J'ai récemment rendu compte dans un billet de mon blog des pluies, orages, tornades et tsunamis qui ont déferlé sur le monde bancaire depuis quelques semaines. Le nirvana a été atteint avec la falsification du taux LIBOR, puisque le marché des contrats de dette indexés sur le LIBOR atteint 450 000 milliards de dollars... Cela en fait donc le plus grand scandale financier de tous les temps, qui verra certainement de nombreuses banques mises en cause ainsi que des régulateurs trop complaisants !
J'avais conclu mon billet en expliquant pourquoi il n'y avait point de salut à attendre de la prétendue re-régulation financière (Dodd-Frank, Volcker,...). L'argument principal était que les efforts actuels de régulation n'ont pas pour finalité d'éviter une nouvelle crise, mais tout au plus d'empêcher que ses effets ne soient trop violents. Dit autrement, les gouvernements se soumettent donc volontairement aux injonctions de la finance !
Or, force est de constater que les activités de marché sont désormais tenues par un oligopole constitué de quelques grandes banques internationales (Goldman Sachs, JP Morgan Chase, HSBC, Barclays, UBS, BNP, pour n'en citer que quelques unes), qui deviennent de facto des établissements systémiques c'est-à-dire dont la défaillance pourrait affecter l'ensemble du système financier mondial à l'instar de Lehman Brothers. Il est donc naïf de croire que les "marchés financiers" dont on ne cesse de parler dans les médias représentent des entités anonymes ou des boîtes noires...
Ces quelques banques qui forment l'oligopole ont besoin, pour survivre, d'étendre leur influence dans la sphère politique afin de s'assurer que les lois votées ne remettent pas en cause leur suprématie. D'où d'une part les actions de lobbying qui sont menées contre toute forme de régulation et qui aboutissent à vider ces lois de leur substance, et d'autre part le contournement des lois déjà en vigueur par le biais d'innovations financières parfois subventionnées par les États eux-mêmes (pensez au crédit impôt recherche en France) !
Pourtant, et c'est là un constat ubuesque, lorsque le coeur du système financier mondial fut touché par la crise des subprimes en 2007/2008, les États sont venus secourir les banques qui ont fait une hypertrophie de produits dérivés avant que ces dernières ne reprochent aux États d'être trop endettés ! Cette hypertrophie de la finance est du reste une réalité quantifiable : les volumes de transaction sur produits dérivés sont devenus très dangereux et ne correspondent plus uniquement à des logiques de couverture de risques. Bien au contraire comme le montre le tableau ci-dessous, qui présente les flux dans la sphère économique mondiale en milliers de milliards de dollars (appelés trillions par les Américains et parfois téra-dollars) :
[ Source : www.financeglobale.fr ]
A partir de ces chiffres issus du FMI, de la Banque mondiale, de la BRI, et compulsés par François Morin notamment, on constate que les flux financiers sont près de 60 fois supérieurs aux flux de l'économie réelle ! Pour le dire autrement, la spéculation fait rage sur les marchés financiers...
Ces flux financiers gigantesques trouvent leur source dans la libéralisation des marchés financiers depuis les années 1980. En effet, avant les accords de la Jamaïque en 1976, les taux de change étaient (pour simplifier) fixes. Donc point de risques de change et donc inutilité d'un marché de couverture. De même, la maîtrise des taux d'intérêt à court terme par les Banques centrales et ceux à long terme par l'encadrement du crédit rendait inutile une couverture des risques de variations des taux d'intérêts. Mais lorsque le taux de change et le taux d'intérêt furent libéralisés, les investisseurs témoignèrent d'une aversion très forte à ces risques et l'on créa donc des produits dérivés destinés à s'en couvrir sur les marchés financiers. Au final, depuis 30 ans, une part importante des transactions sur les marchés financiers sert à couvrir les risques liés au fonctionnement même des marchés financiers ! C'est le système qui marche sur la tête...
Pour être complet, il est important de préciser que l'essentiel de la spéculation sur les marchés financiers est le fait d'acteurs peu ou pas réglementés comme les hedge funds. Ces fonds spéculatifs, de par leur stratégie très agressive sur les marchés, peuvent être très rentables, d'où l'empressement des banques à les acquérir les 20 dernières années. D'autant que ces opérations restent considérées comme de la couverture de risques, et n'apparaissent donc pas dans le bilan des banques mais en hors-bilan. Enfin, faut-il rappeler que l'essentiel des échanges se fait encore de gré à gré donc à l'ombre des regards indiscrets ?
Résultat de la course aux échalotes financières : des crises à répétition et une crise mondiale multifacette depuis 2007 ! Il est donc indispensable pour les gouvernements de reprendre la main sur les taux d'intérêt et les taux de change, qu'ils n'auraient jamais dû céder à la jungle des marchés financiers !