreuve évalue la connaissance, la capacité à analyser et à argumenter sur les grands thèmes et débats inscrits dans l'actualité des années récentes. Le candidat doit dès lors mobiliser une palette de savoirs variés : économie, histoire, science politique, géographie, philosophie, actualité des sciences et techniques..., pour traiter des grandes problématiques actuelles.

 

Dans cette perspective, nous avons été nombreux (enseignants en classes préparatoires, responsables de formation IEP et universitaires spécialistes du thème) à nous réunir afin de concevoir des dissertations et fiches de lecture/synthèse pour une préparation optimale des candidats à l'épreuve. Pour ma part, j'ai apporté la contribution théorique suivante en lien avec mes recherches universitaires : L'économie sociale et solidaire : un remède à la perte de solidarité ?.

 

Ce livre peut être utilement complété par les autres ouvrages de la même collection et par mon petit manuel d'économie Les grands mécanismes de l'économie en clair - 3e édition, toujours aux éditions Ellipses.

 

Cet ouvrage de préparation au concours IEP peut être acheté dans toutes les bonnes librairies et en ligne :

 

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2 novembre 2024 6 02 /11 /novembre /2024 11:31

 

 

À quelques heures de l'élection présidentielle américaine, j'ai souhaité faire une synthèse des programmes économiques des deux candidats, tout en remarquant que la problématique de la dette publique aura été de manière surprenante la grande absente du débat électoral. Une chose est certaine, tout oppose Donald Trump et Kamala Harris, que ce soit la personnalité, la méthode ou la vision du monde, au point qu'il devient légitime de s'interroger sur la possibilité (impossibilité ?) de gouverner une Amérique autant divisée.

 

Synthèse des programmes économiques

 

Même si les questions économiques n'auront au fond été qu'effleurées durant cette campagne électorale, elles demeurent un marqueur traditionnel de différenciation entre Démocrates et Républicains. Ainsi, Trump a-t-il martelé sa volonté de baisser les impôts, tandis que Harris envisage de nouvelles aides essentiellement en direction des classes moyennes, même si des deux côtés de l'Atlantique il devient bien difficile de définir le périmètre précis de cet ensemble de ménages ni trop riches ni trop pauvres.

Ainsi, le lecteur l'aura compris : quel que soit le nom du futur président, le déficit public se creusera profondément.

 

[ Source : https://www.lafinancepourtous.com/2024/10/30/harris-vs-trump-deux-programmes-tres-expansionnistes-pour-les-elections-americaines ]

 

Le déficit public aux États-Unis

 

Dire que les États-Unis dépensent plus qu'ils n'ont de revenus est certes un truisme, mais qui se laisse très bien chiffrer :

 

 

[ Source : https://fiscaldata.treasury.gov/americas-finance-guide/national-deficit ]

 

Pourtant, les performances de l'économie américaine ont été bien meilleures qu'anticipées (bien meilleures qu'au sein de l'UE, c'est une évidence), en raison justement de la forte impulsion budgétaire du gouvernement Biden qui, d'une certaine façon, aura prolongé la politique économique expansionniste menée par Trump. En d'autres termes, ce sont les hausses de dépenses publiques et les baisses d'impôts qui ont soutenu la croissance des États-Unis, même lorsque l'économie était repartie à la hausse !

 

Inévitablement, cette mise sous perfusion de la croissance a creusé le déficit public d'année en année, comme s'il n'existait plus de contrainte budgétaire...

 

 

[ Source : https://fiscaldata.treasury.gov/americas-finance-guide/national-deficit ]

 

La dette publique aux États-Unis

 

Et lorsque les déficits publics primaires s'accumulent, la dette publique grossit jusqu'à atteindre le chiffre astronomique de 35 800 milliards de dollars !

 

 

[ Source : https://fiscaldata.treasury.gov/datasets/debt-to-the-penny/debt-to-the-penny ]

 

Si l'on rapporte le stock de dette publique au PIB, l'on obtient le taux d'endettement public, indicateur macroéconomique très usité pour les comparaisons internationales et temporelles :

 

 

[ Source : https://fiscaldata.treasury.gov/americas-finance-guide/national-debt ]

 

La tendance actuelle est donc bien à l'augmentation du ratio d'endettement public pour financer le déficit public et le déficit extérieur, que l'on appelle les déficits jumeaux. Et au vu des montants en jeu, aucun pays n'aurait pu continuer ainsi à s'endetter pour financer ces déficits s'il ne disposait d'un outil transcendant : le dollar !

 

Le privilège exorbitant du dollar

 

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'ancienne patronne de la Banque centrale des États-Unis (la Fed), Janet Yellen, aujourd'hui secrétaire au Trésor dans l'administration Biden, n'a pas trouvé grand-chose à redire de la situation actuelle des finances publiques, considérant la dette publique sous contrôle. Il est vrai que l'économie américaine est globalement assez dynamique, mais, et c'est là un élément fondamental de l'équation, la dette publique des États-Unis est essentiellement libellée en dollars !

 

Ce "pouvoir exorbitant du dollar", comme l'appelait en 1964 le ministre de l'Économie et des Finances, Valéry Giscard d'Estaing, permet aux États-Unis de s'endetter à des niveaux stratosphériques sans risquer (jusque-là) de crise. Barry Eichengreen, professeur d'économie et de science politique à l'université Berkeley, a repris cette question dans un livre passionnant intitulé Un privilège exorbitant. Il y explique que le dollar permet in fine aux ménages américains de vivre structurellement au-dessus de leurs moyens, parce que les investisseurs du monde entier sont friands de titres de dettes libellés en dollars ! En particulier, les États-Unis fournissent au reste du Monde une dette sans risque, sous forme de Treasury Bond (bons du Trésor).

