J'avais écrit il y a quelques jours un billet sur le prix des matières premières agricoles. J'avais notamment expliqué que les envolées de prix que nous connaissons depuis quelques temps risquent de conduire à des troubles (et des émeutes) dans beaucoup de pays du monde. Aujourd'hui, je complète mon analyse en disant quelques mots sur la spéculation qui touche les matières premières agricoles.
Pour commencer, un fait évocateur de la situation : à Chicago, sur la tonne de blé, on a constaté à la fin de l'hiver des variations de plus de 100 dollars au cours d'une même séance, soit environ 20 % de la cotation du jour, selon l'Office national interprofessionnel des grandes cultures (ONIGC), un organisme public qui surveille l'évolution des marchés. Pour exprimer de manière chiffrée le niveau des variations de cours, on utilise le concept de volatilité. Pour faire simple, on peut dire que c'est une valeur mesurant la propension d'un actif (action, taux d'intérêt, cours du blé...) à varier significativement à la hause ou à la baisse. Plus cet actif à tendance à varier fortement sur une courte période de temps, plus cet actif est dit volatile. Mathématiquement, la volatilité est définie comme un écart-type, mais cela n'apporte rien de plus à mon analyse ici.
Revenons à notre sujet : pourquoi la volatilité est-elle si importante à étudier pour les matières premières ? Principalement parce qu'elle engendre de l'incertitude qui, comme je l'ai déjà rappelé sur ce blog, est le pire ennemi de l'investisseur sur un marché. Cette volatilité rend ainsi la tâche des industriels de l'agroalimentaire complexe et risquée. Les meuniers, par exemple, sont perturbés dans leurs politiques d'achat : quand le prix de la tonne de blé pouvait varier de quelques euros, désormais la différence peut s'élever de 20 à 30 euros.
Bien entendu, il ne faut pas perdre de vue que l'agriculture est par nature une activité volatile, car l'offre dépend des aléas climatiques et des anticipations de chaque agriculteur. De plus, le marché des céréales est très étroit : seulement 17,2 % de la production de blé sont exportés, 12,5 % du maïs et 7 % du riz. Par conséquent, au moindre déséquilibre, les cours varient considérablement. Mais ce que l'on connaît depuis ces derniers mois est bien plus inquiétant. Il s'agit en effet d'une envolée de prix couplée à une très grande volatilité qui ne peut s'expliquer uniquement par les facteurs cités ci-dessus. Je dénombre deux grandes explications :
* De nombreux pays producteurs, soucieux de garantir une alimentation accessible à leur population, ont bloqué ou limité leurs exportations, d'abord de blé (Ukraine, Argentine...) puis de riz (Vietnam, Inde...). Quant à la Chine, redoutant la pénurie, elle tente de constituer des stocks stratégiques. Je ne parle même pas des agrocarburants qui détournent les matières premières agricoles de leur utilisation vivrière.
Pour illustrer mon propos, je vous propose un graphique de la FAO représentant l'évolution du stock de blé mondial :
* Le grand MAL a un nom : la spéculation. En effet, les fonds d'investissement se sont engouffrés sur les marchés agricoles depuis 2004 environ, provoquant une amplification de la volatilité. Ces fonds spéculent sur les cours au moyen de produits financiers sophistiqués que l'on appelle des dérivés (futures, options,...) et que l'on trouve sur le marché à terme. Ainsi, à Paris, le nombre des contrats sur le blé est passé, de 2005 à 2007, de 210 000 à 970 000 ! Certains vont même plus loin, en ne se contentant plus d'opérer uniquement sur les marchés à terme. Ils achètent par exemple des terres ou des silos à grains en Afrique, en Amérique du Sud, en Ouzbékistan ou au Kazakhstan.
Voici ci-dessous un graphique de la FAO représentant l'évolution du nombre de contrats à terme du blé au CBOT (Chicago Board of Trade, qui est la bourse où s'échangent les contrats sur les matières premières) :
La catastrophe à venir avec les fonds spéculatifs est la suivante : étant à la recherche de placements rentables, rien ne les empêche de passer d'un actif à l'autre au gré des arbitrages internes de rentabilité. Ainsi, si demain le blé ne leur semble plus être un actif rentable, ils pourront très facilement solder leurs positions sur ces contrats et investir leur argent sur d'autres actifs comme le pétrole ou l'or. Leur retrait massif provoquerait alors une chute des cours, ce qui conduirait les producteurs à délaisser la culture faute de prix rémunérateurs. Cela déboucherait finalement sur une aggravation de la crise alimentaire mondiale...