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29 janvier 2019 2 29 /01 /janvier /2019 11:39

 

 

Sonné par le mouvement des gilets jaunes, le président de la République s'est vu conseiller l'idée d'organiser un grand débat national pour permettre "à toutes et tous de débattre de questions essentielles pour les Français". Mais personne n'est dupe, sa fonction première est de noyer les revendications des gilets jaunes dans une masse de propositions diverses et variées, afin de tenter d'apaiser la rancœur contre Emmanuel Macron. Parmi les thèmes phares, l'on retrouve bien entendu la fiscalité, le RIC et les dépenses publiques. Comme j'ai déjà beaucoup écrit sur les deux premiers, je vais revenir sur le troisième, d'autant que les termes du débat me semblent avoir été posés de façon biaisée...

 

Le grand débat national

 

Tout à son désir de personnaliser le pouvoir exécutif, Emmanuel Macron a fait le choix de mettre les corps intermédiaires sur la touche. Dès lors, lorsque a éclaté cette révolte contre la politique gouvernementale, toutes les rancœurs et rancunes se sont inévitablement cristallisées contre la seule personne du président de la République. Mis en incapacité pratique de gouverner, ce dernier s'est alors retranché derrière son Premier ministre, qui hélas n'a aucun poids politique. En dernier ressort, il ne lui restait plus qu'à se rapprocher des seuls élus disposant encore d'un peu de crédit aux yeux des citoyens : les maires.

 

D'où un grand débat national, qui se "déploiera tout d’abord à partir des réunions d’initiatives locales. Ces réunions permettront à chacun de débattre au cours de réunions publiques, de se faire entendre et de convaincre". Se faire entendre ? Peut-être, mais après une prise de parole de quelques minutes tout au plus, que peut-on en attendre s'il n'est rien prévu d'autres que de prendre notes des interventions pour ensuite les envoyer en préfecture ? Quid du mot débat, s'il n'y a pas de confrontation des points de vue sur une question précise, mais juxtaposition de points de vue ce qui n'est autre qu'un cahier de doléances orales ? Convaincre, mais qui ? L'élu local qui n'a aucune prise sur les questions de niveau du SMIC, du montant de la CSG ou de la TVA ? Et en fin de compte, sachant que plusieurs membres du gouvernement ont répété à l'envi que le cap serait maintenu, ce grand débat prend désormais l'allure d'un grand déba(llage) dont il n'y aura pas grand-chose à espérer. S'agirait-il de renouer avec le concept de ligne de masse si cher à Mao dans les années 1950, où à la fin de la consultation la masse arrive toujours aux mêmes conclusions que le Chef, ce qui revient seulement à valider malhonnêtement le cap fixé par le grand timonier ?

 

Quoi qu'il en soit, les conditions d'un vrai débat démocratique ne sont pas réunies :

 

 * dans sa lettre aux Français, Emmanuel Macron pose lui-même les questions du débat - souvent de façon biaisée d'ailleurs comme nous allons le voir pour les dépenses publiques -, ce qui n'est pas le meilleur moyen pour répondre aux préoccupations concrètes des citoyens ; c'est le reproche que lui a fait Chantal Jouanno, qui a dénoncé un "débat faussé" et une méthode propice à une "opération de communication". Et dire qu'en France nous disposons d'une Commission nationale du débat public (CNDP), dont l'indépendance eût été un gage pour assurer une expression libre sur tous les sujets - pas seulement ceux choisis par le gouvernement - et un suivi en toute transparence des propositions faites par les citoyens après le 15 mars...

 

 * il n'existe même plus un minimum de confiance entre les élus et les citoyens, et ce n'est pas les phrases incantatoires du type "plutôt débattre que se battre" qui changeront la donne surtout lorsqu'elles sont prononcées par un ministre sourd aux maux mots des citoyens chaque samedi ;

 

 * une passion collective, au sens de Simone Weil, s'est emparée du peuple ;

 

 * on ne sait rien de la manière dont le gouvernement se saisira du résultat de ce grand débat, qui n'est plus qu'une consultation dans sa forme actuelle, d'autant que les membres du gouvernement y participent eux aussi (la question de la légalité du Macron-tour, qui ressemble furieusement à une campagne électorale pour les Européennes est déjà soulevée...) ; on sait juste que le gouvernement maintiendra le cap de ses réformes, ce qui est une contradiction dans les termes du débat et transforme dès lors l'exercice en défouloir vide de sens, alors que l'exemple irlandais, notamment, aurait pu servir de modèle en matière d'assemblée de citoyens tirés au sort pour réviser la Constitution... Et je ne parle même pas d'un(e) Secrétaire d'État qui s'en est allé ridiculiser sa fonction dans un show télévisé à grande audience, démontrant la panique qui doit régner au gouvernement !