 

D'aucuns affirment que le dollar devrait très prochainement perdre son statut de monnaie de réserve internationale conformément au célèbre dilemme de Triffin : les États-Unis abusent de ce rôle du dollar pour s'endetter excessivement avec très peu d'épargne, ce qui dégrade à terme la qualité de la monnaie et conduit à la perte de son hégémonie. Mais, comme cette prédiction sans conséquence est la même depuis un demi-siècle, il me semble que Kamala Harris et Donald Trump ont décidé tout simplement de l'ignorer et de faire du budget une simple variable d'ajustement à leur programme économique... Inquiétant !

 

P.S. L'image de ce billet provient du site https://www.usdebtclock.org.

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14 octobre 2024 1 14 /10 /octobre /2024 11:39

 

 

À la suite de mon dernier article sur l'état des finances publiques de la France, j'ai plusieurs fois eu l'occasion de m'exprimer dans les médias et en conférences sur les baisses annoncées de dépenses publiques et les hausses de prélèvements obligatoires. À l'évidence, l'austérité est à l'ordre du jour et la problématique de la remise d'équerre des comptes publics mérite mieux que les postures politiques à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi, en complément de mes articles de blog, je vous propose aujourd'hui quelques vidéos, avec des points de vue parfois très divergents, qui vous permettront je l'espère de mieux saisir les tenants et aboutissants de ce débat.

 

"Hausses des impôts : nécessité fait-elle loi ?"

 

"Budget : peut-on échapper à l'austérité ?"

"Budget 2025 : le retour de l'austérité ?"

"La dette explosive de la France : les solutions radicales des experts du CAE"

Et comme le rappelle avec brio Olivier Passet dans la vidéo ci-dessous, "à force d’avoir crié au loup trop souvent, d’avoir surjoué depuis deux décennies la thématique de la faillite de l’État, le discours de l’insoutenabilité de la dette publique n’est plus audible". Et pourtant, aujourd'hui la situation est grave !

P.S. L'image de ce billet provient de cet article du site du CADTM.

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7 octobre 2024 1 07 /10 /octobre /2024 15:29

 

 

Après le dérapage du déficit public de la France à 5,5 % du PIB en 2023 et un risque de dérive encore plus grand en 2025, Michel Barnier vient d'annoncer que l'austérité était à l'ordre du jour. Seule certitude pour l'heure : le gouvernement compte réaliser dans le prochain budget 40 milliards de coupes dans les dépenses publiques et augmenter de 20 milliards les prélèvements.

 

C'est dans ce contexte que j'ai été invité par le cercle Edmond About de la MJC centre social de Dieuze à donner une conférence, samedi 12 octobre à 17h à la MJC. Ce sera l'occasion de s'interroger sur l’évolution des dépenses publiques, des prélèvements obligatoires et du déficit public en France, afin d’en saisir la réalité socioéconomique propre par-delà les seules comparaisons avec nos voisins européens. Puis, nous analyserons les options qui permettraient de remettre les finances publiques d’équerre sans provoquer une grave crise économique, dans un contexte de crise sociale et politique larvée.


Cette conférence est ouverte à tous et ne nécessite aucune connaissance particulière.

 

Entrée gratuite !

 

 

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9 septembre 2024 1 09 /09 /septembre /2024 14:26

 

 

Entre deux articles, l'un sur la croissance française en berne et l'autre sur le déficit commercial de la France, j'ai bien entendu suivi le lassant et pitoyable feuilleton "à la recherche d'un Premier ministre non censurable", qui a mis en évidence les limites du fonctionnement institutionnel de la Ve République. D'un côté, il y a un Président de la République bloqué à la suite de son choix hasardeux de dissoudre l'Assemblée nationale au pire moment et qui se refuse à changer de politique malgré un désaveu patent dans les urnes. De l'autre, il y a des partis politiques incapables de s'entendre pour gouverner, les uns et les autres campant sur leurs positions, certaines étant à l'évidence irréconciliables tant elles sont aux antipodes.

 

Pendant ce temps, probablement trop absorbés par la parenthèse sportive et les dieux du stade (ludi circensens), les Français ne semblaient pas gênés aux entournures par la vacance historique du pouvoir, comme si abandonné le sort de l'État français pendant près de 2 mois entre les mains de ministres démissionnaires était au fond une situation banale. Certains sont même allés jusqu'à se réjouir de cette situation qui, selon eux, feraient advenir une VIe République plus parlementaire, n'hésitant pas à faire des comparaisons douteuses avec d'autres pays comme la Belgique ou l'Espagne, quand bien même le construit institutionnel n'est en rien comparable. Et pour ajouter à la confusion, certains ministres démissionnaires étaient parfois parlementaires, sans que l’Assemblée nationale ait réellement son mot à dire sur leurs choix politiques, puisqu'il n'aura pas semblé utile au Président de la République de convoquer une session extraordinaire.

 

Car pour extraordinaire, la situation l'a été et va encore l'être beaucoup plus, maintenant qu'il est question de faire des choix budgétaires qui auront un impact important sur la vie de tous les Français. Et la nomination de Michel Barnier a de quoi surprendre : le nouveau monde voulu par Emmanuel Macron semble s'être fait rattraper par l'ancien... Toujours est-il que la vraie question est à présent de savoir où en est l'État français de ses finances publiques. J'aborde en général les questions de finances publiques au moment du budget, mais le contexte actuel m'invite à m'y intéresser avec un peu d'avance, ce qui m'oblige aussi à remercier mon ami Gérard (lecteur de ce blog) pour sa suggestion d'article.

