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9 septembre 2024 1 09 /09 /septembre /2024 14:26

 

 

Entre deux articles, l'un sur la croissance française en berne et l'autre sur le déficit commercial de la France, j'ai bien entendu suivi le lassant et pitoyable feuilleton "à la recherche d'un Premier ministre non censurable", qui a mis en évidence les limites du fonctionnement institutionnel de la Ve République. D'un côté, il y a un Président de la République bloqué à la suite de son choix hasardeux de dissoudre l'Assemblée nationale au pire moment et qui se refuse à changer de politique malgré un désaveu patent dans les urnes. De l'autre, il y a des partis politiques incapables de s'entendre pour gouverner, les uns et les autres campant sur leurs positions, certaines étant à l'évidence irréconciliables tant elles sont aux antipodes.

 

Pendant ce temps, probablement trop absorbés par la parenthèse sportive et les dieux du stade (ludi circensens), les Français ne semblaient pas gênés aux entournures par la vacance historique du pouvoir, comme si abandonné le sort de l'État français pendant près de 2 mois entre les mains de ministres démissionnaires était au fond une situation banale. Certains sont même allés jusqu'à se réjouir de cette situation qui, selon eux, feraient advenir une VIe République plus parlementaire, n'hésitant pas à faire des comparaisons douteuses avec d'autres pays comme la Belgique ou l'Espagne, quand bien même le construit institutionnel n'est en rien comparable. Et pour ajouter à la confusion, certains ministres démissionnaires étaient parfois parlementaires, sans que l’Assemblée nationale ait réellement son mot à dire sur leurs choix politiques, puisqu'il n'aura pas semblé utile au Président de la République de convoquer une session extraordinaire.

 

Car pour extraordinaire, la situation l'a été et va encore l'être beaucoup plus, maintenant qu'il est question de faire des choix budgétaires qui auront un impact important sur la vie de tous les Français. Et la nomination de Michel Barnier a de quoi surprendre : le nouveau monde voulu par Emmanuel Macron semble s'être fait rattraper par l'ancien... Toujours est-il que la vraie question est à présent de savoir où en est l'État français de ses finances publiques. J'aborde en général les questions de finances publiques au moment du budget, mais le contexte actuel m'invite à m'y intéresser avec un peu d'avance, ce qui m'oblige aussi à remercier mon ami Gérard (lecteur de ce blog) pour sa suggestion d'article.

 

Le déficit public

 

Trop souvent, les commentateurs confondent le déficit budgétaire (= de l'État) avec le déficit public, qui lui résulte de la somme des soldes de toutes les administrations publiques (État, collectivités, Sécurité sociale et administrations publiques diverses).

Infographie: Comment évolue le déficit public ? | Statista Vous trouverez plus d'infographie sur Statista

Hélas, alors que les recettes publiques sont très dépendantes de l'activité (la croissance), cette dernière est atone, malgré une probable modeste embellie au troisième trimestre en raison des Jeux olympiques. Bref, les recettes n'augmenteront probablement pas suffisamment pour couvrir la hausse des dépenses publiques. Passons sur la guerre de tranchées entre l'État et les collectivités, le premier accusant par la voix très autorisée de Bruno Le Maire les secondes de dégrader les comptes de 2024 d'environ 16 milliards d'euros. C'est l'hôpital qui se moque de la charité, leur répondent en substance les collectivités, elles qui sont légalement contraintes de voter un budget à l’équilibre, l’emprunt ne pouvant servir qu'à financer des dépenses d’investissement.

 

Les nouvelles contraintes

 

Le contexte a cependant évolué très négativement pour l'État français, puisque la France a été officiellement placée sous une procédure de déficit public excessif par la Commission européenne, contraignant le nouveau gouvernement à mettre en œuvre un plan pluriannuel de réduction du déficit et de l’endettement publics. Et il est évident que la Commission européenne ne se contentera plus d'un projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques aussi optimiste que celui présenté l'an passé pour la période 2023-2027, qui expliquait comment la France rentrerait quasi certainement dans les clous financiers d'ici à 2027.

 

 

[ Source : HCFP ]

 

De plus, l'État français est placé sur la lamelle de microscope des agences de notation, en particulier depuis que Standard & Poor’s a sanctionné la dégradation non anticipée des finances publiques françaises et la politique budgétaire trop optimiste du gouvernement.

 

100 milliards à trouver d'ici à 2028

 

Commença alors la course à l'échalote pour faire au plus vite des coupes dans les dépenses publiques ("économies", sic) : 10 milliards annoncées dans un premier temps et concrétisés avant la dissolution, puis 20 et enfin 30 encore dans les cartons, au nom de l'impératif de faire "économies dans les dépenses", "dépenser moins lorsque l'on gagne moins", "donner un gage de sérieux", etc. Mais, avec la dissolution de l'Assemblée nationale, une partie de ces coupes ont été suspendues. Une note du Trésor remise avec un mois et demi de retard aux parlementaires évoque une dérive des comptes, si rien n'était entrepris, vers 6,5 % du PIB de déficit à l'horizon 2027. Il est depuis question d'une négociation avec Bruxelles sur le rythme de réduction exigé du déficit public, mais qui nécessiterait tout de même de trouver 30 milliards d’euros en 2025 et environ 100 milliards d’euros sur les 4 prochaines années !

