J'ai souvent parlé et écrit sur les inégalités de notre société, car leur ampleur ne cessent de menacer la stabilité sociale et in fine la démocratie elle-même. J'avais notamment expliqué que les inégalités peuvent prendre des formes diverses et ne sont pas que des questions monétaires, comme en témoigne les inégalités d'accès à la culture par exemple.
La direction du Trésor vient d'ajouter de l'eau à mon moulin en publiant, il y a quelques jours, un panorama du patrimoine des ménages français à destination de quelques parlementaires (en France, on aime visiblement faire les choses à moitié...). A l'inverse de la Tunisie, la France ayant pour quelques temps encore une presse capable de relayer plus ou moins librement des informations, ce rapport est arrivé jusqu'à nous, plébéiens de France. Recensant le patrimoine des ménages français en 2009, il le chiffre à 10 000 milliards d'euros, ce qui permet de conclure d'emblée que celui-ci a doublé en 10 ans !
Or, lorsqu'on sait que les prix de l'immobilier ont plus que doublé entre 1999 et 2009, on comprends que cette hausse de patrimoine a surtout favorisé les propriétaires au détriment des locataires... rien d'étonnant donc à ce que le patrimoine immobilier des Français soit passé de 2360 milliards d'euros en 1999 à 6090 milliards en 2009, sachant que l'immobilier représente 61 % de leur patrimoine en 2009 ! Je ne doute dès lors pas que ce rapport servira aux parlementaires de la majorité pour nous expliquer, entre autres, tout le bien qu'ils pensent du bouclier fiscal et tout le mal qu'ils pensent de l'ISF, puisque ces hausses de prix dans l'immobilier ont conduit mécaniquement à une hausse du nombre d'assujettis à cet impôt (212 000 foyers en 1999 à 559 000 en 2009). Et encore, l'étude montre clairement que plus de 60 % des ménages imposables à la tranche marginale de l'impôt sur le revenu ne payent pas d'ISF !
Globalement, la répartition par actif du patrimoine des ménages français ressemblait à cela en 2009 (cliquer sur cette infographie du Figaro pour l'agrandir) :
[ Source : Le Figaro.fr ]
Avec une telle ventilation globale du patrimoine, on ne peut que se féliciter de l'apparente prospérité des ménages français. Sauf que comme toujours en économie, le diable se cache dans les détails de la répartition... et là, les conclusions du rapport sont beaucoup plus inquiétantes :
* près d'un tiers du patrimoine détenu à l'âge de 50 ans proviendrait d'un héritage, dont on n'a eu de cesse de réduire la fiscalité, en contradiction totale avec les principes de l'économie libérale que nos dirigeants politiques cherchent à nous imposer comme une doxa !
* les 10 % des ménages les plus riches concentrent 25 % des revenus totaux et 48 % du patrimoine privé !
* 30 % du patrimoine financier est investi dans les autres pays de la zone euro et 23 % hors d'Europe
* le patrimoine financier des ménages (un tiers du patrimoine privé total des ménages) a augmenté de 54% entre 1999 et 2009, alors que l'économie n'a crû que de 39 % ! L'assurance-vie capte désormais 1360 milliards, contre 620 milliards en 1999 (voir mon billet sur le livret A), celle-ci constituant 40 % du patrimoine des 10 % les plus riches, contre moins de 5 % pour les 10 % les moins riches...
[ Source : Le Figaro.fr ]
La fiscalité du patrimoine devrait être modifiée au mois de février, selon les déclarations de François Baroin, qui évoquait la taxation des plus-values sur la résidence principale. A partir ce rapport on en déduit que c'est encore une excellente idée pour préserver encore une fois les plus riches, puisque leur patrimoine est bien plus diversifié que celui des "classes moyennes" (dont la définition reste encore à imaginer aujourd'hui...). En effet, si les premiers bénéficient de placements en actions, en obligations et en biens professionnels par exemple, les seconds ne disposent souvent que de leur bien immobilier pour tout patrimoine. Et comme la France est encore une démocratie, le rapport nous fait même l'insigne honneur de chiffrer cette inégalité : la résidence principale représente environ 20 % du patrimoine global des plus riches, contre 70 % du patrimoine des ménages qui se situent à la médiane (patrimoine médian à 120 000 euros).
Taxer les plus-values sur la résidence principale serait-il le nouvel avatar du bouclier fiscal qui sauvera la France de l'hémorragie des riches ?