Le plus populaire des prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz, a livré au quotidien Le Monde son analyse de la crise de l'euro. Pour mémoire, il a été conseiller économique du président Bill Clinton (1995-1997) et chef économiste de la Banque mondiale (1997-2000). Je vous propose quelques extraits de son analyse avec mes commentaires personnels en gras :
* A la question que pourrait faire l'Europe ?, il répond : "Elle pourrait par exemple créer un fonds de solidarité pour la stabilité, comme elle a créé un fonds de solidarité pour les nouveaux entrants. Ce fonds, qui serait alimenté dans des temps économiques plus cléments, permettrait d'aider les pays qui ont des problèmes quand ceux-ci surgissent". Il s'agit des prémices d'un fédéralisme européen qui se révèle indispensable.
"L'Europe a besoin de solidarité, d'empathie. Pas d'une austérité qui va faire bondir le chômage et amener la dépression. Aux Etats-Unis, quand un Etat est en difficulté, tous les autres se sentent concernés. Nous sommes tous dans le même bateau. C'est d'abord et avant tout le manque de solidarité qui menace la viabilité du projet européen". Constat sans appel : l'Allemagne, entre autres, fait cavalier solitaire au sein de l'Union européenne. Quand on pense qu'il a fallu trois mois de discussions pour venir en aide à la Grèce, laissant ainsi planer le doute que la zone euro était incapable de parler d'une seule voix et donc de se défendre contre des chocs (symétriques dans le cas d'espèce).
* A la question prônez-vous une sorte de fédéralisme ?, sa réponse est sans ambages "Oui". Il va même plus loin en déclarant que "le problème, c'est que les États membres de l'UE n'ont pas tous les mêmes croyances en termes de théorie économique. Nicolas Sarkozy a eu raison de faire pression sur Angela Merkel pour la forcer à payer pour la Grèce. Nombreux sont ceux qui, en Allemagne, s'en remettent totalement aux marchés. Dans leur logique, les pays qui vont mal sont responsables et doivent donc se débrouiller". Si seulement les spécialistes de la doxa libérale pouvaient enfin admettre que les marchés ne s'autorégulent pas comme ils l'affirment... A bien y réfléchir, la situation est ubuesque : les États se sont endettés pour sauver les banques, et aujourd'hui le système financier leur reproche leur endettement excessif. Et lorsque l'on fait croire que l'on cherche à sauver la Grèce, ne sont-ce pas à nouveau les banques étrangères créancières de la Grèce que l'on aide à grand renfort de fonds publics ?
Joseph Stiglitz juge aussi les plans de rigueur imposés aux différentes économies : "aujourd'hui, ces pays ne s'en sortiront que si la croissance européenne revient. C'est pour cela qu'il faut soutenir l'économie en investissant et non en la bridant par des plans de rigueur". Les lecteurs de mon blog savent combien je critique ces plans de rigueur parfaitement insoutenables politiquement et socialement, même à court terme. On se dirige vers un défaut de l'État grec qui, en l'absence de croissance, verra sa situation se dégrader encore un peu plus d'ici à 2012/2013... ce qui empêchera la Grèce de répondre aux conditions fixées aujourd'hui par les autres pays de la zone euro pour lui venir en aide (notamment sous forme de garanties). Il y a donc eu erreur sur le diagnostic : les pays de la zone euro ont soigné un problème d'illiquidité en lieu et place d'un problème d'insolvabilité...
* A la question fatidique pensez-vous que la viabilité de l'euro soit menacée ?, une partie de sa réponse ne peut être que pessimiste au vu du contexte actuel : "j'espère que non. Il est tout à fait possible d'éviter que la monnaie unique ne périclite. Mais si on continue comme ça, rien n'est exclu. Même si je pense que le scénario le plus probable est celui du défaut de paiement. Il y a un moment où Athènes, Madrid ou Lisbonne se posera sérieusement la question de savoir s'il a intérêt à poursuivre le plan que lui ont imposé le Fonds monétaire international (FMI) et Bruxelles. Et s'il n'a pas intérêt à redevenir maître de sa politique monétaire". L'idée d'une sortie de la zone euro ne lui paraît donc pas impossible si les pressions sociales et politiques devenaient trop fortes... En effet, les conditions drastiques imposées au budget de l'État grec conjuguées à des tensions sociales fortes, dans un pays où les plus jeunes n'ont que très peu de possibilité de gagner leur vie, risquent de conduire à des émeutes qui appelleront des solutions politiques souveraines.
N.B : de l'autre côté de la Manche, la coalition conservateurs/libéraux-démocrates à la tête du Royaume-Uni a annoncé 6,2 milliards de livres (7,19 milliards d'euros) de coupes budgétaires pour endiguer les 156 milliards de livres (181 milliards d'euros) de déficit public. Sans entrer dans tous les détails, on peut retenir que 200 millions de livres seront économisés en rognant sur les budgets universitaires... exactement le contraire de ce qu'il faudrait faire pour relancer l'économie !