 

Le nouveau gouvernement ne disposera, cependant, que de quelques jours pour tenir les délais constitutionnels de dépôt d'un budget au Parlement pour un examen dès le 1er octobre pendant 70 jours (+5 jours pour le Conseil constitutionnel). À moins de contorsionner la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) comme l'envisagent déjà certains conseillers de Matignon, afin de décaler le dépôt de 15 jours. Heureusement, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ont été prévoyants et ont gentiment laissé un budget provisoire à la nouvelle équipe et les lettres de plafonds de dépenses ont déjà été envoyées dans les ministères.

 

Mais sauf à croire qu'un budget est politiquement et socialement neutre, il paraît peu plausible que le nouveau ministre des Finances se contente d'avaliser un tel document qui, pour des raisons électorales, consiste dans ses grandes lignes à reconduire le budget 2024 en valeur et à approuver les coupes déjà décidées. Il est donc fort probable que le nouveau gouvernement de Michel Barnier fera des choix, au risque d'être censuré par les députés, puisque les uns revendiquent plus d'État social - quitte à augmenter les dépenses publiques -, tandis que les autres exigent une stabilisation, voire une baisse, des prélèvements obligatoires. À ce stade, il me semble peu probable d'échapper à plus ou moins court/moyen terme à une hausse des prélèvements obligatoires, malgré toutes les promesses d'Emmanuel Macron. Zone de turbulences en vue !

 

Du bon usage des dépenses publiques

 

Plutôt que de focaliser l'attention sur le seul montant des dépenses publiques, il importe surtout de s'interroger sur leur nature, leur efficacité, leur nécessité, etc. Mais c'est là un travail bien plus fastidieux et assurément moins vendeur en matière politique, d'autant qu'il faudra admettre que les administrations publiques ne s’enrichissent pas elles-mêmes en dépensant, au contraire elles contribuent à augmenter la capacité de production de richesses futures de l’ensemble de l’économie par des investissements porteurs, des subventions bienvenues ou des dotations suffisantes.

 

Autrement dit, les dépenses publiques de l'État n'ont rien à voir avec les dépenses d'un ménage comme certains s'échinent à le répéter ; elles sont avant tout le fruit d'un compromis social entre des citoyens qui veulent œuvrer à l'intérêt commun. L'on ne peut donc échapper à une réflexion sur l'articulation entre le secteur privé et le secteur public, afin de fixer les missions que les citoyens français veulent confier à la puissance publique. Répétons-le : s'il est indispensable de s’interroger sur la nature et l'efficacité des dépenses publiques, il faut néanmoins se garder de vouloir les couper à tout prix, de manière indifférenciée, sous peine de plonger l'économie dans un tourbillon récessif.

 

Avec un président de la République bloqué politiquement pendant au moins 10 mois encore, jusqu'à la prochaine dissolution en juillet 2025, si ce n'est jusqu'à la fin de son mandat, il eût été bien avisé de faire montre de courage et de convoquer un véritable débat républicain avec les forces vives de la nation pour s'entendre sur le périmètre de l'action publique (dépenses publiques) et les moyens à lui allouer (prélèvements obligatoires dont impôts). Durée d'un tel débat, si l'on en juge par les expériences suédoises et canadiennes ? Environ 2 ans. Et comme en Gaule, les discussions sont plus animées qu'ailleurs, les trois dernières années du mandat présidentiel me semblent être une durée adéquate, d'autant qu'Emmanuel Macron ne pourra constitutionnellement pas se représenter.

 

Mais il est vrai que, au-delà de ce projet au long cours, il y a des obligations imminentes. Faut-il ainsi rappeler que la Commission européenne exige un plan sur les finances publiques françaises à moyen terme pour le 20 septembre (une demande de prolongation a déjà été faite...) et que les agences de notation vont examiner la note souveraine de l'État en octobre ? Je reste cependant convaincu qu'un véritable débat républicain avec les forces vives de la nation - pas un grand déballage national comme lors du mouvement des gilets jaunes - serait à même d'apaiser tout à la fois nos partenaires européens, les marchés financiers et les institutions européennes, car un tel débat avec résultat obligatoire et contraignant est un gage de sérieux pour les budgets à venir.

 

Quoi qu'il en soit, cette fois il n'y a plus aucun doute, les Jeux olympiques sont terminés et les Français pourront suivre avec plaisir (ou dépit...) une autre forme de sport, les joutes parlementaires !

