Beaucoup de personnes m'écrivent depuis hier pour comprendre ce qui se passe avec la Société Générale. Je rédige donc ce billet pour donner quelques éléments d'explication. Tout d'abord les faits : un salarié de la Société Générale vient de faire perdre près de 5 milliards d'euros (sic !) à la banque par des manoeuvres frauduleuses. Cette information n'a bien évidemment été divulgué que tardivement. Je dis bien évidemment, car en plus d'être un coup dur pour la banque, c'est aussi un coup pour l'économie et les marchés boursiers. En effet, le pire scénario pourrait voir le jour si les épargnants retiraient leur confiance à leur banque. On assisterait alors à une crise de liquidité un peu comme celle de la Northem Rock en Grande-Bretagne (souvenez-vous de ces épargnants qui formaient de longues files pour récupérer leurs avoirs). Mais, plus grave encore, si les marchés en viennent à douter de la fiabilité des contrôles opérés par la Société Générale, celle-ci pourrait se retrouver isolée sur le marché interbancaire, et conduire au même risque d'illiquidité (voire d'insolvabilité si le scénario va jusqu'à son terme).
N'oublions pas qu'entre 2006 et 2007, la Commission bancaire a effectué dix-sept contrôles au sein de la Société générale. Aucun d'entre eux n'a permis de détecter la fraude... De plus, lorsqu'on connaît un peu le fonctionnement des marchés dérivés, on imagine mal un seul homme réussir à lever autant de fonds sans éveiller de soupçons. Pour faire simple, disons que sur ce type de marchés, il existe une contrepartie à fournir en garantie lorsque les montants deviennent très élevés. On appelle cela l'appel de marge. Ainsi, s'il travaillait sur un montant de 50 milliards d'euros de dérivés d'actions (c'est le montant probable dont parle les médias), il aurait dû verser un appel de marge substantiel de plusieurs millions d'euros à une société financière extérieure à la banque et qu'on nomme chambre de compensation. Première question : comment aurait-il trouvé l'argent discrètement ? En outre, pour dissimuler ses ordres, la banque a déclaré que le trader piratait le système informatique dans le but d'effacer ses positions aux yeux des contrôleurs. Très bien, mais comme nous l'avons dit, il a dû passer par une chambre de compensation extérieure à sa banque. Comment a-t-il pu alors intervenir dans les systèmes des chambres de compensation chargées d'effectuer le règlement et la livraison des titres sans se faire remarquer ?
Alors, exagération de ma part, ou scénario possible ? Je rappelerais juste que ce scénario a déjà trouvé sa pire issue avec le trader Nick Leeson, qui faisait de l'arbitrage sur le marché asiatique SYMEX. Par ses mauvaises positions, il commença à perdre de l'argent qu'il couvrit par des manoeuvres frauduleuses. Le tout déboucha sur une perte de 1,4 milliards d'euros pour la banque Baring's qui fit faillite. C'est à partir de cette époque que les contrôle sur les marchés se sont intensifiés car, là encore, personne n'avait vu l'ogive arriver... Cela me rappelle ces mots de Jean de la Fontaine : "Je le répète, et dis, vaille que vaille, le monde n'est que franche moutonaille".