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26 mars 2019 2 26 /03 /mars /2019 14:03

 

 

La France est un pays qui voue une adoration aux statistiques chiffrées, en particulier celles du chômage et de la croissance. Ainsi, les politiques commentent ad nauseam la moindre éclaircie sur le front du chômage comme si elle préfigurait le printemps économique, mais se gardent bien d'évoquer les nuages noirs qui pèsent sur certaines catégories d'actifs. C'est bien entendu le cas des plus de 50 ans, dont nous allons voir qu'ils payent en France un lourd tribut non seulement à la crise, mais aussi à toutes ces politiques économiques qui excluent plus ou moins ouvertement les plus âgés...

 

Quelques rappels théoriques sur la nature du chômage

 

Les économistes ne sont pas tous d'accord sur la nature du chômage. Pour faire simple, selon que l'on privilégie une approche par la demande ou l'offre on distingue :

 

 * le chômage keynésien : celui-ci résulte de l'insuffisance de la demande de biens et de services. D'où l'intérêt d'éviter les politiques d'austérité - également appelées dévaluation interne - en pleine crise et de lisser ensuite les ajustements budgétaires lorsque la croissance revient. Or, avec une croissance potentielle aussi faible, la France, et plus généralement la zone euro, va avoir du mal à créer des emplois.

 

 * le chômage classique : celui-ci résulte d'un sous-emploi des capacités de production. D'où la nécessité d'améliorer la profitabilité des entreprises au travers d'une baisse des salaires réels et des cotisations sociales notamment.

 

Depuis 2012, les gouvernements successifs - mais qui se ressemblent hélas tant à bien des égards - ont pris le parti de lutter exclusivement contre un chômage de nature classique, d'où le CICE, le pacte de responsabilité et autres "machins" sortis du cerveau des technocrates, dont le rapport coût-bénéfice est loin d'être bon, tant s'en faut !

 

Le plus triste est que certains politiques continuent par ailleurs à penser très fort qu'il n'existe que du chômage volontaire, c'est-à-dire que le problème pourrait facilement se régler en élaguant la masse des fainéants qui se complaisent dans l'inactivité professionnelle. Outre qu'il est proprement scandaleux de voir dans ces millions de chômeurs uniquement des oisifs regardant tranquillement le train passer, cela contredit tous les travaux menés depuis deux décennies sur le chômage... qui peut amplement être involontaire lorsque le marché de l'emploi se contracte !

 

Évolution du taux de chômage selon l'âge

 

Un graphique suffira à fixer les idées :

 

 

[ Source : INSEE ]

 

Certes, le taux de chômage des jeunes a fortement augmenté avec la crise - c'est d'ailleurs la classe d'âge la plus affectée par le chômage -, mais ce serait une grave erreur d'oublier la situation épouvantable des plus de 50 ans, qui sont très souvent les parents ou grands-parents des premiers... En effet, qui paient les études des jeunes et leur loyer, bref qui les solvabilise si ce n'est les travailleurs âgés et les retraités ? Réciproquement, qui paie les pensions de retraite et l'allocation de solidarité aux personnes âgées si ce n'est les jeunes actifs ? Il n'existe donc pas d’antagonisme entre la situation des jeunes et des vieux sur le marché de l'emploi, mais une indiscutable complémentarité même s'ils n'en ont pas toujours eux-mêmes conscience.

 

Situation sur le marché du travail des plus de 50 ans

 

Le graphique ci-dessous nous montre entre autres qu'en moyenne, en 2018, 29 % des personnes âgées de 62 ans sont en emploi (dont 4 % de retraités ou de préretraités), 2 % au chômage et 70 % inactifs :

 

 

[ Source : DARES ]

 

Ceux que l'on appelle désormais pudiquement les travailleurs séniors sont plus souvent à temps partiel et la part des non-salariés est nettement plus forte parmi les 55 ans ou plus en emploi :

 

 

[ Source : DARES ]

 

Taux de chômage des plus de 50 ans

 

Venons-en à présent à notre propos, en observant l'évolution du taux de chômage des plus de 50 ans :

 

 

[ Source des données : INSEE ]

 

Celui-ci a explosé depuis le début de la crise en 2008, sans que cela n'émeuve outre mesure nos dirigeants politiques, trop occupés à ne voir dans les "séniors" que de futurs retraités, qui plomberont encore un peu plus la branche vieillesse de la Sécurité sociale. Et pour être précis dans les chiffres, il faudrait également s'intéresser aux personnes sans emploi, qui souhaiterait travailler, mais ne répondent pas à tous les critères pour être définis comme chômeurs. Ce halo de chômage est estimé en 2018 par la DARES (direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques) à 2,6 % de l’ensemble des 55-64 ans.

