Entre deux articles, l'un sur la croissance française en berne et l'autre sur le déficit commercial de la France, j'ai bien entendu suivi le lassant et pitoyable feuilleton "à la recherche d'un Premier ministre non censurable", qui a mis en évidence les limites du fonctionnement institutionnel de la Ve République. D'un côté, il y a un Président de la République bloqué à la suite de son choix hasardeux de dissoudre l'Assemblée nationale au pire moment et qui se refuse à changer de politique malgré un désaveu patent dans les urnes. De l'autre, il y a des partis politiques incapables de s'entendre pour gouverner, les uns et les autres campant sur leurs positions, certaines étant à l'évidence irréconciliables tant elles sont aux antipodes.
Pendant ce temps, probablement trop absorbés par la parenthèse sportive et les dieux du stade (ludi circensens), les Français ne semblaient pas gênés aux entournures par la vacance historique du pouvoir, comme si abandonné le sort de l'État français pendant près de 2 mois entre les mains de ministres démissionnaires était au fond une situation banale. Certains sont même allés jusqu'à se réjouir de cette situation qui, selon eux, feraient advenir une VIe République plus parlementaire, n'hésitant pas à faire des comparaisons douteuses avec d'autres pays comme la Belgique ou l'Espagne, quand bien même le construit institutionnel n'est en rien comparable. Et pour ajouter à la confusion, certains ministres démissionnaires étaient parfois parlementaires, sans que l’Assemblée nationale ait réellement son mot à dire sur leurs choix politiques, puisqu'il n'aura pas semblé utile au Président de la République de convoquer une session extraordinaire.
Car pour extraordinaire, la situation l'a été et va encore l'être beaucoup plus, maintenant qu'il est question de faire des choix budgétaires qui auront un impact important sur la vie de tous les Français. Et la nomination de Michel Barnier a de quoi surprendre : le nouveau monde voulu par Emmanuel Macron semble s'être fait rattraper par l'ancien... Toujours est-il que la vraie question est à présent de savoir où en est l'État français de ses finances publiques. J'aborde en général les questions de finances publiques au moment du budget, mais le contexte actuel m'invite à m'y intéresser avec un peu d'avance, ce qui m'oblige aussi à remercier mon ami Gérard (lecteur de ce blog) pour sa suggestion d'article.
Le déficit public
Trop souvent, les commentateurs confondent le déficit budgétaire (= de l'État) avec le déficit public, qui lui résulte de la somme des soldes de toutes les administrations publiques (État, collectivités, Sécurité sociale et administrations publiques diverses).
Hélas, alors que les recettes publiques sont très dépendantes de l'activité (la croissance), cette dernière est atone, malgré une probable modeste embellie au troisième trimestre en raison des Jeux olympiques. Bref, les recettes n'augmenteront probablement pas suffisamment pour couvrir la hausse des dépenses publiques. Passons sur la guerre de tranchées entre l'État et les collectivités, le premier accusant par la voix très autorisée de Bruno Le Maire les secondes de dégrader les comptes de 2024 d'environ 16 milliards d'euros. C'est l'hôpital qui se moque de la charité, leur répondent en substance les collectivités, elles qui sont légalement contraintes de voter un budget à l’équilibre, l’emprunt ne pouvant servir qu'à financer des dépenses d’investissement.
Les nouvelles contraintes
Le contexte a cependant évolué très négativement pour l'État français, puisque la France a été officiellement placée sous une procédure de déficit public excessif par la Commission européenne, contraignant le nouveau gouvernement à mettre en œuvre un plan pluriannuel de réduction du déficit et de l’endettement publics. Et il est évident que la Commission européenne ne se contentera plus d'un projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques aussi optimiste que celui présenté l'an passé pour la période 2023-2027, qui expliquait comment la France rentrerait quasi certainement dans les clous financiers d'ici à 2027.
[ Source : HCFP ]
De plus, l'État français est placé sur la lamelle de microscope des agences de notation, en particulier depuis que Standard & Poor’s a sanctionné la dégradation non anticipée des finances publiques françaises et la politique budgétaire trop optimiste du gouvernement.
100 milliards à trouver d'ici à 2028
Commença alors la course à l'échalote pour faire au plus vite des coupes dans les dépenses publiques ("économies", sic) : 10 milliards annoncées dans un premier temps et concrétisés avant la dissolution, puis 20 et enfin 30 encore dans les cartons, au nom de l'impératif de faire "économies dans les dépenses", "dépenser moins lorsque l'on gagne moins", "donner un gage de sérieux", etc. Mais, avec la dissolution de l'Assemblée nationale, une partie de ces coupes ont été suspendues. Une note du Trésor remise avec un mois et demi de retard aux parlementaires évoque une dérive des comptes, si rien n'était entrepris, vers 6,5 % du PIB de déficit à l'horizon 2027. Il est depuis question d'une négociation avec Bruxelles sur le rythme de réduction exigé du déficit public, mais qui nécessiterait tout de même de trouver 30 milliards d’euros en 2025 et environ 100 milliards d’euros sur les 4 prochaines années !
