Après les plans d'austérité et la crise politique dont les dernières élections législatives ne furent que le énième avatar, voici que l'on évoque un bank run en Grèce.
De quoi s'agit-il ?
Le bank run est une expression anglaise qui signifie ruée ou panique bancaire. Il fait suite à un phénomène déclencheur (rumeur quand tu nous tiens...), qui pousse certains clients d'une banque à retirer au plus vite leurs dépôts de peur que celle-ci ne fasse faillite. Or, si tous les clients se mettent à faire de même, ce que l'on appelle du mimétisme, alors la banque court le risque d'être à court de liquidités (car elle ne possède pas assez de billets pour rembourser tout le monde) et devenir effectivement insolvable, même si elle ne l'était pas au début. C'est précisément ce que l'on appelle une prophétie auto-réalisatrice.
Quelles sont les conséquences ?
Potentiellement très grave, puisque les banques en manque de liquidités devront être secourues soient par d'autres banques, soient par des institutions internationales (FMI, Banques centrales, etc.)... soit par l'État comme ce fut le cas lors de la crise des subprimes, où les États sont allés jusqu'à nationaliser des banques et offrir de confortables garanties des dépôts (100 000 euros au sein de l'Union européenne pour les espèces, jusqu'à 250 000 dollars au plus fort de la crise des subprimes aux États-unis).
On a encore en mémoire le cas de la banque anglaise Northern Rock qui, avant d'être nationalisée, dut faire face en 2007 à un phénomène de bank run qui fut stoppé par les liquidités et la garantie sur la totalité des dépôts offertes par la Banque d'Angleterre :
On pense également à la vidéo d'Éric Cantona qui expliquait que l'on pouvait faire la révolution en retirant notre argent des banques pour faire s'effondrer le système. Cette vidéo avait fait le tour du monde (le buzz comme on dit sur le net), sous-titrée en plusieurs langues ! Les moyens de communication modernes avaient ainsi permis de réunir, sur un groupe Facebook, plus de 37 000 personnes qui s'étaient engagées à retirer leurs économies mardi 7 décembre 2011. Finalement, la montagne accoucha d'une souris et les retraits furent loin d'êtres significatifs.
La Grèce connaît-elle un bank run ?
Le lundi 14 mai, les retraits d'argent dans les banques grecques ont dépassé les 700 millions d'euros, ce qui a tenu en haleine hellène toutes les banques centrales du monde. Au total, depuis les élections du 6 mai, les Grecs auraient retiré entre 2,5 et 3 milliards d'euros de leurs comptes en banque. Précisons également que depuis le début de la crise en 2009, les dépôts des banques grecques ne cessent de fondre, les retraits avoisinant les 2,5 milliards d'euros par mois en moyenne ! Ainsi, ce tableau montre que les dépôts domestiques sont passés de 226 milliards d'euros en janvier 2011 à 179 milliards en mars 2012.
D'après l'ancien ministre des finances, ce sont quelque 16 milliards d'euros qui auraient quitté la Grèce pour aller prendre le soleil en Suisse et surtout au Royaume-Uni (le soleil britannique brille toujours sur la City de Londres, c'est bien connu). Il est vrai que la garantie des dépôts offerte par l'État grec ne pèse pas très lourd dans le choix des clients bancaires, comme on peut facilement s'en douter...
[ Source : FranceTV info ]
Ce phénomène de retrait s'explique d'abord par la crainte de voir les banques grecques faire faillite : elles se portent si mal que les quatre plus grandes banques grecques vont être racapitalisées pour un total de 18 milliards d'euros, afin qu'elles puissent au moins retourner au guichet de la Banque centrale européenne (BCE). Il semble en effet que peu de médias aient relayé l'information la plus importante des 15 derniers jours : la BCE avait cessé de fournir des liquidités à certaines banques grecques en raison de leur sous-capitalisation...
Mais la crainte d'un retour à la drachme pousse aussi les Grecs à conserver des bas de laine en euros, sachant que la nouvelle monnaie nationale sera fortement dévaluée par rapport à l'euro (50 % semble être une estimation sérieuse). En outre, lorsque le climat économique et politique se dégrade dans un pays, les gens préfèrent avoir des liquidités pour payer, ce qui n'est pas sans rappeler la préférence pour la monnaie dont parlait déjà Keynes.
La sortie de la Grèce de la zone euro est désormais prise au sérieux par nombre d'observateurs et pas seulement les clients des banques grecques. Cela démontre au passage que l'attitude des déposants en Grèce est on ne peut plus rationnelle. Que feriez-vous en effet, si l'on vous annonçait que l'État grec a dans ses cartons un plan de gel des capitaux si d'aventures les retraits devenaient trop importants ? Et qu'ensuite on vous disait que les grands groupes bancaires mondiaux comme Citigroup, Barclays, HSBC ont déjà adapté leurs systèmes à une réintroduction de la drachme ? Bref, que feriez-vous si on vous disait que plus personne n'y croit vraiment ? C'est pourtant ce qui se passe actuellement...
Je ne pouvais finir ce billet sans évoquer l'idée acrobatique proposée par un banquier de la Deutsche Bank : instaurer une deuxième monnaie en Grèce (le Geuro), circulant parallèlement à l'euro, mais réservée uniquement aux échanges internes à la Grèce. Pour faire simple, cela signifie que la Banque centrale de Grèce émettrait des Geuros dévalués de 50 % par rapport à l'euro, de sorte que la Grèce resterait dans la zone euro mais pourrait améliorer sa compétitivité. Le taux de change du Geuro contre l'euro serait alors lié au niveau du déficit budgétaire primaire de l'État, ce qui entraînera mécaniquement une réévaluation du Geuro chaque fois que le déficit s'améliorera, avec l'ambition à terme de faire converger les deux monnaies vers l'euro.
Le problème avec de tels systèmes économiques, expérimentés notamment à Cuba, est d'arriver à obtenir une crédibilité sur moyen terme. Mais sur le long terme, une telle solution sera difficile à tenir car il se créera des inégalités encore plus marquées entre ceux qui auront accès aux échanges internationaux avec leurs euros, et l'immense majorité qui ne pourra vivre qu'avec la monnaie interne et devra donc se contenter probablement des pénuries et rationnements divers. En fin de compte, si le déficit public ne se résorbe pas et si la grogne sociale rend le système intenable, alors la Grèce devra tout de même faire défaut et quitter la zone euro... mais avec un coût bien plus élevé !
Pour ma part, à défaut de trouver un accord sur un véritable fédéralisme européen, capable de piloter les composantes politiques, économiques et sociales de l'Union européenne, je rejoins jacques Sapir lorsqu'il préconise une démondialisation au niveau de l'Europe avec tout ce que cela impose comme changements monétaires et économiques.
En définitive, s'il est vrai que la Grèce a besoin de capital pour relancer son économie, c'est surtout d'un capital politique qu'elle manque afin de redonner aux citoyens la confiance dans leur pays !