 

Plus inquiétant, mais sans surprise, en moyenne en 2018, plus de 60 % des chômeurs âgés de 55 ans ou plus sont au chômage depuis au moins 1 an :

 

 

[ Source : DARES ]

 

Comme nous sommes encore dans l'Union européenne pour quelque temps, à 27 ou à 28 selon la décision du Royaume-Uni, une comparaison avec les autres pays peut avoir du sens :

 

 

[ Source : INSEE ]

 

Quelques pistes d'analyse

 

Beaucoup d'explications, plus ou moins pertinentes ont été avancées pour expliquer ces chiffres pour les plus de 50 ans : les salariés les plus âgés seraient les plus chers et/ou les moins productifs, la désindustrialisation et les délocalisations auraient détruit les emplois des plus âgés, culte du jeunisme assumés par les tenants de la start-up nation, manque de mobilité au sein d'un groupe, discrimination, etc.

 

De plus, les réformes successives des retraites ont surtout eu pour conséquence d'allonger l'âge de départ tout en affirmant le contraire pour mieux faire passer la pilule :

 

 

[ Source : CNAV ]

 

Les conditions de plus en plus drastiques pour valider ses années d'activité ont également contribué à un report de l'âge effectif de départ en retraite :

 

 

[ Source : CNAV ]

 

Cela conduit ainsi à une augmentation plus mécanique que désirée du taux d'activité, dont il n'est pas sûr qu'il s'agisse d'une bonne nouvelle si le chômage est au bout de la carrière professionnelle :

 

 

[ Source : DARES ]

 

Quant à la dispense de recherche d'emploi (DRE), les articles L. 5421-3 alinéa 2 et L.5411-8 relatifs à la dispense de recherche d’emploi ont été supprimés, ce qui ne facilite guère la vie de ceux qui n'ont quasiment plus aucune chance de trouver un emploi.  Enfin, l'allègement des contraintes en matière de licenciement a permis aux entreprises de se débarrasser avec les formes des salariés les plus âgés, notamment à grand renfort de ruptures conventionnelles :

La création de micro-entreprises comme palliatif au chômage

 

Certains font alors leur deuil de l'emploi salarié et se tournent vers la création d'entreprise, comme le laisse à penser l'augmentation fulgurante des créations d'autoentreprises (appelées micro-entreprises depuis 2014) :

 

 

[ Source : INSEE ]

 

Et ce, malgré leur faible chiffre d'affaires très souvent :

 

 

[ Source : ACOSS ]

 

D'ailleurs, les élus locaux et nationaux ne multiplient-ils pas les aides et incitations à créer des entreprises, pensant ainsi proposer du neuf dans un monde politique sclérosé ? Certains oublient juste que Raymond Barre faisait déjà scandale en 1978 en déclarant  "les chômeurs n'ont qu'à créer leur entreprise" et que cela entretient une terrible confusion entre créations d'entreprises et créations d'emplois. En effet, une entreprise sur deux ne passe pas le cap des cinq ans et les autoentrepreneurs ont une probabilité très faible d'évoluer vers une société qui créé beaucoup d'emplois. Et pourtant après 50 ans, c'est souvent la seule solution pour continuer à avoir une activité, et elle présente surtout l'avantage de réduire mécaniquement les chiffres du chômage...

 

En définitive, les plus de 50 ans, nassés (mot à la mode policière provenant de l'anglais kettling...) dans une catégorie appelée seniors puisque non-jeunes est par trop orwellien, ont payé un important tribut à la crise mais aussi aux choix de politiques économiques qui les excluent de facto du grand delirium de la start-up nation. C'est là pourtant une faute politique majeure, car le pays se prive ainsi d'un bien immatériel encore plus précieux que les compétences acquises par l'expérience professionnelle : la mémoire et la culture des entreprises, que les salariés âgés sont seuls à pouvoir transmettre à la génération suivante ! Chimère de minus habens politico-financiers, qui s'imaginent pouvoir changer le monde sans référence au passé... La grande leçon de l'Histoire est pourtant qu'une civilisation sans passage de flambeau entre générations est vouée à disparaître !

 

P.S. : l'image de ce billet provient de cet article de la Nouvelle République.

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