Aujourd'hui se tient à Bruxelles un sommet européen durant lequel, bien qu'elle soit présente dans tous les esprits, la question des difficultés budgétaires grecques ne sera pas officiellement à l'ordre du jour. Ne cherchez pas à comprendre pourquoi, cela s'appelle cela de la diplomatie communautaire. Toujours est-il que la question sera traitée par les dirigeants des pays européens, et qu'il faudra bien lui apporter une réponse sous peine de nous décrédibiliser encore plus aux yeux des États-Unis. La seule inconnue est donc de savoir si l'Eurogroupe est en mesure de se réunir suite aux dernières tractations qui prévoient un plan d'aide à la Grèce impliquant... le FMI et portant potentiellement sur plusieurs dizaines de milliards d'euros.
Pour ceux qui se sentent d'ores et déjà perdus dans les méandres de cette négociation communautaire, je tiens à les rassurer : nous sommes tous tenus par la décision que prendra l'Allemagne et personne ne sait réellement ce que cela donnera. D'autant plus que les opinions publiques semblent rechigner, tous comme les dirigeants, à sauver le soldat grec. A preuve, la Fondation pour l’innovation politique a décidé de réaliser avec l’Ifop une enquête d’opinion européenne sur la crise grecque et plus largement sur la crise des finances publiques au sein de l’Union. L’enquête a été conduite auprès d’un échantillon représentatif de la population nationale française, allemande, britannique, italienne et espagnole. Le questionnaire a été administré du 11 au 19 mars 2010. Les résultats sont saisissants :
* Une majorité des Européens (60 %) attribuent la crise grecque au fait que les gouvernements grecs ont mal géré les finances publiques de leur pays.
* 76 % des Allemands et 78 % des Britanniques ne souhaitent pas que leur pays aide financièrement la Grèce. Au contraire, les Français (53 %), les Espagnols (55 %) et les Italiens (67 %) y sont favorables. Ne reste-t-il donc que Nana Mouskouri pour sauver les finances publiques du pays ? N'est-ce pas la traduction d'une crise du sentiment européen ?
* Les Espagnols (69 %), les Français (61 %) et les Italiens (56 %) s’estiment menacés par une crise de la dette publique dans les années à venir. Les Allemands, quant à eux, pensent être préservés (66 %) tandis que les Britanniques sont partagés (50 %)
* 86 % des Européens disent leur inquiétude en pensant à la dette de leur Etat. L’inquiétude est dominante dans chacun des cinq pays (Allemagne 90 %, France 88 %). Il est vrai qu'avec tout ce qu'on peut dire comme inepties sur la dette publique, les citoyens s'affolent...
* 84 % des Européens expriment leur préoccupation quant à l’avenir des retraites dans leur pays (en France, ce n'est plus la peine de s'inquiéter le sauveur est arrivé et promet de réformer les retraites en 6 mois).
L'interprétation de ces résultats est multiple : si les événements et les déclarations politiques jouent un rôle non négligeables sur l'opinion des citoyens, il n'en demeure pas moins que la complexité et la méconnaissance des institutions et des mécanismes économiques contribuent indubitablement à la peur ambiante. Peur qui, une fois cristallisée, peut conduire soit à se soumettre à un argument d'autorité (pouvant déboucher sur des réformes économiques néfastes) soit, a contrario, à un rejet des institutions avec tous les risques que cela comporte pour la stabilité politique et sociale. C'est précisément pour cela que les économistes doivent débattre et informer le peuple. C'est la raison d'être de mes conférences et ateliers en économie.
N'oublions jamais cette phrase d'Alfred Sauvy : "Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés ils deviennent des sujets"...
N.B 1 : le dessin illustrant ce billet provient de Ouest France. Il exprime bien les atermoiements que j'ai rapportés dans mes différents articles.
N.B 2 : ce soir, j'anime un deuxième café économique (à l'Université Populaire de Sarreguemines) sur la dette publique de la Grèce. Décidément, j'aurai beaucoup parlé de ce pays en 6 mois !
N.B 3 : Fitch vient de dégrader la note de la dette publique du Portugal de AA à AA-, renchérissant du même coup la valeur des émissions futures comme je l'avais expliqué là. A quand la remise en cause de ce système de notation PRIVÉ absurde ?