Le propre de l'idéologie économique mortifère est de justifier une préconisation même lorsque celle-ci conduit manifestement à une catastrophe. C'est le cas en Grèce, où le gouvernement de coalition a mis en place un nouveau plan d'austérité, condition sine qua non réclamée par la troïka (Union européenne, FMI, BCE) pour débloquer des fonds à la Grèce et lui éviter ainsi un défaut de paiement en mars, date à laquelle elle doit rembourser 14,5 milliards d'euros de prêts arrivant à échéance.
Bien entendu, le Premier ministre grec, Lucas Papademos, s'est félicité de cette décision arguant que sans cet accord le pays aura plongé dans le "chaos incontrôlé". C'est là précisément que l'on peut dénoter l'idéologie qui préside à ces décisions, car depuis maintenant 3 ans que la Grèce s'impose des plans d'austérité, le résultat est le suivant :
[ Source des données : Eurostat ]
Chaque année on déclarait que la reprise était en vue, mais rien ne venait... Le pays a donc pratiqué saignée sur saignée, pensant certainement que les médecins-économistes savaient ce qu'il fallait faire pour relancer l'économie. Plus prosaïquement, le gouvernement de Georges Papandréou comme celui de Lucas Papademos ne voyait pas trop comment faire face aux obligations financières de l'État sans le concours de la troïka. C'est ce qui explique que le gouvernement grec a cédé à peu près tout ce qui restait de souveraineté nationale à la troïka, au risque de s'aliéner son propre peuple. Désormais, le FMI estime que la récession devrait se poursuivre jusqu'en 2012, et que la reprise ne viendrait en 2013 qu'à la condition de pratiquer encore plus d'austérité !
Celle-ci devrait passer par la suppression de 15 000 emplois dans le secteur public en 2012 et une réduction de 20 % du salaire minimum, le tout mâtiné d'une énième réforme des retraites et assaisonné d'une baisse drastique des dépenses publiques. Lorsqu'on se rappelle que la Grèce a déjà réduit son déficit public de 5 % du PIB depuis 2010, on comprends mieux l'exaspération des citoyens grecs, qui se demandent quels efforts ils peuvent encore faire pour démontrer leur bonne foi à l'Union européenne.
Dans ce contexte, rien d'étonnant donc à ce que l'annonce de ces nouvelles mesures d'austérité aient provoqué des protestations, deux grèves générales étant prévues. De manière symbolique, le principal syndicat de police grec a même menacé de réclamer des mandats d'arrêt contre les représentants de la troïka dans le pays, pour avoir cherché à abolir la démocratie et la souveraineté nationale ! Les Grecs ont tous encore en mémoire l'inconcevable proposition allemande visant à placer la Grèce sous tutelle économique de l'Union européenne, remplacée depuis par une idée tout aussi inepte consistant à bloquer sur un compte les intérêts dus par l'État grec ! Le couple Merkozy a-t-il seulement conscience qu'il s'attaque là au dernier pan de la souveraineté nationale de la Grèce, en lui demandant de privilégier d'abord le remboursement de sa dette à la résolution de la grave crise sociale qui traverse depuis lors le pays ?
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Disons-le sans ambages : la Grèce fera tôt ou tard défaut sur sa dette, et ce ne sont pas les négociations sur une réduction "volontaire" du montant de la dette publique qui y changera quelque chose. Le pays se trouve en effet dans une situation d'insolvabilité budgétaire et extérieure qui ne peut s'améliorer, même avec une réduction importante de sa dette publique. C'est du reste ce que dit en substance l'agence de notation Standard and Poor's, qui émet des doutes sur la soutenabilité de la dette publique puisque seule une petite composante de la dette subirait la décote de 70 % prévue.
