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29 novembre 2016 2 29 /11 /novembre /2016 10:57

 

 

Mon précédent billet sur le choc libéral proposé par François Fillon a donné lieu à quelques passes d'armes intéressantes quoique souvent orientées politiquement. Aujourd'hui, je souhaite le compléter par quelques précisions supplémentaires sur la courbe de Laffer, cette vague idée selon laquelle "trop d'impôt tue l'impôt"...

 

La courbe de Laffer

 

Il s'agit d'une vague intuition, que certains historiens de la pensée économique font remonter au XIVe siècle, sur le lien entre taux d'imposition des ménages et montant des recettes fiscales perçues par l'État. Elle n'est au fond que la traduction du célèbre adage "trop d'impôt tue l'impôt", que l'on retrouve chez de nombreux auteurs économiques comme Adam Smith ou Jean-Baptiste Say. Mais c'est la schématisation en courbe en U inversée, donnée par Arthur Laffer à la fin des années 1970, qui rendit cette intuition médiatique :

 

 

Le retour de la courbe de Laffer dans les discours

 

Très simple à comprendre et suffisamment consensuelle pour attirer les électeurs de toutes obédiences, la courbe de Laffer figura dans de nombreux programmes politiques - mais de plus en plus souvent elle ne concernait que les impôts des entreprises - depuis le tournant néolibéral du début des années 1980. En particulier, Ronald Reagan en prit prétexte pour baisser la pression fiscale aux États-Unis dès le début de son mandat, avec pour résultat catastrophique une forte hausse du déficit public :

 

 

[ Source : Natixis ]

 

On croyait alors la courbe de Laffer enterrée pour de bon, mais comme tout concept zombie elle n'a cessé de polluer les campagnes politiques suivantes tant aux États-Unis qu'en Europe. Et aujourd'hui on la retrouve d'une part chez François Fillon, qui veut mettre en place une baisse d'impôts et de cotisations sociales pour les entreprises tout en augmentant la TVA (ce qui n'est rien d'autre qu'une forme de TVA sociale à laquelle j'ai consacré un chapitre dans mon livre Mieux comprendre l'économie : 50 idées reçues déchiffrées), et d'autre part chez Donald Trump.

 

Dans les deux cas, la croyance est que l'on se trouve du côté droit de la courbe, c'est-à-dire que la pression fiscale est devenue dissuasive et pèse donc sur les rentrées fiscales de l'État. Dès lors, il suffirait de baisser la pression fiscale sur les entreprises pour que la relance de l'activité correspondante permette une augmentation des ressources fiscales de l'État. Autrement dit, le déficit public qui résulterait d'abord de la baisse du taux d'imposition serait entièrement compensé par les nouvelles recettes fiscales liées à la hausse de l'activité, ce qui revient à supposer que le multiplicateur budgétaire est très élevé, probablement le double de ce qu'il est actuellement...

 

Or, les études économiques sérieuses menées sur la question ne démontrent pas l'existence d'une telle courbe, ni d'un côté de l'Atlantique ni de l'autre. Pire, certaines montrent, à l'exemple de cet article célèbre de Blanchard et Leigh de 2013 concernant les multiplicateurs en temps de crise, qu'une baisse de la pression fiscale concomitante d'une baisse des dépenses publiques (et en France, si j'ai bien compris une baisse du traitement des fonctionnaires payés 37h pour 39h de travail, sic !) peut déboucher sur un double choc dépressif, l'un pour les finances publiques l'autre pour la consommation, les deux étant évidemment liés.

 

Bien entendu, si un gouvernement taxe les ménages ou les entreprises à 100 %, il n'est pas besoin de théorie très élaborée pour comprendre que cela débouchera sur un blocage de l'économie. Mais en réalité les choses sont loin d'être aussi simples que Laffer le pensait, comme le prouvent les taux marginaux d'imposition élevés pratiqués aux États-Unis jusqu'à la fin des années 1970, mais qui n'ont pas empêché les États-Unis de connaître la prospérité selon les critères habituels utilisés à l'époque (croissance quand tu nous tiens...) et d'être jalousés par les Européens (pour agrandir, clique-droit sur l'image et choisissez "afficher l'image") :

 

 

[ Source : http://piketty.blog.lemonde.fr ]

 

En dernier ressort, j'ajouterai que si l'on n'y prend garde, la politique de baisse d'impôts conduira à un surplus de déficit public alors même qu'elle a été mise en oeuvre pour le réduire... La France fera alors la course à la déflation salariale et au moins-disant social, oubliant les leçons de l'histoire : déflation Laval en France, déflation Brüning en Allemagne !

 

Un choc libéral tardif

 

Pour finir, je reviens un instant sur les arguments esquissés dans mon précédent billet. En raison d'un zeste de soutien à la demande, certains pensent pouvoir affirmer que la politique économique selon Fillon n'est pas libérale. Mais Olivier Passet, dans une vidéo de synthèse publiée chez Xerfi où il est directeur des synthèses, explique avec brio pourquoi une telle politique libérale est à la fois anachronique, dangereuse et sans effet certain sur l'économie à long terme :

 

 

N.B : l'image de ce billet provient du blog https://prof2ses.wordpress.com/

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