 

Le déficit public

 

Trop souvent, les commentateurs confondent le déficit budgétaire (= de l'État) avec le déficit public, qui lui résulte de la somme des soldes de toutes les administrations publiques (État, collectivités, Sécurité sociale et administrations publiques diverses).

Infographie: Comment évolue le déficit public ? | Statista Vous trouverez plus d'infographie sur Statista

Hélas, alors que les recettes publiques sont très dépendantes de l'activité (la croissance), cette dernière est atone, malgré une probable modeste embellie au troisième trimestre en raison des Jeux olympiques. Bref, les recettes n'augmenteront probablement pas suffisamment pour couvrir la hausse des dépenses publiques. Passons sur la guerre de tranchées entre l'État et les collectivités, le premier accusant par la voix très autorisée de Bruno Le Maire les secondes de dégrader les comptes de 2024 d'environ 16 milliards d'euros. C'est l'hôpital qui se moque de la charité, leur répondent en substance les collectivités, elles qui sont légalement contraintes de voter un budget à l’équilibre, l’emprunt ne pouvant servir qu'à financer des dépenses d’investissement.

 

Les nouvelles contraintes

 

Le contexte a cependant évolué très négativement pour l'État français, puisque la France a été officiellement placée sous une procédure de déficit public excessif par la Commission européenne, contraignant le nouveau gouvernement à mettre en œuvre un plan pluriannuel de réduction du déficit et de l’endettement publics. Et il est évident que la Commission européenne ne se contentera plus d'un projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques aussi optimiste que celui présenté l'an passé pour la période 2023-2027, qui expliquait comment la France rentrerait quasi certainement dans les clous financiers d'ici à 2027.

 

 

[ Source : HCFP ]

 

De plus, l'État français est placé sur la lamelle de microscope des agences de notation, en particulier depuis que Standard & Poor’s a sanctionné la dégradation non anticipée des finances publiques françaises et la politique budgétaire trop optimiste du gouvernement.

 

100 milliards à trouver d'ici à 2028

 

Commença alors la course à l'échalote pour faire au plus vite des coupes dans les dépenses publiques ("économies", sic) : 10 milliards annoncées dans un premier temps et concrétisés avant la dissolution, puis 20 et enfin 30 encore dans les cartons, au nom de l'impératif de faire "économies dans les dépenses", "dépenser moins lorsque l'on gagne moins", "donner un gage de sérieux", etc. Mais, avec la dissolution de l'Assemblée nationale, une partie de ces coupes ont été suspendues. Une note du Trésor remise avec un mois et demi de retard aux parlementaires évoque une dérive des comptes, si rien n'était entrepris, vers 6,5 % du PIB de déficit à l'horizon 2027. Il est depuis question d'une négociation avec Bruxelles sur le rythme de réduction exigé du déficit public, mais qui nécessiterait tout de même de trouver 30 milliards d’euros en 2025 et environ 100 milliards d’euros sur les 4 prochaines années !

 

Le nouveau gouvernement ne disposera, cependant, que de quelques jours pour tenir les délais constitutionnels de dépôt d'un budget au Parlement pour un examen dès le 1er octobre pendant 70 jours (+5 jours pour le Conseil constitutionnel). À moins de contorsionner la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) comme l'envisagent déjà certains conseillers de Matignon, afin de décaler le dépôt de 15 jours. Heureusement, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ont été prévoyants et ont gentiment laissé un budget provisoire à la nouvelle équipe et les lettres de plafonds de dépenses ont déjà été envoyées dans les ministères.

 

Mais sauf à croire qu'un budget est politiquement et socialement neutre, il paraît peu plausible que le nouveau ministre des Finances se contente d'avaliser un tel document qui, pour des raisons électorales, consiste dans ses grandes lignes à reconduire le budget 2024 en valeur et à approuver les coupes déjà décidées. Il est donc fort probable que le nouveau gouvernement de Michel Barnier fera des choix, au risque d'être censuré par les députés, puisque les uns revendiquent plus d'État social - quitte à augmenter les dépenses publiques -, tandis que les autres exigent une stabilisation, voire une baisse, des prélèvements obligatoires. À ce stade, il me semble peu probable d'échapper à plus ou moins court/moyen terme à une hausse des prélèvements obligatoires, malgré toutes les promesses d'Emmanuel Macron. Zone de turbulences en vue !

 

Du bon usage des dépenses publiques

 

Plutôt que de focaliser l'attention sur le seul montant des dépenses publiques, il importe surtout de s'interroger sur leur nature, leur efficacité, leur nécessité, etc. Mais c'est là un travail bien plus fastidieux et assurément moins vendeur en matière politique, d'autant qu'il faudra admettre que les administrations publiques ne s’enrichissent pas elles-mêmes en dépensant, au contraire elles contribuent à augmenter la capacité de production de richesses futures de l’ensemble de l’économie par des investissements porteurs, des subventions bienvenues ou des dotations suffisantes.

 

Autrement dit, les dépenses publiques de l'État n'ont rien à voir avec les dépenses d'un ménage comme certains s'échinent à le répéter ; elles sont avant tout le fruit d'un compromis social entre des citoyens qui veulent œuvrer à l'intérêt commun. L'on ne peut donc échapper à une réflexion sur l'articulation entre le secteur privé et le secteur public, afin de fixer les missions que les citoyens français veulent confier à la puissance publique. Répétons-le : s'il est indispensable de s’interroger sur la nature et l'efficacité des dépenses publiques, il faut néanmoins se garder de vouloir les couper à tout prix, de manière indifférenciée, sous peine de plonger l'économie dans un tourbillon récessif.