 

Les dépenses publiques : quelques faits

 

Par définition, les dépenses publiques correspondent à la somme des dépenses de l’ensemble des administrations publiques : État, bien entendu, mais aussi organismes divers d’administration centrale (ODAC), administrations publiques locales (APUL) et administrations de Sécurité sociale (ASSO). Au total, les dépenses publiques en 2016 s'élevaient à 1 257 milliards d'euros :

 

 

[ Source des données : INSEE - Comptes nationaux ]

 

Dans l'une des fiches trouvées sur le site du grand débat, on trouve ce tableau qui montre ce que financent 1 000 euros de dépenses publiques :

 

 

[ Source des données : https://granddebat.fr ]

 

Ce sont donc les dépenses de protection sociale qui représentent la plus grande part des dépenses publiques en France. Et au niveau européen ? La ventilation des dépenses publiques est la suivante :

 

 

[ Source : Eurostat ]

 

Ainsi, un peu partout au sein de l'Union européenne c'est la fonction protection sociale qui pèse le plus dans la dépense publique. Plus précisément, ce sont les dépenses liées à la vieillesse (dont les retraites !) qui représentent la part la plus importante des dépenses de protection sociale, soit environ 10 % du PIB dans l'UE, et pas la maladie comme on l'entend trop souvent !

 

Au total la France, avec une dépense publique équivalente à environ 57 % du PIB, se situe en tête du peloton européen :

 

 

[ Source des données : INSEE ]

 

Faut-il diminuer les dépenses publiques ?

 

Commençons d'emblée par faire pièce à l'idée fausse selon laquelle si les dépenses publiques représentent 57 % du PIB, alors il ne reste plus que 43 % pour le privé. Au contraire, dépenses publiques et dépenses privées ne sont pas une part du gâteau PIB ; il ne s'agit là que d'une manière pratique de comparer en pourcentage du PIB des données dont les montants en milliards d'euros dépassent de loin notre niveau de perception. En conséquence, lorsqu'Emmanuel Macron, dans ses vœux de nouvel an, affirme que "nous dépensons en fonctionnement et en investissement pour notre sphère publique plus que la moitié de ce que nous produisons", il commet deux erreurs à moins que ce ne soit des fautes s'il est conscient de l'énormité du propos. En effet, d'une part cette phrase laisse entendre que la dépense est directement prélevée sur la production et d'autre part elle néglige le fait que la plus grande part de la dépense publique est constituée par les dépenses de transfert (protection sociale, subventions...) comme nous l'avons vu plus haut. Oubli maladroit ou oubli habile ?

 

Ce sont les prélèvements obligatoires qui servent à financer les dépenses publiques. Moyennant quoi, le fort taux de dépenses publiques en France  s'explique avant tout par le choix de répondre collectivement en France (jacobinisme ?), et par le secteur public, à certains besoins. D'où une différence d'environ 8 points avec la moyenne de la zone euro, dont la moitié s'explique par la protection sociale et principalement les retraites. Et privatiser le système de retraites pour le livrer aux fonds de pensions ne résoudrait la question qu'en apparence, puisque la baisse de dépenses publiques enregistrée serait compensée par des placements désormais privés dans les fonds dont il n'est pas évident que les coûts de gestion soient plus faibles que la branche vieillesse de la Sécu !

 

Plutôt que de focaliser l'attention sur le seul montant des dépenses publiques, il importe surtout de s'interroger sur leur nature, leur efficacité, leur nécessité, etc. Mais c'est là un travail bien plus fastidieux et assurément moins vendeur en matière politique, d'autant qu'il faudra admettre que les administrations publiques ne s’enrichissent pas elles-mêmes en dépensant, au contraire elles contribuent à augmenter la capacité de production de richesses futures de l’ensemble de l’économie par des investissements porteurs, des subventions bienvenues ou des dotations suffisantes. Autrement dit, les dépenses publiques de l'État n'ont rien à voir avec les dépenses d'un ménage comme certains s'échinent à le répéter ; elles sont avant tout le fruit d'un compromis social entre des citoyens qui veulent œuvrer à l'intérêt général. Je crois que l'on ne peut échapper à une réflexion sur l'articulation entre le secteur privé et le secteur public, afin de fixer les missions que les citoyens français veulent confier à la puissance publique.

