Le 1er janvier, après un long parcours, la Croatie est devenue le vingtième État de l'UE à adopter la monnaie unique. Le moment n'est peut-être pas le plus opportun, puisque les nuages s'amoncellent sur la zone euro. En particulier, l'Italie doit composer avec une situation socioéconomique très dégradée, l'Allemagne fait face au retournement des forces de son modèle économique, la France est empêtrée dans le "quoi qu'il en coûte" et la Grèce conserve le nez sous l'eau après le passage de la Troïka. Mais, plus généralement, le problème majeur de la zone euro, souvent passé sous silence, est l'hétérogénéité croissante en son sein, qui complique beaucoup la mise en œuvre des politiques économiques communes.
L’hétérogénéité structurelle de la zone euro
Les travaux d'économistes comme Paul Krugman ont permis de montrer que l’hétérogénéité d’une Union monétaire augmente après sa constitution. C'est clairement ce qui s'est passé avec la zone euro, puisque l'introduction d'une monnaie unique a conduit à une spécialisation productive différente des pays, à la divergence des niveaux de productivité et de revenu, à une recomposition de la géographie industrielle, etc.
[ Source : Natixis ]
Tout cela a pu durant un temps être caché par la hausse de l'endettement, mais la crise de la zone euro a fait tomber les masques, comme le montre l'évolution du spread des obligations d'État de la Grèce et de l'Italie (écart de taux d'intérêt avec l'Allemagne sur les titres de dette publique à 10 ans) :
[ Source : Barbara Fritz, Sebastian Dullien et Laurissa Mühlich, « Le FMI à la rescousse : la zone euro a-t-elle bénéficié de l’expérience du fonds dans la lutte contre les crises ? », Économie et institutions [En ligne], 23 | 2015, mis en ligne le 30 décembre 2015, consulté le 06 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/ei/5669 ]
L'impossibilité de corriger les écarts de compétitivité-coût au sein de la zone euro
Avant la mise en place de la monnaie unique, les problèmes de compétitivité-coût pouvaient se régler par le mécanisme du taux de change. Mais depuis, toute dévaluation monétaire étant par construction impossible, les gouvernements utilisent d'autres moyens :
* la dévaluation interne : également appelée ajustement nominal, elle consiste en une baisse de coûts salariaux et des prix dans le but d'améliorer la compétitivité d'un pays. Selon la théorie, comme les prix et les salaires baissent parallèlement, les salaires réels ne varient pas et la compétitivité s'améliore à l'export. Mais, ce remède de cheval conduit le plus souvent à l'effondrement de la demande des ménages en raison de la baisse des salaires réels. Cela débouche alors sur une compression de l'activité à court terme et donc sur une hausse du chômage.
* la dévaluation fiscale : il s'agit d'une substitution d'impôt censée produire les mêmes effets qu'une dévaluation monétaire. On pense notamment à la TVA sociale (qui n'a de social que le nom), qui consiste à basculer sur la TVA une partie des cotisations sociales patronales, de sorte que la TVA augmenterait et le coût du travail baisserait. Or, en pratique, lorsque la TVA augmente c'est le pouvoir d'achat des ménages qui est amputé, car les vases communicants ne fonctionnent jamais aussi parfaitement...
Bref, l’ajustement de la compétitivité-coût repose surtout sur les pays en difficulté, à qui l'on enfonce encore un peu plus la tête sous l'eau, ce qui rejaillit sous forme de conflits sociaux et d’extrémismes politiques...
Que faire ?
La solution tient en un mot, qu'il est aussi difficile à mettre en œuvre politiquement qu'il est facile de le prononcer : fédéralisme ! Même si cela a mauvaise presse en ce moment (en fait, cela a toujours eu mauvaise presse...), il faudrait que les pays riches de la zone euro assurent des transferts vers les plus pauvres si l'on souhaite que la zone euro perdure. Sinon, avec l'appauvrissement que subissent certains membres de la zone euro, il ne faudra pas s'étonner que de plus en plus d'entre eux se tourneront vers des partis politiques ouvertement nationalistes, anti-européens, voire pire...
En ce sens, le fédéralisme dont aurait besoin la zone euro pourrait être qualifié de solidarité interétatique permanente. En d'autres termes, l'UE se devrait d'être fédérale, afin d'assurer la redistribution de revenus des régions plus riches vers les régions plus pauvres à la faveur d'un budget fédéral autrement plus fourni que l'actuel budget communautaire, qui ne pèse guère qu'un pour cent du PIB de l'UE. Des tentatives voient le jour, hélas sous la pression des crises (covid-19, énergie...), mais rien qui ne me semble durable.
[ Source : https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-budget-de-l-union-europeenne ]
Il suffit de voir les palabres et tergiversations lorsqu’il s'est agi de fixer un prix maximum d'achat du gaz en Europe, pour comprendre que l'unité politique européenne n'est pour l'heure qu'une illusion et que tout reste à faire. Et que dire de la politique monétaire (commune), à qui il est demandé d'assurer la stabilité des prix, alors même que les taux d'inflation sont très différents selon les pays membres ? Assurément, l'hétérogénéité au sein de la zone euro est une force centrifuge et, en tant que telle, un danger !
P.S. L'image de ce billet provient du site https://www.touteleurope.eu