 

Avec un président de la République bloqué politiquement pendant au moins 10 mois encore, jusqu'à la prochaine dissolution en juillet 2025, si ce n'est jusqu'à la fin de son mandat, il eût été bien avisé de faire montre de courage et de convoquer un véritable débat républicain avec les forces vives de la nation pour s'entendre sur le périmètre de l'action publique (dépenses publiques) et les moyens à lui allouer (prélèvements obligatoires dont impôts). Durée d'un tel débat, si l'on en juge par les expériences suédoises et canadiennes ? Environ 2 ans. Et comme en Gaule, les discussions sont plus animées qu'ailleurs, les trois dernières années du mandat présidentiel me semblent être une durée adéquate, d'autant qu'Emmanuel Macron ne pourra constitutionnellement pas se représenter.

 

Mais il est vrai que, au-delà de ce projet au long cours, il y a des obligations imminentes. Faut-il ainsi rappeler que la Commission européenne exige un plan sur les finances publiques françaises à moyen terme pour le 20 septembre (une demande de prolongation a déjà été faite...) et que les agences de notation vont examiner la note souveraine de l'État en octobre ? Je reste cependant convaincu qu'un véritable débat républicain avec les forces vives de la nation - pas un grand déballage national comme lors du mouvement des gilets jaunes - serait à même d'apaiser tout à la fois nos partenaires européens, les marchés financiers et les institutions européennes, car un tel débat avec résultat obligatoire et contraignant est un gage de sérieux pour les budgets à venir.

 

Quoi qu'il en soit, cette fois il n'y a plus aucun doute, les Jeux olympiques sont terminés et les Français pourront suivre avec plaisir (ou dépit...) une autre forme de sport, les joutes parlementaires !

 

P.S. L'image de ce billet provient de cet article de la Revue Banque

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28 août 2024 3 28 /08 /août /2024 13:09

 

 

L'été 2024 aura assurément été à nul autre pareil, entre d'un côté le coup politique manqué d'Emmanuel Macron, qui en fait de clarification a conduit à un blocage politique inédit de l'État, et de l'autre une parenthèse enchantée de ludi circensens (dont j'avais parlé ici) à 8,9 milliards d'euros. Et pendant ce temps, l'économie française est morose et jamais les oppositions n'ont été aussi vives alors même qu'il s'agit de bâtir en urgence un budget crédible dans un contexte de dégradation de la note souveraine de la France par l'agence de notation Standard & Poor's et de placement du pays sous procédure de déficit excessif par les instances européennes. Il ne reste plus qu'à évoquer dans cet article les échanges extérieurs pour avoir une vision d'ensemble de la situation économique du pays.

 

Balance commerciale et taux de couverture

 

Commençons par quelques rappels terminologiques et méthodologiques. La balance commerciale est le compte qui retrace la valeur des biens exportés et la valeur des biens importés sur la base des statistiques douanières. Les exportations ne prennent en compte que les coûts d’acheminement jusqu’à la frontière française, c'est pourquoi l'on parle d'une valorisation FAB (franco à bord). Les importations, quant à elles, sont évaluées en tenant compte des coûts d’acheminement entre les deux frontières, ce que l'on qualifie de valorisation CAF (coût assurance fret).

 

Afin de pouvoir analyser des flux homogènes, les services des douanes sont dès lors contraints de corriger les chiffres CAF pour obtenir la valeur des importations FAB :

 

 

[ Source : https://lekiosque.finances.gouv.fr/site_fr/etudes/methode/traitement.asp ]

 

Le solde de la balance commerciale est par définition la différence entre la valeur des exportations et celle des importations. Si celui-ci est positif, on parle d'excédent commercial, sinon il s'agit d'un déficit commercial. Il est à noter que contrairement aux États-Unis entre autres, la balance commerciale en France ne couvre donc que les biens, mais pas les services.

 

Une autre manière, équivalente, de présenter le commerce international de biens, consiste à calculer le taux de couverture du commerce extérieur :

 

 

* lorsque le taux de couverture est inférieur à 1, la balance commerciale est déficitaire ;

 

 * lorsque le taux de couverture est égal à 1, la balance commerciale est équilibrée ;

 

 * lorsque le taux de couverture est supérieur à 1, la balance commerciale est excédentaire.

 

Notons que la balance commerciale (et donc le taux de couverture), peut être relative à un produit ou à l'ensemble des échanges de produits.

 

Le déficit commercial de la France

 

Commençons par ce graphique qui présente l'évolution du solde commercial de la France depuis 2014, sachant que celui-ci est structurellement déficitaire depuis 2004 :

 

 

[ Source : Rapport 2024 sur le commerce extérieur ]

 

Alors que les exportations de biens ont continué à croître en 2023, certes beaucoup moins fortement, les importations ont baissé en valeur en raison principalement du recul des prix de l'énergie. L'un dans l'autre, la balance commerciale demeure largement déficitaire de 99,6 milliards d'euros, certes mieux que le triste record de 162,7 milliards en 2022 ! Le graphique ci-dessous montre d'ailleurs le poids de la facture énergétique :

 

 

[ Source : Rapport 2024 sur le commerce extérieur ]

 

Les chiffres clés du commerce extérieur de la France en 2023

 

Toujours selon le rapport 2024 sur le commerce extérieur, voilà les principaux éléments à retenir sur le commerce extérieur de la France (chiffres, principaux partenaires, secteurs concernés...) :

 

 

[ Source : Rapport 2024 sur le commerce extérieur ]

 

Le solde commercial de quelques autres pays de l'UE

 

Le graphique ci-dessous présente le solde de la balance commerciale pour plusieurs pays de l'UE. Il faut néanmoins rester prudent sur l'interprétation de ces chiffres, puisqu'ils ne tiennent pas définition pas compte des services et ne permettent certainement pas de conclure qu'en Allemagne tout va bien et qu'à l'inverse au Royaume-Uni tout va mal, comme je l'ai expliqué dans mon livre Les grands mécanismes de l'économie en clair (3e édition), aux éditions Ellipses.

