Alors que mon précédent article analysait les conséquences économiques, sociales et politiques de la censure du gouvernement Barnier, voilà que le gouvernement Bayrou semble tout aussi mal engagé, et ce avant même l'annonce officielle de sa composition et le discours de politique générale du Premier ministre. C'est dans ce genre de situations que la communication politique trouve sa quintessence, en se substituant plus ou moins habilement à l'absence de vision des "demi-habiles", si bien décrits par Pascal dans ses Pensées...
Dans cet article, il ne s'agit pas de faire une étude exhaustive de la communication - c'est déjà très bien fait par ailleurs, notamment en politique -, mais juste de relever quelques phrases types de cette nouvelle "ère du vide" comme l'aurait très certainement qualifiée Gilles Lipovetsky, lui qui a étudié la bascule vers le postmodernisme caractérisé par la montée de l'individualisme roi, de l'indifférence et du narcissisme. Langue de bois, éléments de langage, "langue caoutchouc" (cf. Jean-Pierre Le Goff), langue politiquement correcte... Toutes ces manières de remodeler la langue française au nom d'une bienséance indéfinissable ont en commun son appauvrissement, qui nuira forcément aux relations humaines tant la langue française offre de nuances pour dire des choses parfois délicates à exprimer.
La communication en action
Plutôt qu'un long discours, voici un tableau de quelques expressions, mots, tics et usages de la communication (souvent politique où elle fait tache d'huile), tableau qui ne demande qu'à être complété :
Communication | Vraie vie |
Je vais vous le dire clairement | Je ne dis rien, mais je multiplie les phrases à rallonge pour vous perdre |
Je le dis avec gravité | C'est le seul point de ma communication qu'il faut retenir |
Les Français veulent que... | Argument d'autorité invoqué à défaut de mieux pour justifier une politique |
Brainstormer | Réfléchir ensemble, mais dit en anglais c'est tellement mieux |
Storytelling | Manière de vous raconter une histoire plus ou moins crédible pour justifier un événement (vente, guerre, décision politique...) |
(Faire un) feedback ou retour | Donner son impression ou son avis |
Du coup | Deux mots qui appauvrissent la langue et ont littéralement carbonisé les conjonctions comme "donc", "par conséquent", "de ce fait"... |
En responsabilité | Manière péremptoire de commencer une phrase en politique, alors que cela ne veut rien dire et pourrait être utilement remplacé par "en toute conscience" |
Briefer | Informer |
Débriefer | Faire le bilan |
Changer de logiciel politique | Changer de politique, mais avec une référence technophile vous êtes dans le coup... |
C'est inscrit dans notre ADN | C'est notre marque de fabrique |
Drivers | Petites phrases censées influencer inconsciemment votre comportement et que l'on vous répète comme un mantra : "tout ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort", "quand on veut, on peut"... |
Punchline | Phrase choc recherchée par tout politique qui veut exister médiatiquement, car elle sera reprise en boucle sur les réseaux sociaux |
Assistanat | Mot détourné de son acception d'origine et servant désormais à caractériser tous ceux qui seraient trop aidés par l'État sous forme notamment d'allocation |
Famille politique | Nouvelle façon d'appeler les partis politiques depuis que les citoyens ont perdu quasiment toute confiance en eux |
Légitimité | Mot utilisé par tous ceux qui ne savent plus comment justifier leur place au pouvoir, invoquant pour ce faire l'onction démocratique, leurs compétences ou l'omniscience |
Démocratie | Mot-valise invoqué pour défendre le système électoral et le résultat des élections, mais que chacun interprète à sa sauce jusqu'à désigner le contraire de ce qu'il est étymologiquement censé désigner |
En vérité | Expression utilisée pour prévenir que la phrase qui va être prononcée est un gros mensonge |
Les yeux dans les yeux | Comble de la malhonnêteté depuis l'affaire Cahuzac |
Redressement | Austérité et autres mesures difficiles |
Laïcité | Mot utilisé à tort et à travers, trop souvent pour mettre ko un adversaire, quasiment toujours par des personnes qui ignorent tout de la laïcité et de son lien avec la République |
Issue de la diversité | Étranger, immigré |
En situation de handicap | Handicapé |
Il nous faut apprendre à travailler ensemble | Depuis la dissolution, aveu d'impuissance politique qui revient à demander aux uns de tout accepter des autres afin de poursuivre la même politique par d'autres voies (voix ?) |
Assises, conférence sociale, convention, grand débat... | Ces mots désignent trop souvent des procédés dilatoires justifiant l'inaction, puisque l'on discute |
Guerre | Mot utilisé pour qualifier toute situation économique, politique ou sociale compliquée |
Respect | Tout le monde le revendique pou soi, sans l'appliquer forcément aux autres |
Ne m'agressez pas ! | Phrase permettant d'interrompre toute discussion dès qu'elle devient passionnée et, enfin, constructive |
Restructuration | Fermetures de sites et licenciements |
Compétitivité | Cause au nom de laquelle tout est permis, même mettre des salariés à la rue ou s'affranchir des règles européennes |
Réforme politique | Souvent synonyme de régression sociale pour le plus grand nombre |
Politiquement correct | Ensemble de phrases et de périphrases, euphémismes et tabous utilisés pour supprimer de la langue des mots jugés contraires à la bienséance en société |
Langue de bois | Ensemble de mots-valises et de stéréotypes qui dénotent l'absence de réelles idées sous-jacentes et ne servent donc qu'au bavardage, fonction très utile en politique pour justifier l'inaction |
La langue de bois en action
En cette fin d'année, faites-vous plaisir en regardant pendant quelques minutes ce célèbre extrait où Franck Lepage nous montre comment, avec quelques mots, n'importe quel politique peut dire n'importe quoi avec assurance et pédantisme :
Joyeuses fêtes tout de même !
Les fêtes de fin d'année restent associées à une vision familiale, joyeuse et souvent festive. Mais, indéniablement, les difficultés s'accumulent pour les ménages, les entreprises et la société dans son ensemble. C'est du reste la notion même de société qu'il faudrait peut-être interroger. Quoi qu'il en soit, les fêtes sont un bon moment pour (re)prendre son souffle et se re(sourcer).
Comme je le répète chaque année, une "polycrise" (cf. Edgard Morin) devrait être l’occasion de se poser des questions et de changer tout à la fois nos modes de production, nos modes de vie et avant tout nos façons de penser. Certains appellent cet exercice une "décolonisation" de nos modes de pensées (et de faire) ou une "résistance intellectuelle", mais l'on peut aussi sobrement le qualifier d'exercice de pensée critique ou de libre pensée...
Nous verrons ce que 2025 nous réserve, mais pour l'heure, je vous souhaite de joyeuses fêtes de fin d'année et vous remercie de suivre mon blog !