Le nouveau gouvernement ne disposera, cependant, que de quelques jours pour tenir les délais constitutionnels de dépôt d'un budget au Parlement pour un examen dès le 1er octobre pendant 70 jours (+5 jours pour le Conseil constitutionnel). À moins de contorsionner la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) comme l'envisagent déjà certains conseillers de Matignon, afin de décaler le dépôt de 15 jours. Heureusement, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ont été prévoyants et ont gentiment laissé un budget provisoire à la nouvelle équipe et les lettres de plafonds de dépenses ont déjà été envoyées dans les ministères.
Mais sauf à croire qu'un budget est politiquement et socialement neutre, il paraît peu plausible que le nouveau ministre des Finances se contente d'avaliser un tel document qui, pour des raisons électorales, consiste dans ses grandes lignes à reconduire le budget 2024 en valeur et à approuver les coupes déjà décidées. Il est donc fort probable que le nouveau gouvernement de Michel Barnier fera des choix, au risque d'être censuré par les députés, puisque les uns revendiquent plus d'État social - quitte à augmenter les dépenses publiques -, tandis que les autres exigent une stabilisation, voire une baisse, des prélèvements obligatoires. À ce stade, il me semble peu probable d'échapper à plus ou moins court/moyen terme à une hausse des prélèvements obligatoires, malgré toutes les promesses d'Emmanuel Macron. Zone de turbulences en vue !
Du bon usage des dépenses publiques
Plutôt que de focaliser l'attention sur le seul montant des dépenses publiques, il importe surtout de s'interroger sur leur nature, leur efficacité, leur nécessité, etc. Mais c'est là un travail bien plus fastidieux et assurément moins vendeur en matière politique, d'autant qu'il faudra admettre que les administrations publiques ne s’enrichissent pas elles-mêmes en dépensant, au contraire elles contribuent à augmenter la capacité de production de richesses futures de l’ensemble de l’économie par des investissements porteurs, des subventions bienvenues ou des dotations suffisantes.
Autrement dit, les dépenses publiques de l'État n'ont rien à voir avec les dépenses d'un ménage comme certains s'échinent à le répéter ; elles sont avant tout le fruit d'un compromis social entre des citoyens qui veulent œuvrer à l'intérêt commun. L'on ne peut donc échapper à une réflexion sur l'articulation entre le secteur privé et le secteur public, afin de fixer les missions que les citoyens français veulent confier à la puissance publique. Répétons-le : s'il est indispensable de s’interroger sur la nature et l'efficacité des dépenses publiques, il faut néanmoins se garder de vouloir les couper à tout prix, de manière indifférenciée, sous peine de plonger l'économie dans un tourbillon récessif.
Avec un président de la République bloqué politiquement pendant au moins 10 mois encore, jusqu'à la prochaine dissolution en juillet 2025, si ce n'est jusqu'à la fin de son mandat, il eût été bien avisé de faire montre de courage et de convoquer un véritable débat républicain avec les forces vives de la nation pour s'entendre sur le périmètre de l'action publique (dépenses publiques) et les moyens à lui allouer (prélèvements obligatoires dont impôts). Durée d'un tel débat, si l'on en juge par les expériences suédoises et canadiennes ? Environ 2 ans. Et comme en Gaule, les discussions sont plus animées qu'ailleurs, les trois dernières années du mandat présidentiel me semblent être une durée adéquate, d'autant qu'Emmanuel Macron ne pourra constitutionnellement pas se représenter.
Mais il est vrai que, au-delà de ce projet au long cours, il y a des obligations imminentes. Faut-il ainsi rappeler que la Commission européenne exige un plan sur les finances publiques françaises à moyen terme pour le 20 septembre (une demande de prolongation a déjà été faite...) et que les agences de notation vont examiner la note souveraine de l'État en octobre ? Je reste cependant convaincu qu'un véritable débat républicain avec les forces vives de la nation - pas un grand déballage national comme lors du mouvement des gilets jaunes - serait à même d'apaiser tout à la fois nos partenaires européens, les marchés financiers et les institutions européennes, car un tel débat avec résultat obligatoire et contraignant est un gage de sérieux pour les budgets à venir.
Quoi qu'il en soit, cette fois il n'y a plus aucun doute, les Jeux olympiques sont terminés et les Français pourront suivre avec plaisir (ou dépit...) une autre forme de sport, les joutes parlementaires !
P.S. L'image de ce billet provient de cet article de la Revue Banque