 

 

[ Source : https://perspective.usherbrooke.ca ]

 

L'on notera que même la locomotive allemande est bien en peine depuis au moins le début de la guerre en Ukraine, entre demande intérieure en berne, production sous tension et exportations en recul. Pour l'ensemble des pays exportateurs, l'atonie de la demande internationale, en particulier chinoise, pèse lourdement sur les exportations. À cela se conjuguent les incertitudes géopolitiques et le moral dans les chaussettes des ménages dont le pouvoir d'achat a beaucoup souffert depuis deux ans.

 

Est-ce grave docteur ?

 

Ce qui compte vraiment, ce n'est pas tant le solde des seuls biens (balance commerciale), mais celui qui inclut les biens, services, revenus (salaires, dividendes, intérêts…) et certains transferts (dons, aides…). L'on obtient alors la balance courante, présentée sur le graphique ci-dessous :

 

 

[ Source : Rapport 2024 sur le commerce extérieur ]

 

Et l'image qu'elle donne du commerce extérieur est bien différente de celle qui résultait de la seule prise en compte des biens. En effet, même si le solde commercial est déficitaire, c'est tout le contraire pour les services, même s'il faut admettre un recul après le record de l'année dernière. Dans les détails, et pour le résumer simplement, le déficit dans les services de transport, notamment maritimes, est largement compensé par le tourisme et les services financiers.

 

Cette balance courante reflète, à mon sens, la réalité de l'économie française où la part de l'industrie est déclinante (désindustrialisation) et où les emplois se situent essentiellement dans le secteur des services.

 

 

[ Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2121532 ]

 

Ces chiffres nous obligent donc à nous interroger sur la dépendance de la France aux pays étrangers et sur les choix politiques réalisés au cours des trois dernières décennies. Ce d'autant que la crise liée à la covid-19 rappelle au demeurant qu'au-delà des chiffres, le commerce international soulève des questions de souveraineté et de sécurité trop longtemps occultées… En tout état de cause, l'illusion d'une économie de pure connaissance sans industrie est une chimère, qui a contribué à une désindustrialisation accélérée et une baisse des dépenses de R&D. De là découle notamment une baisse tendancielle des gains de productivité, de la croissance potentielle et de la place de la France dans le concert des nations exportatrices.

 

 

[ Source : Rapport 2024 sur le commerce extérieur ]

 

Le Figaro a d'ailleurs publié cet été une série d'articles passionnants, sobrement intitulés "les fantômes de l'économie française". L'on y apprend qu'au-delà de la célèbre phrase de Serge Tchuruk ("Alcatel doit devenir une entreprise sans usine"), prononcée en 2001 alors qu'il était grand patron d'Alcatel, c'est l'ensemble de l’intelligentsia politique et économique de l'époque qui adhérait à l'idéologie du marché libre (cela a-t-il changé ?). Les cerveaux réputés les mieux formés de France avait alors réussi le tour de force de laisser le patrimoine industrielle français se déliter sans broncher. Il s'ensuivra des démantèlements en cascade qui iront d'Alcatel à Pechiney, en passant par la fusion avortée entre Schneider et Legrand, sans oublier la privatisation des autoroutes...

 

Et comme le rappelait Vincent Vicard, directeur adjoint du CEPII, dans une entrevue accordée au Monde il y a un an (mais toujours d’actualité !), les politiques publiques de baisse d'impôts sur la production et de réindustrialisation ont largement échoué à inverser la tendance, car la délocalisation reste un outil très prisé des multinationales françaises... À trop lorgner du côté de la compétitivité prix, l'on finit par oublier les autres dimensions de la compétitivité comme la qualité. Vouloir à tout prix faire de toutes les PME françaises des sociétés exportatrices me semble dès lors vain et inatteignable, car toutes n'ont pas vocation à s'étendre à l’international, malgré de nouvelles et nombreuses aides publiques.

 

Or, faut-il rappeler que ce n'est pas en accompagnant la dégradation du tissu industriel d'une dégradation des conditions de travail, de retraite et de chômage, que l'on inversera cette tendance. Et dire qu'il aura fallu attendre Macron, chantre de la flexibilité rebaptisée flexisécurité, pour que la question de la souveraineté économique refasse surface, même si la gestion de la crise de la covid-19 a montré l'incapacité du gouvernement français à ajouter des actes aux paroles ! Et que dire de cette lubie pour les seules start-up, alors que l'essentiel de l'emploi est lié aux industries plus traditionnelles, qu'il faudrait accompagner dans leur transition écologique (entre autres).

 

Bref, année après année, les dirigeants politiques déplorent le déficit commercial sans en analyser les causes dont ils sont souvent en partie responsables et qu'ils chérissent. Terminer un billet économique en paraphrasant Bossuet, qui l'eût cru ?

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31 juillet 2024 3 31 /07 /juillet /2024 12:50

 

 

Après des élections législatives qui en fait de clarification ont plutôt conduit au blocage politique de l'État, voilà que la France vit l'euphorie de ses Jeux olympiques dont le rapport coûts/bénéfices est pourtant loin d'être forcément positif. Victoire des ludi circensens (dont j'avais parlé ici) auraient dit les Anciens. Le temps semble dès lors comme suspendu, le nombre de médailles dans la journée étant devenu un indicateur (provisoirement) plus suivi que le taux de croissance ou d'inflation. Pourtant, la situation économique dégradée continuera immanquablement à se faire sentir après la clôture des JO, car les faits sont têtus... Dans ce billet, nous allons donc faire un point sur la croissance.