 

Répétons-le : s'il est indispensable de s’interroger sur la nature et l'efficacité des dépenses publiques, il faut néanmoins se garder de vouloir les couper à tout prix, sous peine de plonger l'économie dans un tourbillon récessif. À moins que l'objectif ultime ne soit de privatiser subrepticement les services publics après les avoir asséchés et désorganisés... Qu'il suffise de regarder le nombre de services publics fermés dans chaque commune pour comprendre ce à quoi je fais référence !

 

Or, disons-le clairement, le président de la République a d'ores et déjà biaisé ce débat en liant baisse des impôts et baisse des dépenses publiques, car cela laisse notamment entendre qu'il n'est pas possible de taxer mieux (en particulier les plus riches qui sortent magnifiquement leur épingle du jeu fiscal comme je l'ai montré dans ce billet). C'est tout simplement (mais qui s'en souvient ?) l'argumentaire développé depuis deux décennies par le MEDEF. En effet, pour le dire simplement, selon eux si les dépenses publiques baissent, alors il est possible de diminuer concomitamment les impôts prélevés pour les financer en particulier ceux des entreprises. Ce faisant, le patronat imagine le cercle vertueux suivant : baisse des impôts et cotisations sur les entreprises => hausse des marges => hausse de l'investissement => hausse des emplois. Les plus attentifs de mes lecteurs auront certainement reconnu là un enchaînement popularisé par le chancelier ouest-allemand Helmut Schmidt en 1974 et qui lui vaut désormais le nom de théorème de Schmidt (sic !). Sauf que ce théorème n'a que très rarement fonctionné dans nos économies (c'est le charme des sciences sociales qui se prennent pour des sciences dures), au point qu'on avait fini sinon par l'oublier au fil des ans au moins par le mettre au placard des curiosités économiques, pour mieux le retrouver ces derniers mois comme tous les concepts "zombie".

 

En fin de compte, ce grand déba(llage) n'est absolument pas à la hauteur des enjeux de la crise que nous traversons. Il apparaît de plus en plus clairement qu'il s'agit en fait pour le gouvernement de sauver le système fiscal injuste, en proposant comme seule alternative aux revendications des classes moyennes et modestes une baisse des dépenses publiques, qui ne manquerait pas de leur mettre encore un peu plus la tête sous l'eau. Réfléchir à l'articulation entre le secteur privé et le secteur public ? S’interroger sur la nature et l'efficacité des dépenses publiques ? Peu rentable sur le plan politique pour Emmanuel Macron, d'où son refus catégorique de revenir sur le totem de l'ISF alors même que cette proposition est en tête des revendications des citoyens et que nombre de travaux académiques contestent l'efficacité de la suppression de cet impôt.

 

En définitive, au moment où de nombreux élus ne cessent de répéter ad nauseam leurs éléments de langage appelant au "rassemblement de tous les Français", force est de constater que pour satisfaire les intérêts d'une minorité, on sacrifie désormais la majorité tout en lui accordant néanmoins le droit de crier son désarroi dans des réunions locales pendant deux mois : est-ce là le nouveau contrat social dont rêvent les citoyens français ?

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commentaires

L
"malgré la loi de 2003, les maires ayant utilisé la possibilité de faire des référendums locaux depuis quinze ans se comptent sur les doigts de deux mains. La méfiance prédomine. La démocratie locale est figée, ainsi que l’a analysé Michel Koebel. Pire encore: les gouvernements récents ont multiplié les échelons intermédiaires de décision, en créant des communautés d’agglomération (loi du 12 juillet 1999), des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI, loi du 16 décembre 2010) et enfin des métropoles (loi du 27 janvier 2014)."<br /> <br /> http://www.slate.fr/story/172107/democratie-directe-representative-participative-politique-nationale-locale-referendum-ric
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