 

P.S. L'image de ce billet provient de cet article de la Revue Banque

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commentaires

Y
Bonsoir, <br /> <br /> Merci pour votre billet qui est toujours intéressant et pédagogique, <br /> <br /> J'avais repensé à mes précédents commentaires sur votre blog, notamment les défaillances mêmes de la Vème République que dénonçait jadis Pierre Mendès France dans son ouvrage " la république moderne" publié en 1962....... soixante-deux ans plus tard ! Mendès France avertissait le risque d'un pouvoir exécutif trop fort face au pouvoir législatif, trop de pouvoirs au profit du PR pouvait conduire à un risque de bonapartisme et de césarisme. Nous en sommes actuellement dans cette situation bien que maintenant après les élections législatives nous arrivons à une crise de régime conjugué par une crise démocratique . <br /> <br /> Emmanuel Macron a choisi de dissoudre l'assemblée nationale parce qu'il a probablement été "blessé dans son ego" suite aux résultats des élections européennes dans laquelle il s'est investi corps et âme pour refaire" le match retour" face au RN . Il a perverti la fonction présidentielle jusqu'à son paroxysme étant habité par l'hubris, un sentiment de toute puissance, de mégalomanie qui est le résultat de la <br /> conception jupitérienne du pouvoir...... ( il suffit de regarder les images de la finale de la coupe du monde 2022 au Qatar où il entre dans le terrain pour consoler le capitaine de l'Équipe de France, Kylian Mbappé, chose que n'avait jamais fait ses prédécessurs dans une compétition sportive internationale ) <br /> <br /> L'exemple de la réforme des retraites en 2023 en est l'illustration par la méthode, la négation des corps intermédiaires, du dialogue social....à la manière de VGE , il se croit plus intelligent que tous les citoyens français.....il utilise les dispositions offertes par la Constitution de la Vème République pour faire de la politique politicienne à la manière de François Mitterrand et de Jacques Chirac. <br /> <br /> Bref pour résumer, la Vème République telle qu'elle existe a été vidé de son esprit originel conçu par le Général de Gaulle. La suppression du septennat et la mise en place du quinquennat a fait de la fonction du président de la République un chef de majorité, de parti et non un arbitre au dessus des partis, voire le garant de la stabilité, la continuité de l'Etat. Je crains que les mots "démocratie", "république" et "sens de l'Etat" soient inconnus dans le jargon de la start-up nation qui irrige le macronisme. <br /> <br /> <br /> Concernant l'état actuel de nos finances publiques, je constate que Bruno le Maire s'est trompé de vocation : il aurait dû être ministre de la Culture au vu du nombre de publication de ses livres ( 6 livres parus) depuis 7 ans à Bercy..... ce qui est révélateur du peu de temps consacré à résoudre les problèmes économiques surtout qu'un ministre est censé avoir un agenda très chargé notamment lorsqu'on détient le portefeuille de l'économie !!! En tout cas il est à des années lumières de l'épaisseur intellectuelle sur les questions économiques d'un serviteur de l'Etat tel que Jean Marcel Jeanneney, ou Raymond Barre et d'autres grands économistes de l'époque......<br /> <br /> Le débat budgétaire qui s'annonce laisse entrevoir des perspectives sombres et très peu de marge de manoeuvre politique.....depuis l'adoption du Traité de Maastrciht, la France a perdu sa politique monétaire avec l'adoption de la monnaie unique et avec l'application du Pacte de Stabilité et de Croissance , la politique budgétaire est de plus en plus limité à respecter les 3% de déficit. La logique qui domine le futur gouvernement sera une logique de gestionnaire à savoir faire des économies sans avoir une vision politique.......<br /> <br /> <br /> Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour ce commentaire assez long, mais je pense que cela pouvait vous intéresser notamment que le fait de lire les écrits de ces personnages historiques ( Pierre Mendès France) permet de mieux éclairer les enjeux de notre époque, ce dont je n'ai pas perçu chez "les élites" politiques actuelles venant de Sciences Po, ENA qui à les écouter préfèrent "le modernisme new age" notamment au sein de la start-up nation quis 'avère être en réalité "une coquile vide". Je crains qu'ils ne connaissent pas Charles Péguy, Georges Bernanos, Pierre Mendès France, Jean Marcel Jeanneney, Fernand Braudel et compagnie contrairement à Aya Nakamura et sa prestation flamboyante aux JO de Paris. Mais bon, la mode est plutôt aux selfies, à l'autosatisfaction que les activités saines pour l'esprit que sont la lecture et la réflexion . <br /> <br /> Bonne soirée. <br /> <br /> Bien cordialement. <br /> <br /> Yannick.
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R
Bonjour Yannick,<br /> <br /> Je vous remercie de votre commentaire qui, comme à chaque fois, est très bien argumenté et rempli de références de qualité ! Cela me fait penser aux analyses de Simone Weil et Hannah Arendt sur la nécessité de se nourrir du passé pour assurer une continuité de la civilisation. Hélas, actuellement, l'acmé de la politique se résume trop souvent à de la communication sur le présent et sur un vague progrès aux formes inquiétantes, le tout mâtiné d'un grand déni des faits... Vous citiez <br /> Charles Péguy, je ne peux ainsi pas m'empêcher de penser à sa célèbre invocation : "Il faut toujours dire ce que l'on voit ; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit".<br /> <br /> Bien cordialement,<br /> <br /> RD

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