 

Rappels sur la croissance

 

La croissance est l'évolution d'un indicateur de production (Produit Intérieur Brut, PIB) en excluant la variation des prix (inflation). Le taux de croissance de l'économie mesure alors son évolution d'une période à l'autre (mois, trimestre, année) en pourcentage. Notons qu'il est abusif de parler de croissance lorsque l'échelle temporelle est le court terme, car la croissance est par définition un indicateur de long terme. Il serait préférable d'utiliser le mot l'expansion en lieu et place de croissance, mais l'abus est quasiment généralisé, même à l'Insee.

 

Par construction de l'agrégat, le PIB peut se calculer en sommant ses différentes composantes : dépenses de consommation des ménages ; dépenses des institutions sans but lucratif au service des ménages ; dépenses des administrations publiques ; investissement ; variations de stocks et solde commercial. De là découle que la croissance du PIB peut être décomposée en la somme des contributions de ces différentes composantes.

 

Venons-en à présent à la croissance potentielle définie comme la croissance réalisant le niveau maximal de production sans accélération de l'inflation, compte tenu des capacités de production et de la main-d’œuvre disponibles. En partant de l'identité suivante Y = P.N où Y désigne le PIB, P la productivité par tête et N  l'emploi, l'on en déduit que la croissance potentielle est liée aux gains de productivité par tête et à la croissance de la population active.

 

Le PIB français et ses composantes

 

Comme le montre le graphique ci-dessous, les composantes habituelles de la croissance française (consommation et investissement) sont en panne, ce qui explique une augmentation très faible du PIB en volume (+0,3 % après +0,3 % au trimestre précédent) :

 

 

[ Source : Insee ]

 

L'on peut évidemment se féliciter d'un taux au moins positif, contrairement à l'Allemagne qui s'enfonce rapidement dans la crise après le choc de l'énergie et la concurrence chinoise dans l'automobile notamment, mais de là à crier cocorico comme l'a fait Bruno Le Maire, il y a un pas de trop ! Il ne faudrait, en effet, pas oublier que cette très faible expansion a été obtenue au prix d'aides massives de l'État, aux ménages dans une moindre mesure, mais surtout aux entreprises. L'inflation est venue laminer le pouvoir d'achat des consommateurs et, ce faisant, la demande adressée aux entreprises.

 

Et si l'on y ajoute les incertitudes croissantes (politiques, sociales, financières...), rien ne permet d'être optimiste sur la croissance à venir comme le montrent les indicateurs de climat des affaires et de confiance en l'avenir... Et c'est peu dire que la rentrée sociale et politique va être brûlante, ne serait-ce qu'en raison de l'extrême difficulté à trouver un gouvernement et de la nécessité de bâtir un budget crédible, depuis la dégradation de la note souveraine de la France par l'agence de notation Standard & Poor's et le placement du pays sous procédure de déficit excessif par les instances européennes.

 

P.S. : l'image de ce billet provient de cet éditorial du journal Ouest France.

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3 juin 2024 1 03 /06 /juin /2024 11:44

 

 

Voilà typiquement le genre de nouvelle qui ne changera probablement pas grand-chose aux conditions de financement de l'État français. Mais cela en dit tout de même long sur la réalité des finances publiques dans le pays et la façon dont la gestion gouvernementale est perçue, malgré les gesticulations de Bruno Le Maire, toujours persuadé d'avoir "sauvé l'économie française"... J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet dans le cadre d'une conférence que j'ai donnée en avril dernier avril à l'Université Populaire de Sarreguemines (UPSC). Mais, il me semble important d'y revenir brièvement, car cette dégradation constitue avant tout un camouflet pour la politique du gouvernement, à quelques encablures des élections européennes.

 

État des lieux des finances publiques

 

Souvenez-vous, c'était il y a seulement quelques semaines. Le ministre de l'Économie était contraint d'admettre, après la publication des chiffres par l'Insee, que le déficit public était bien supérieur aux prévisions, aux alentours de 5,5 % du PIB en 2023.

 

 

[ Source : Insee ]

 

Et bien qu'il soit de bon ton au sein du gouvernement de critiquer vertement les finances des administrations de Sécurité sociale, force est de constater que crier au loup n'est pas un gage de sagesse (budgétaire) :

 

 

[ Source : Insee ]

Quant à la dette publique - ensemble des dettes des administrations publiques au sens de Maastricht - elle augmente de 147,6 milliards d'euros en 2023 pour s’établir à 3 100 milliards d'euros, i.e. 110,6 %  du PIB.

 

 

[ Source : Insee ]

 

Sanction de la politique du gouvernement

 

L’agence de notation Standard & Poor’s a sanctionné tant cette dégradation non anticipée des finances publiques françaises que la politique budgétaire trop optimiste du gouvernement. En effet, à l'instar de très nombreux collègues - et même de la Cour des comptes ! -, j'avais déjà eu l'occasion d'expliquer combien les prévisions de croissance et de réduction du déficit public me semblaient inatteignables. Résultat des courses : l'agence américaine abaisse la note souveraine de la France de AA à AA− !

 

Pourtant, pour rassurer ses partenaires européens et éviter une nouvelle humiliation de la Commission européenne lors de l'entrée en vigueur des nouvelles règles budgétaires européennes, Bruno Le Maire avait multiplié les appels à sabrer les dépenses publiques dans l'urgence, dès le mois de février.

