En cette période électorale où l'effervescence le dispute à la panique dans certaines villes très proches de chez moi, il m'a semblé utile de donner quelques éléments de réflexion concernant les collectivités locales.
En effet, après avoir dégraissé - parfois de manière aveugle et jusqu'à l'excès - une bonne partie du mammouth État à grands coups de RGPP et MAP, le gouvernement se rabat désormais sur les collectivités locales et la Sécurité sociale. Ce billet aura ainsi pour principale finalité de donner quelques éléments pour comprendre la situation, les enjeux et les conséquences.
Qu'est-ce qu'une collectivité locale ?
Tout d'abord, l'expression collectivité locale n'existe plus depuis la révision constitutionnelle 2003, qui affirme que l’organisation de la République est décentralisée, et a donc préféré lui substituer l'expression collectivité territoriale.
Les collectivités territoriales peuvent être définies comme des structures administratives françaises, distinctes de l'administration de l'État, qui doivent prendre en charge les intérêts de la population d'un territoire précis. Plus précisément :
* elles sont dotées de la personnalité morale qui leur permet d'ester en justice
*elles disposent de compétences propres fixées par le législateur, d'un budget et d'un personnel propres
* elles disposent d'une assemblée délibérante
En pratique, on appelle collectivités territoriales : les communes, les départements et les cinq départements d'outre-mer, les régions et les cinq régions d'outre-mer, les collectivités à statut particulier (Paris, Marseille, la Corse, etc.), les collectivités d'outre-mer. A noter que la Nouvelle-Calédonie est une collectivité territoriale un peu particulière qui n'est pas une collectivité d'outre-mer (Com)...
Quelles sont les compétences des collectivités territoriales ?
Il n'est pas question ici de détailler par le menu les compétences de chaque collectivité, mais juste de donner quelques notions au lecteur concernant les compétences des 36 786 communes, 101 départements et 26 régions :
[ Source : Le Monde ]
Il est important de savoir que, conformément à l'article 72 de la Constitution (que l'on retrouve dans le code des collectivités territoriales, articles L2121-29 CGCT pour les communes, L3211-1 pour les départements et L4221-1 pour les régions), les collectivités territoriales bénéficient d’une clause générale de compétence : "Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon".
Cela signifie que bien que chaque collectivité ait un champ d'intervention dominant (développement économique pour les régions, action sociale pour les départements, etc.), elle peut intervenir dans un autre domaine, même si celui-ci ne fait pas partie de ses attributions, sur le fondement de son intérêt territorial en la matière.
Le mille-feuille administratif
En plus de toutes ces communes, départements et régions, on a vu apparaître des groupements de collectivités territoriales de plus en plus nombreux, d'autant que les communes furent incitées à y adhérer par la loi de juillet 1999 : syndicat intercommunal, communauté de communes, communauté de villes, communauté urbaine, communauté d'agglomération.
[ Source : Le Monde ]
Pour répondre à ce mille-feuille administratif, le gouvernement avait suggéré il y a quelques semaines la fusion de certaines régions et la disparition de quelques départements. Entre-temps, il avait également eu l'idée malheureuse d'en rajouter une couche en créant des métropoles, énormes mastodontes qui absorberont les compétences des départements et des régions sur leur territoire afin de devenir "des moteurs de la croissance, en confortant les facteurs du développement économique : l’innovation technologique mais aussi culturelle, la recherche-développement, l’enseignement supérieur, le rayonnement international".
Pourtant, l'Alsace avait cherché à montrer qu'une alternative était possible en soumettant à référendum la création d'une collectivité unique pour l'Alsace, c'est-à-dire réunir le conseil régional et les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin en un seul conseil d'Alsace uni.
[ Source : http://referendum.alsace.over-blog.com ]
Malheureusement, ce fut un échec cuisant, tout comme la création des conseillers territoriaux qui auraient dû remplacer les conseillers généraux et régionaux. Partout ailleurs en Europe pourtant, la tendance est à la réduction des niveaux administratifs, en particulier du nombre de communes...
Les dépenses des collectivités territoriales
Un graphique vaut mieux qu'un long discours :
[ Source : Alternatives Économiques ]
Les dépenses des collectivités locales pèsent environ 20 % de l'ensemble des dépenses publiques et ont beaucoup augmenté depuis les dernières décennies, la décentralisation n'expliquant pas tout. En particulier, les effectifs de la fonction publique territoriale, créée par la loi du 26 janvier 1984, ont augmenté nettement et sont aujourd'hui dans le collimateur de la Cour des comptes :
[ Source : Alternatives Économiques ]
Cette infographie du Monde montre qu'entre 2000 et 2009, les effectifs des départements et des groupements de communes ont quasiment doublé :
[ Source : Le Monde ]
Certes, une partie de ces dépenses est liée à la décentralisation - mise en oeuvre depuis 1982 et qui s'accélère depuis 2004 -, mais le lecteur aura compris que la multiplication des échelons territoriaux, loin d'assurer un meilleur maillage administratif de la France, conduit le plus souvent à reconstruire des féodalités locales et à rendre illisibles les actions menées par chaque collectivité... De plus, la clause de compétence générale évoquée plus haut débouche souvent sur des doublons et une grande inefficacité des dispositifs lorsque plusieurs collectivités se saisissent de la même compétence.
C'est pourquoi, la réforme territoriale de 2010 prévoyait sa suppression. Mais par ironie de l'histoire, c'est le nouveau gouvernement qui décida de son maintien en 2012... avant de suggérer il y a quelques semaines la fusion de certaines régions et la disparition de certains départements !
Faut-il pour autant mettre les collectivités au pain et à l'eau ?
Rationnaliser les compétences, éviter les doublons, oui ! Couper aveuglément dans les dotations, qui sont en baisse depuis des années, et les effectifs, non ! En effet, faut-il rappeler que les collectivités territoriales sont à l'origine de près de 70 % des investissements publics ?
[ Source : Alternatives Économiques ]
Au reste, rappelons également qu'en France, les collectivités territoriales sont tenues de présenter des budgets de fonctionnement en équilibre. L'endettement ne peut donc être la conséquence que des investissements ; mais bien entendu, il ne faudrait pas non plus que l'investissement se résume à du bétonnage et encore du bétonnage au pays du rond-point...
Pourtant, je crains fort que la politique d'austérité menée par le gouvernement afin de trouver 50 milliards "d'économies" pour financer entre autres son pacte de responsabilité (dont j'ai parlé dans ce billet et dans cette tribune), ne conduise à pratiquer des coupes claires dans les budgets des collectivités et de la Sécurité sociale. Le pire, est que cette grande saignée économique a déjà été expérimentée dans le passé et que son résultat fut effroyable tant sur le plan économique, que social et politique !
Les conséquences en matière d'investissement locaux d'avenir, de services publics et surtout de vie en commun risquent alors d'être catastrophiques !