L'État français vient clairement de montrer qu'il souhaitait reprendre la main dans le dossier du nucléaire, en remplaçant Anne Lauvergeon par Luc Oursel, un des trois directeurs généraux délégués d'Areva, malgré la contre-offensive interne lancée par les membres du comité exécutif, qui ont remis une lettre à Jean-Cyril Spinetta (président du conseil de surveillance d'Areva) pour faire part de leur souhait de garder Anne Lauvergeon à ses fonctions.
Mais depuis que le Président de la République préside le Conseil de politique nucléaire (CPN), le poids de l'État devient très important dans la filière nucléaire (à tort ou à raison d'ailleurs, des arguments pertinents sont évoqués de part et d'autre) et personne n'est dupe qu'Anne Lauvergeon paye certainement tout à la fois son inimitié avec le chef de l'État et sa volonté de conserver l’indépendance d'AREVA vis-à-vis d'EDF dans la mise en place de la grande filière nucléaire à la française.
Mais qu'en est-il du réacteur EPR de troisième génération ? Après l'échec cuisant d'Abou Dhabi en 2009, où la France a perdu un contrat de 20 milliards de dollars en raison de dissensions entre Areva et EDF notamment, l'EPR est désormais présenté comme un réacteur plus cher... mais plus sûr ! Mais je ne suis pas certain que dans le contexte de l'après-Fukushima, un tel argument puisse avoir un quelconque poids à court terme. D'autant qu'avant même la catastrophe au Japon, AREVA n'avait réussi à vendre que trois exemplaires de son réacteur (2 en Chine et 1 en Finlande, avec des retards de construction qui se chiffrent désormais en années et en milliards d'euros...).Et le récent rejet de l'énergie nucléaire par les Italiens, lors d'un référendum qui tenait surtout lieu de rejet de la politique de Berlusconi, ne fait qu'ajouter à la morosité d'EDF et AREVA qui espéraient pouvoir exporter plusieurs EPR dans ce pays, après le coup dur de l'annonce par l'Allemagne de l'abandon de l'énergie nucléaire à l'horizon 2022.
Avant de nous intéresser aux conséquences économiques de cet abandon de l'énergie nucléaire, je laisse au lecteur le soin d'examiner les graphiques ci-dessous, qui montrent la part de chaque source d'énergie dans la demande mondiale d'énergie primaire et son évolution sur long terme :
Part de chaque source d'énergie dans la demande mondiale d'énergie primaire
[ Source : Agence Internationale de l'Énergie ]
Evolution constatée de la consommation totale d'énergie commerciale (c'est-à-dire hors bois), depuis 1860
en millions de tonnes équivalent pétrole (une tonne équivalent pétrole = 11600 kWh)
[ Source : Manicore, 2003 ]
La sortie du nucléaire décidée par l'Allemagne aura de nombreuses conséquences qu'Élie Cohen a bien expliquées :
* la France va devenir malgré le grand exportateur d'énergie nucléaire de l'Europe, ce qui nécessitera la construction et le renforcement des réseaux transfrontaliers de transport d'électricité.
* les pays sortant du nucléaire et qui misent sur les énergies renouvelables vont accroître leurs importations d’énergie nucléaire provenant principalement de la France, essentiellement pour sécuriser les sources intermittentes de production d’énergie (éoliennes, solaire). Les politiciens allemands pourront toujours arguer qu'ils n'ont plus de centrales nucléaires, mais omettront certainement de dire qu'ils importent de ce fait de l'énergie nucléaire du voisin...
* la dépendance de l'Union européenne au gaz russe va se renforcer (ainsi que sa dépendance aux énergies fossiles)
* le prix de l’énergie pour le consommateur va probablement s'élever rapidement
Bref, les gouvernants devraient plutôt s'intéresser à la manière d'économiser de l'énergie par des changements structurels de consommation énergétique, avant de vouloir simplement et de manière utopique substituer une source à une autre. Bien entendu, à ces considédations purement économiques vient se greffer la question primordiale de la sécurité. Mais celle-ci doit être traitée de manière rationnelle et non sur le coup d'une émotion.
Quant au projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER), celui-ci reste pour l'instant dans les limbes et la première expérience à Cadarache est désormais repoussée à... 2020 au plut tôt ! Ce qui n'a pas empêché d'engloutir 16 milliards d'euros pour la construction de l'infrastructure, contre 5,8 prévus au lancement en 2001, l'Union européenne étant à la peine pour verser sa contribution qui s'élève à 45 %. La Commission européenne n'étant jamais à court d'une mauvaise idée, elle avait proposé de prélever les 1,3 milliard d'euros nécessaire pour le financement supplémentaire des 2 prochaines années sur les budgets européens de la recherche et de l'agriculture. Elle avait juste oublié que le budget européen était ridiculement maigre et que le soutien aux agriculteurs suite à la sécheresse et la bactérie E.coli allait engloutir des centaines de millions d'euros !
Mais nous devrions nous rassurer, car d'après ce que l'on peut lire dans les communiqués de presse de l'ITER, le personnel fait un effort de son côté et ne voyage plus qu'en classe éco ! Si le coeur vous en dit, vous pouvez même suivre l'avancement du chantier par webcam sur leur site, à condition d'être patient pour voir une évolution significative jusqu'en 2020 à la vitesse d'un rafraîchissement de l'image toutes les 10 secondes...
Enfin, se pose aussi - et surtout comme nous l'avons dit plus haut - la question de la sécurité des installations, que Monsieur Besson semble vouloir éluder d'un revers de micro sur M6 :