Au-delà des 10 milliards de cette année, il a très vite été question de couper entre 20 et 30 milliards d’euros supplémentaires de dépenses publiques, afin de revenir sur une trajectoire de réduction du déficit public menant en dessous des 3 % du PIB en 2027. Le tout enrobé dans un discours paternaliste usant et abusant d'expressions telles que "économies dans les dépenses", "dépenser moins lorsque l'on gagne moins", "gage de sérieux", etc.

 

La course aux coupes budgétaires et ses conséquences

 

Le résultat sera pourtant le même : à supposer qu'il soit possible de couper de tels montants dans les dépenses publiques, l'économie française et en particulier la croissance en pâtiront, car contrairement à une idée reçue, les dépenses publiques ne sont pas simplement les dépenses de fonctionnement de l'État comme je l'ai expliqué dans cet article.

 

Les dépenses publiques de l'État n'ont rien à voir avec les dépenses d'un ménage comme certains s'échinent à le répéter ; elles sont avant tout le fruit d'un compromis social entre citoyens et, en tant que telles, l'on ne peut  échapper à une réflexion sur l'articulation entre le secteur privé et le secteur public, afin de fixer les missions que les citoyens français veulent confier à la puissance publique. Vaste programme, peu rémunérateur sur le plan politique, et absolument impossible à mettre en œuvre dans l'urgence.

 

D'où, la prolifération d'idées plus ou moins exotiques pour couper les dépenses publiques : réforme de l’assurance chômage, modifications de la prise en charge est affections de longue durée, gel du point pour les fonctionnaires et les retraités, hausse de la TVA… Or, face au ralentissement économique général en Europe, il n'est même pas certain que les montants évoqués plus haut soient suffisants, d'où l'hypothèse de plus en plus probable d'une hausse concomitante des prélèvements obligatoires.

 

Certes, cette option nucléaire ne serait utilisée qu'en dernier ressort, dans la mesure où elle porterait l'estocade à la politique d'Emmanuel Macron, élu (et réélu) sur la promesse de baisser les prélèvements obligatoires. Mais face à l'urgence, l'histoire politique de la France montre ad nauseam combien les dirigeants politiques savent manier l'art de la palinodie !

 

Quelles conséquences d'une dégradation de la note ?

 

Disons-le d'emblée : cette dégradation de la note souveraine ne changera pas radicalement les conditions de financement de l'État français. Certes, il est possible que les taux d'intérêt sur les différents produits de dette publique augmentent un peu, mais les acteurs de ce marché ont déjà eu le temps de se faire une opinion des finances publiques françaises, et de l'intégrer à leurs évaluations, depuis le dérapage annoncé en mars dernier. C'est ce que montre l'écart entre les taux à 10 ans en Allemagne et en France, appelé spread :

 

 

[ Source : https://fr.investing.com/rates-bonds/de-10y-vs-fr-10y ]


De plus, les titres de la dette publique française restent très recherchés, car au fond il ne reste pas tant de titres réputés sûrs, alors que de très nombreux agents financiers ont l'obligation d'en détenir (fonds de pension, assureurs...). Mais, il à peu près certain que tous ces acheteurs de dette publique feront désormais pression - directement ou indirectement - pour que le gouvernement français réduise les dépenses publiques et, qui sait, augmente les prélèvements obligatoires en désespoir de cause. C'est aussi cela "l’ordre de la dette" dont parle Benjamin Lemoine et que mes étudiants de L2 connaissent bien à présent.

 

Qui de la soutenabilité de la dette publique ?

 

Dernière réflexion : la dette publique est-elle encore soutenable en France ? Ce débat récurrent avait notamment donné lieu à des passes d'armes épiques entre économistes, en 2021, lorsque l'idée avait été lancée d'annuler la dette publique détenue par l'Eurosystème. J'en avais rendu compte dans cet article.

 

Pour préciser les choses, une dette publique est considérée comme soutenable tant que les administrations publiques qui se sont endettées (État, Sécurité sociale, organismes divers d’administration centrale et collectivités locales) sont en mesure d’assurer à tout instant le service de la dette accumulée. Au vu de ce qui a été dit plus haut, cela suppose entre autres une capacité à lever de nouveaux impôts et surtout le maintien de l’accès aux marchés financiers. L'on voit ainsi immédiatement comment la notation souveraine peut influencer la soutenabilité de la dette publique.

 

Pour l'instant, il ne semble pas qu'il y ait un danger clairement identifiable à court terme, mais que dire à plus long terme ? Je vous invite d'ailleurs à jeter un œil sur cette courte vidéo dans laquelle Olivier Passet donne son point de vue sur la question :

P.S. L'image de cet article provient de cette vidéo de BFM TV.

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15 mai 2024 3 15 /05 /mai /2024 12:45

 

 

Sur le site du Haut-commissaire au plan, l'on pouvait lire la description suivante : "Nommé Haut-commissaire au Plan lors du conseil des ministres du 3 septembre 2020, François Bayrou est chargé d'animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l'État, ainsi que d'éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels."

 

Pourtant, en pratique, l'exercice s'éloigne beaucoup du travail effectué, entre 1946 et 2005, par le commissariat général du Plan qui s'inscrivait sur un horizon moyen de 5 ans. Il n'est donc pas inutile de revenir brièvement sur ce qu'a été la planification à ses débuts, en particulier  avec le témoignage de Pierre Massé, haut fonctionnaire, qui fut commissaire général de 1959 à 1966. Dans un livre éclairant sur la foi nourrie par les hauts fonctionnaires dans un développement économique profitant à tous, Le Plan ou l'anti-hasard, Pierre Massé explique sa vision du Plan. Nous nous appuierons sur l'édition de 1965 parue à la NRF.

