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5 mars 2019 2 05 /03 /mars /2019 14:37

 

 

Dans un précédent billet sur le partage des revenus au sein de la zone euro qui se fait au détriment des salariés, je citais le basculement vers une économie de services comme l'une des explications. Puis, dans cet autre billet sur les causes économiques de la crise sociale en France, j'évoquais la dégradation de la qualité des emplois dans les services domestiques. Il m'a donc semblé intéressant de compléter mon propos en analysant aujourd'hui les tenants et aboutissants de cette rupture majeure dans le fonctionnement de l'économie mondiale : le passage à une économie de services.

 

La transformation du monde en économie de services

 

Le graphique ci-dessous montre que la production manufacturière augmente à un rythme bien moindre, ce qui n'est que la traduction d'une demande de produits industriels augmentant moins vite que la demande de services :

 

 

[ Source : Natixis ]

 

Ce passage de l'économie mondiale à une économie de services a commencé il y a déjà trois décennies, mais s'est accéléré avec la crise de 2008.

 

Bien entendu, ce constat est également vrai à l'échelle de la France où de profonds changements sont intervenus dans la structure de l'emploi :

 

Emploi total par secteur

 

[ Source : INSEE ]

 

Nous allons à présent examiner quelques conséquences d'un tel changement économique.

 

Des capacités de production industrielle excédentaires

 

Comme la demande de produits industriels augmente peu, les capacités de production industrielles peuvent très vite devenir excédentaires. D'où une chute des prix industriels et une baisse de l'investissement industriel, qui aura des répercussions sur le niveau global de l'investissement puisque le secteur industriel investit en général bien plus que les services.

 

Les pays seront donc de plus en plus en compétition pour maintenir leur secteur industriel et la croissance dans ce secteur ne pourra résulter que de gains de parts de marché d'un pays par rapport aux autres, bref d'un jeu à somme nulle. Le danger est évidemment que certains gouvernements utilisent l'arme des taux de change pour se maintenir dans la course, à défaut d'utiliser celle des coûts comme l'Espagne (dévaluation interne compétitive) ou celle de la fiscalité comme l'Irlande. D'autres, comme les États-Unis, sont prêts à utiliser les armes tout court pour rééquilibrer leur balance extérieure...

 

Dans ces conditions, les profits industriels risquent rapidement de décroître et de conduire à du chômage supplémentaire, doublé ou non d'une délocalisation des derniers sites de production vers les pays à bas coûts (Vietnam, Indonésie, Philippines, Thaïlande, éventuellement PECO), nouveaux réservoirs d'esclaves après la Chine devenue trop chère.

 

Réduction des échanges commerciaux mondiaux

 

L'affaiblissement du commerce mondial, s'il résulte de nombreux facteurs dont les politiques protectionnistes agressives mises en place par Trump, doit cependant beaucoup au fait que les échanges de services sont de beaucoup plus petite taille que les échanges de biens.

 

 

[ Source : Natixis ]

 

Le passage à une économie de services n'est donc pas une bonne nouvelle pour le commerce mondial et encore moins pour les pays qui ont misé leur croissance sur les exportations (Allemagne, Japon, Australie,...). On peut aussi craindre la fin de la corrélation entre les cycles économiques des différentes régions du monde, qui était justement assurée par les échanges internationaux. Pour le dire simplement, jusqu'à présent, lorsqu'une région du monde souhaitait sortir d'une crise elle pouvait s'appuyer sur les importations d'une autre région dynamique du monde, ce qui lui permettait de relancer son économie en favorisant les exportations. Mais le passage à une croissance davantage domestique remet tout en cause.

 

Amplification de la bipolarisation de l'emploi

 

J'avais parlé de la bipolarisation de l'emploi dans ce billet. Il s'agit, pour le dire simplement, d'une disparition des emplois intermédiaires et d'une concentration aux extrémités (emplois peu qualifiés et emplois très qualifiés). Or, le risque est grand d'une augmentation des emplois peu qualifiés et mal payés, puisque la productivité du travail était en général bien plus élevée dans l'industrie :

 

 

[ Source : Natixis ]

 

On peut alors craindre que cette évolution ne conduise à un recul de la productivité globale et, en tout état de cause, à une faible progression des gains de productivité. Or, comme la croissance dépend à long terme de la productivité par tête et de la croissance future de la population active, c'est la croissance de long terme qui risque d'être sérieusement touchée.

 

Amplification des inégalités de revenus au sein de chaque pays

 

La bipolarisation de l'emploi évoqué ci-dessus soulève aussi le problème de l'augmentation des inégalités de revenus, dont j'avais rendu compte dans deux billets ici et . J'en rappelle juste un élément majeur, appelé courbe de l'éléphant et proposée par l'économiste Branko Milanovic. Elle place en abscisses les revenus des individus et en ordonnées la croissance du revenu entre 1988 et 2008.

 

 

[ Source : Milanovic B. (2016), « Global inequality : a new approach for the age of globalization », Cambridge (Mass.), Havard University Press ]

 

Elle permet de déduire que les revenus des plus pauvres ont augmenté, en l’occurrence les 2 % les plus pauvres ont connu une augmentation de leurs revenus de plus de 20 %. Au niveau du revenu médian mondial (point A sur la courbe), qui concentre essentiellement les classes moyennes chinoises et indiennes, l'augmentation a atteint 80 % ! En revanche, les revenus des classes moyennes occidentales (point B sur la courbe) ont au mieux stagné si ce n'est baissé sur la période 1988-2008. Et enfin, au point C de la courbe, les individus appartenant au 1 % les plus riches, ont vu leurs revenus augmenter de 70 % sur la période.

 

Pour le dire simplement, les inégalités se sont réduites au niveau mondial, mais ont augmenté au niveau des pays, parfois dans des proportions dangereuses !

 

En définitive, le monde sans industrie ne semble pas être une perspective réjouissante et la question de la survie salariale dans des conditions décentes est ouverte...

 

P.S.1 : en complément, je vous invite à prolonger ce billet par la lecture d'un ancien billet que j'avais rédigé sur la maladie hollandaise, qui est le nom donné à la malédiction économique des pays qui découvrent un gisement important de matières premières.

 

P.S.2 : l'image de ce billet provient de cet article du site de la CASDEN

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commentaires

E
Un grand bravo pour ce billet très explicatif. En effet, depuis près d'un demi-siècle, le secteur des services évolue très rapidement et représente presque les deux tiers du P.I.B mondial.
Répondre
A
Absolument parfait

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