J'ai consacré de très nombreux billets à la situation économique et sociale de la France, qui ne cesse de se dégrader contrairement à une idée reçue. Ainsi ai-je évoqué le recours massif aux contrats très courts et la pauvreté, apporté des précisions sur le temps de travail en France, analysé ce que la restitution du grand débat ne disait pas sur la fiscalité et les dépenses publiques, et enfin évoqué les causes économiques de la crise sociale en France. Mais au fond, qui se souvient encore de la stratégie économique d'Emmanuel Macron, avant que le mouvement des gilets jaunes ne vienne lui barrer la route à traverser au sens littéral comme figuré ? C'est précisément l'objectif de ce billet, d'autant que les élections européennes sont passées par là...
Le plébiscite raté de Macron
Dès le début de la campagne, Emmanuel Macron avait confisqué le débat sur les Européennes, en ramenant le scrutin à une opposition entre "progressistes et nationalistes", entendez LREM vs RN. Les éléments de langage des ministres et parlementaires distillés dans les médias ne laissaient d'ailleurs planer plus aucun doute sur le caractère désormais national que le président comptait donner à ce scrutin : "le Rassemblement national ne doit pas devenir le premier parti de France !". Le roi lui-même n'a-t-il pas déclaré qu'il mettrait "toute [s]on énergie pour que le Rassemblement national ne soit pas le premier parti de France" ? Quelques jours avant le scrutin, Emmanuel Macron avait même donné un entretien reproduit dans quasiment tous les quotidiens régionaux., sortant ainsi du rôle d'arbitre que lui reconnaît la Constitution. Seuls Le Télégramme et La Voix du Nord ont refusé les conditions de l'Élysée, à savoir une relecture de l'entretien par les conseillers du président afin d'en lisser probablement les aspérités.
Donc en résumé :
- Macron a personnalisé à outrance et de manière absurde les élections européennes, au point d’en faire un plébiscite national sur sa politique (personne ?) en pleine crise sociale dans le pays et au détriment des questions européennes ;
- Le plébiscite a mal tourné pour lui, comme le montrent les résultats nationaux, l'abstention, mais aussi les résultats dans les départements de la fameuse « France périphérique » si longtemps ignorée par le gouvernement ;
- Le gouvernement nie cet échec et annonce qu’il ne changera pas son cap.
C’est l’exemple même du sophisme à moins que ce ne soit tout simplement la démonstration par l’absurde du mépris politique… Et après, on se demande pourquoi il y a une montée de la violence et un rejet massif des urnes !
Le cercle vertueux escompté par sa politique économique
Pour le dire d'un mot, avant le mouvement des gilets jaunes, Emmanuel Macron cherchait à redresser la compétitivité de France S.A., tout en restaurant les finances publiques, en baissant le taux de chômage et en augmentant les compétences et salaires. Bref, une martingale, qui devrait permettre de continuer à réformer sans cesse dans l'avenir selon les préceptes managériaux du type roue de Deming :
La situation réelle
Hélas, il en va des martingales comme des licornes : elles n'existent que dans les rêves ! Dès lors, le pari macronien à défaut de jupitérien reposait en partie sur le fait que les salariés accepteraient docilement de payer pour restaurer la compétitivité de leur boîte, ce qui a déjà commencé par la flexibilisation des emplois entendez leur précarisation :
[ Source : DARES ]
Il est vrai que le coût salarial unitaire (c'est-à-dire le coût salarial par unité de valeur ajoutée produite) a augmenté en France, mais aussi en Italie et même en Allemagne depuis l'entrée dans l'euro en 1999 :
[ Source : Natixis ]
Il ne faudrait surtout pas perdre de vue que le salarié est également un consommateur (et aussi un citoyen même si les gouvernements semblent l'oublier...), et que si les salaires sont maintenus bas pour gagner en compétitivité-coût, il ne faudra pas espérer tirer la croissance par le traditionnel moteur de la consommation.
En outre, la légère embellie sur le front du chômage cache mal les disparités, en particulier la situation épouvantable des plus de 50 ans, qui payent en France un lourd tribut non seulement à la crise, mais aussi à toutes ces politiques économiques qui excluent plus ou moins ouvertement les plus âgés :
[ Source des données : INSEE ]
La productivité par tête n'est pas non plus à la fête :
[ Source : Natixis ]
Enfin, la désindustrialisation n'est plus une simple vue de l'esprit comme vient encore de le confirmer Ascoval, ce qui pèse également sur la balance des échanges extérieurs et les parts de marché à l'exportation :
[ Source : Natixis ]
En définitive, pourquoi ai-je présenté la stratégie d'Emmanuel Macron au passé, puisque ni le vrai-faux grand débat, qui a donné lieu à une vraie-fausse restitution, ni ces élections perdues n'auront conduit à un changement de cap ? C'est le propre de l'arrogance politique que de s'obstiner lorsque la crise sociale atteint cette ampleur, désormais doublée d'une crise de la représentation démocratique. Gageons que Thatcher ne soit pas sa seule référence, car le modèle néolibéral appliqué au Royaume-Uni depuis trois décennies a conduit le pays à la catastrophe...
Quoi qu'il en soit, la politique économique d'Emmanuel macron consiste toujours à flexibiliser à outrance l'emploi, quitte à le rendre non salarié et ainsi à faire porter tous les risques aux travailleurs, et donc à faire payer à ces derniers la facture pour tenter de restaurer la compétitivité de leur boîte ! Le cercle vertueux tant espéré ne tardera alors pas à se muer en cercle vicieux, qui conduira l'économie vers une nouvelle crise économique et sociale majeure...