 

la planification

 

Pour pallier les insuffisances du marché et coordonner les efforts de production avec un objectif précis, les États ont commencé dans les années 1930 à intervenir dans l'économie. Des plans fut alors élaborés par l'État, coercitifs dans le monde socialiste, incitatif dans le cas de la France notamment. C'est le 3 janvier 1946 que le processus de planification fut mis en place en France, avec la création du Commissariat général du plan dirigé par Jean Monnet. À cette époque, il s'agissait avant tout de programmer des objectifs réalistes de reconstruction du pays après la guerre, puis de transformation/modernisation.

 

Le développement économique et social

 

Pour lui, le développement économique et social était une "aventure réfléchie et calculée" (p. 17). "L'homme des années soixante veut être sujet actif de son destin [...], il cherche par des voies encore incertaines la participation économique. D'où l'effort de planification, de prévision et de prospective qui est l'un des signes de notre temps." (ibid.). Massé y voit l'occasion de substituer, enfin, la coopération au conflit, ce qui rappelle que l'économie ne peut se résumer à la définition technique donnée par Lionel Robbins en 1932 dans An Essay on the Nature and Significance of Economic Science, (London, Mac Millan) : "L’économie est la science qui étudie le comportement humain comme une relation entre des fins et des ressources rares ayant des usages alternatifs".

 

De l'extrapolation à la prospective

 

Contrairement à l'extrapolation, qui consiste à prolonger le passé pour en déduire un futur quasi déterministe, Pierre Massé s'intéresse à un principe d'action, qui exige "l'appréciation du moment où l'intervention humaine sera décisive" (ibid., p. 31). Il en déduit la nécessité de passer de "l'extrapolation en probabilité", qui "reste de l'ordre  de la projection et ne fait pas une part suffisante aux virtualités du futur", à la "prospective, attitude ouverte en face d'un avenir ouvert" (ibid., p. 32).

 

Il en déduit l'une des plus belles définitions de la prospective à mon sens : "la logique de la recherche prospective est ainsi d'inverser le cheminement traditionnel et de partir de l'exploration de l'avenir - non pas d'un avenir déduit, mais d'une pluralité d'avenirs imaginés. [...] Au lieu de se satisfaire du prévu, elle cherche à imaginer, pour y parer, l'imprévu. En outre, au sein de l'imaginaire, elle recherche le souhaitable, soit pour ses éléments positifs, soit pour sa valeur décisive contre certains périls." (ibid., p 33). L'on retrouve là "l'attitude prospective", vue comme philosophie de l'action par Gaston Berger.

 

Bien entendu, tout ne peut pas être imaginé, sauf à disposer de pouvoirs divinatoires. Aujourd'hui, cela nous fait inévitablement penser aux "cygnes noirs" de Nassim Taleb, i.e. ces événements imprévisibles ou rares dont les conséquences sont d'une portée considérable. Mais, même lorsqu'il est possible d'imaginer certaines lignes de l'avenir, la méthode prospective exige "le rétrécissement de la perspective" (ibid., p. 34). Et après "l'étude du champ des possibles s'ouvre la phase la plus importante et la plus difficile de la recherche, le raccordement au réel".

 

De la pertinence d'un plan

 

Autrement dit, pour "qu'une [figure de l'avenir] serve de guide à l'action, il faut encore qu'elle soit réalisable, c'est-à-dire qu'il existe un ensemble de décisions portant sur la réalité présente et compatibles avec elle (pour abréger, praticables), dont l'effet soit de rendre probable sa réalisation" (ibid., p. 36). Cela rappelle avec justesse que pour qu'une décision soit praticable, encore faut-il qu'elle soit en phase avec les réalités économiques, sociales et physiques du moment. Pourquoi évoquer des scénarii s'ils n'ont aucune chance d'être mis en oeuvre ? Ainsi, une "situation sera dite plausible s'il existe un ensemble de décisions praticables permettant d'atteindre probablement cette situation ou une situation au moins aussi bonne" (ibid., p. 36-37).

 

Pierre Massé en conclut que "le plan de la Nation n'apparaît pas ainsi comme une formule magique, mais comme une combinaison perfectible de réalisme et de volonté" (ibid., p. 53). Plus loin, il dira que "la planification à la française est la recherche d'une voie moyenne conciliant l'attachement à la liberté et à l'initiative individuelles avec une orientation commune du développement" (ibid., p. 144). Tout est dit...

 

Les faits, mais pas la fatalité

 

Et pour ceux qui s'imaginaient, déjà à cette époque, que l'unique but suivi par les humains était de consommer toujours plus, Pierre Massé rappelle que "[l'exigence suprême de l'homme] n'est pas davantage un type de civilisation fondé sur la diversification des biens matériels et la multiplication des gadgets" (ibid., p; 89-90). Et d'ajouter : "le fond du problème ne sera plus le niveau de vie, mais le mode de vie".

 

De nos jours, un certain néolibéralisme tend à vouloir substituer l'expertise au débat démocratique, suivant l'idée développée par Walter Lippmann, que les experts seraient seuls capables de comprendre les règles économiques universelles immuables. Exit la confrontation de projets de sociétés différents, et subséquemment les débats contradictoires dans le cadre de l'agon. Il ne reste donc aux citoyens qu'une seule possibilité, s'adapter, comme l'explique avec brio Barbara Stiegler. Or, le Plan était historiquement tout le contraire, puisque "la planification à la française accepte les faits, mais non les fatalités" (ibid., p. 151).

 

En définitive, cela démontre la nécessité de revenir à une véritable planification par l'Homme pour les besoins de l'Homme !

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