Après cette semaine de conférences et de dédicaces, retour à l'économie. Il semblerait que l'accord à minima entre les pays de la zone euro pour sauver la Grèce ait calmé les marchés financiers pour quelques jours. Néanmoins, cela n'empêche pas de voir fleurir des commentaires à l'objectif plus médiatique qu'analytique. C'est le cas, par exemple, des quatre minutes de panique qu'offre Jean-marc Vittori aux lecteurs du quotidien Les Échos. Dans cette petite vidéo, intitulée "le contrôle de la dette publique a été aux racines de la démocratie", l'éditorialiste cherche maladroitement à analyser la situation en Grèce en énonçant ses vues sur la faillite d'un État. Voici ci-dessous cette vidéo accompagnée de mes commentaires :
* "Aux yeux des marchés financiers, le Trésor français est plus dangereux, entre guillemets, que Total ou Auchan" : voilà typiquement le genre d'aberrations que l'on entend de plus en plus, même sans guillemets ! Ce n'est pas parce que 3 grandes agences PRIVÉES de notation financière (Standard and Poor's, Moody's et Fitch) décident de donner une note à la dette d'un État que celui-ci devient pour autant l'équivalent d'une entreprise. Bien au contraire, l'État reste une entité souveraine et ne peut donc pas être mis en liquidation judiciaire... Par conséquent, dire (avec ou sans guillemets d'ailleurs) qu'un État est plus ou moins dangereux qu'une entreprise, c'est faire preuve d'une totale confusion des concepts. A un moment où bon nombre de citoyens finissent déjà par croire que la vertu pour un État consiste à avoir des comptes à l'équilibre (ramenant dès lors fautivement la gestion de l'État à celle du budget d'un ménage), il serait de bon ton de ne pas ajouter à la confusion ambiante...
* "jusqu'à présent, l'obligation d'État était le produit absolument sûr" : sauf au Mexique en 1995, en Argentine en 1998, en Russie en 1998, etc.
* "jusqu'à la fin du XVIIe siècle, les États faisaient très souvent faillites" : je ne savais pas que les marchés financiers et les OAT existaient déjà à cette époque ? On ne peut pas mettre sur un même plan les emprunts en or et les dettes obligataires notées par des agences privées. Ai-je d'ailleurs besoin de rappeler que ce sont ces mêmes agences de notation qui notaient comme presque sûr des titres pourris liés aux subprimes ? Et que quelques temps avant la faillite de General Motors, elles maintenaient une note très élevée à la dette de cette entreprise tout en dégradant celle de certains États européens ? Selon Jean-Marc Vittori, l'État français a souvent fait faillite. Mis à part que le mot faillite n'existe pas au sens juridique pour un État, je rappelle que lorsqu'on manquait d'or à cette époque, soit on allait le chercher par des conquêtes (Napoléon 1er en est le modèle après la Révolution, mais les rois de France l'avait déjà compris avant), soit on levait de nouveaux impôts... il y a également, mais au prix de quelques trahisons, la méthode Talleyrand de nationalisation. Le propos me semble donc excessif car le mot faillite ne signifie absolument pas mise sous tutelle des biens de l'État. Mais l'éditorialiste se rattrape rapidement en nous disant qu'à cette époque la faillite se traduisait par "quelques guerres qui seront annulées et une Cour qui aura un peu plus de mal". Si ce n'est que cela la faillite d'un État, alors je suis preneur...
* Son interlocuteur lui pose une question qui débute par "si l'État devient un emprunteur comme un autre" : non, non et re-non ! L'État ne sera jamais un emprunteur comme un autre car il peut décider unilatéralement de ne plus rembourser ses dettes et, surtout, il peut toujours augmenter les impôts ! En outre, l'État a la possibilité (en théorie) d'emprunter au même taux qu'il prête et même de ne rembourser que les intérêts d'un emprunt à l'exclusion du capital. Sont-ce vraiment là les caractéristiques d'un emprunteur comme les autres ?
* "en parallèle des difficultés à rembourser les dettes de l'État, les parlements deviennent extrêmement peu crédibles" : rassurons Jean-Marc Vittori sur ce point. Les parlements ne sont plus crédibles aux yeux de l'opinion publique depuis fort longtemps... même en France (voir le baromètre de la confiance politique édité par le CEVIPOF et dont vous trouverez ci-dessous un extrait). Et cela n'a pas était nécessairement lié à la dette publique.
[ Source : baromètre de la confiance politique, décembre 2009. Cliquer pour agrandir ]
Le reste de son "analyse" n'est en fait qu'une succession de banalités sur l'évolution de la démocratie, où il parle pêle-mêle de démocratie participative, d'ONG, etc. Tout ça pour en arriver au constat suivant : "avec la faillite des États, il va falloir que naisse une nouvelle forme de politique et de démocratie". Et de conclure "ce qui est angoissant, c'est qu'on ne sait absolument pas laquelle aujourd'hui" ! Fermer le ban.
Pour ma part, ce qui m'inquiète le plus, ce n'est pas de savoir quelle forme la démocratie prendra mais plutôt si la démocratie survivra. Car les instabilités sociales, politiques et économiques ont de tout temps fait le lit de la dictature...