L'analyse part du fait que la solvabilité budgétaire est assurée dans le temps lorsque le déficit public est inférieur au produit de l’endettement public et de la croissance en valeur. Sur cette base, et au vu de la faible croissance attendue en Grèce, il faudrait une réduction de plus de 100 points de PIB de la dette publique pour rétablir la solvabilité budgétaire ! En ce qui concerne la solvabilité extérieure, celle-ci est assurée dans le temps si le déficit courant est inférieur au produit de l'endettement extérieur et de la croissance en valeur. Or, l’endettement extérieur de la Grèce s'élevant à environ 190 % du PIB, il faudrait donc une réduction conséquente du déficit courant pour rétablir la solvabilité extérieure. Mais comment demander à un peuple qui commence à manquer du strict nécessaire, de se priver encore du peu qu'il importe ?
Lorsqu'on parle de la décote sur la dette publique, d'aucuns s'imaginent un peu trop vite qu'un défaut total sur la dette résoudrait tous les problèmes. Loin s'en faut ! Le problème de l'insolvabilité extérieure dont je viens de parler restera le même, mais se conjuguera cette fois aux dégâts qu'un défaut total ne manquerait pas d'entraîner sur les banques grecques qui ont acheté beaucoup d'obligations d'État. Pour comprendre cela, commençons par examiner la détention de dette publique grecque par les banques des pays de la zone euro :
[ Source : Natixis, flash économie n°108 ]
Complétons ces données par un tableau présentant le montant des fonds propres détenus par les banques des pays de la zone euro (cliquer sur le tableau pour agrandir) :
[ Source : Natixis, flash économie n°108 ]
Le constat est sans appel : avec 27 milliards d'euros de fonds propres et 54 milliards de titres de la dette publique grecque, les banques grecques peuvent, en cas de défaut total, y laisser plus que leur maillot de bain puisque les pertes pour le système bancaire s'élèveraient donc à 200 % des fonds propres ! Celles-ci feraient donc faillite et il serait nécessaire de les recapitaliser avec des fonds publics probablement, ce qui nuirait aux finances publiques.
Néanmoins, cette éventualité serait moins terrifiante si elle était associée à une volonté avérée de reprendre en main les systèmes bancaires et financiers, pour enfin les mettre au service de l'intérêt général. Malheureusement, cette politique économique de croissance pour tous fait défaut à l'heure actuelle. Le poids de l'idéologie néolibérale est si fort, que nombre de décideurs croient encore qu'une fois le pays saigné à blanc, la croissance reviendra comme par enchantement couronner les souffrances et privati(sati-)ons passées. C'est le cas du gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, qui a présenté à Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1 un florilège de l'argumentation néolibérale (vidéo disponible ci-dessous) :
* "Il faut que les Grecs s'aident eux-mêmes" : argument typique de la vulgate néolibérale, qui laisse entendre que chacun est responsable de ses problèmes, oubliant de préciser que la Grèce a déjà perdu sa souveraineté économique et ne fait donc que subir les prescriptions de la troïka.
* "Il n'y a pas moyen de faire autrement, on ne se redresse pas sans efforts" : un classique que l'on retrouvait en Argentine ou au Mexique dans les années 1990, et qui est à rapprocher du TINA (There is no alternative) de Margaret Thatcher. Bref, c'est bon pour vous par principe, donc vous appliquez sans réfléchir !
* "La Grèce doit faire comme ont fait d'autres pays qui ont été en difficulté, qui sont parfaitement en ligne avec le programme de redressement qu'ils ont prévu" : Monsieur Noyer est-il certain que l'Irlande et le Portugal se portent désormais mieux, avec respectivement 14,5 % et 13,6 % de taux de chômage en décembre 2011, selon Eurostat (moyenne de 9,9 % au sein de l'UE à 27) ?
En fait de prospérité, c'est un pays exsangue que ces politiques auront réussi à dé-construire ! Comme le rappelle Michel Aglietta dans un article du Monde, "la première règle d'or est de ne pas réduire précipitamment l'endettement de l'État tant que le secteur privé ne peut pas soutenir l'économie". Concernant la Grèce, il en conclut, au vu des troubles sociaux et politiques que connaît le pays, que "dans les conditions actuelles, la Grèce a presque intérêt à mener ce pari risqué [sortir de l'euro]"...
Qui peut en effet croire qu'un peuple qui a connu la dictature politique puisse accepter encore longtemps la tyrannie économique qui débouche sur le chaos social ?
N.B : l'image de ce billet provient du site soleilvert