A 1,38 dollar, le taux de change de l'euro tutoie de nouveau des sommets comme le montre le graphique ci-dessous :
[ Source : Boursorama.com ]
Il n'en fallait pas plus pour que les politiques appellent à une intervention de la BCE pour déprécier l'euro, cependant que certains médias semblent redécouvrir que nous sommes en régime de changes flottants depuis quelques années déjà (1976 officiellement !)... avec tous les désavantages que cela peut avoir sur le plan de la volatilité des devises et qui nécessitent l'achat de coûteuses couvertures du risque de change sur les marchés financiers !
Dans mon dernier livre, les grands débats économiques actuels, j'explique au chapitre 11 intitulé Les marchés financiers ont-ils besoin d’être régulés ?, que tant que les taux de change étaient fixes il n'y avait aucun risque de cette nature et donc pas besoin d'un marché de couverture. Mais le passage à un régime de changes flottants a bouleversé considérablement l'économie, de sorte que la volatilité des taux de change se répercute désormais dans les comptes des entreprises. Et c'est pourquoi, depuis près de 30 ans, une part importante des transactions sur les marchés financiers sert à couvrir les risques liés au fonctionnement même des marchés financiers ! C'est le système qui marche sur la tête...
Toujours est-il que ce risque de change est aujourd'hui une réalité, qui s'est ressentie avec prégnance cet été puisque de nombreux pays émergents ont connu une dépréciation brutale de leur taux de change :
[ Source : Natixis ]
Quelle est la nature de cette crise des pays émergents ?
Rappelons pour fixer les idées que la balance des paiements retrace sous une forme comptable l'ensemble des flux d'actifs réels, financiers et monétaires entres les résidents d'une économie et les non-résidents au cours d'une période déterminée.
Dès lors, nous pouvons affirmer que les pays émergents font face à une crise de la balance des paiements, qui se déroule suivant des enchaînements bien connus malheureusement :
1) l'insuffisance de l’épargne domestique conduit à l'ouverture croissante d’un déficit de la balance commerciale et de la balance courante.
[ Source : Natixis ]
2) le déficit extérieur structurel (c'est-à-dire une balance courante structurellement déficitaire) rend ces pays dépendants des flux d'argent en provenance des prêteurs non-résidents.
3) les prêteurs non-résidents finissent à un moment par retirer leur capitaux du pays (on appelle cela un "sudden stop" dans le jargon financier. Ces pays n'arrivent par conséquent plus à financer leur déficit extérieur et renouveler leur dette extérieure.
[ Source : Les Échos ]
Dans le cas présent, certes les déclarations du président de la Fed, Ben Bernanke, évoquant l'arrêt programmé des politiques monétaires expansionnistes menées par la Banque centrale américaine ont pu jouer. Mais je crois surtout que les investisseurs ont émergé de leur rêve d'eldorado émergeants, lorsqu'ils ont enfin pris le temps d'analyser la situation économique fragile des pays émergents. Toute ressemblance avec la zone euro n'étant pas fortuite...
4) cette situation conduit alors à une forte dépréciation du taux de change seule à même de rééquilibrer la balance commerciale.
5) la dépréciation du taux de change débouche à court terme sur la hausse du prix des importations et la compression de la demande intérieure.
S'agit-il du même type de crise qu'en 1997 ?
Pour la plupart des pays émergents (Inde, Brésil, Turquie, Thaïlande, Indonésie), la dégradation des comptes extérieurs est intimement liée au développement du crédit domestique aux ménages et aux entreprises, ce qui n'est pas sans rappeler la situation de 1997.
Néanmoins, plusieurs différences de taille existent entre les deux périodes :
* en 1997 ce sont les flux interbancaires qui se sont arrêtés, alors qu'en 2013 les flux de capitaux internationaux qui finançaient les déficits extérieurs se dirigeaient principalement vers les marchés d’actions. D'où le recul du marché boursier, amplifié par les hausses de taux d’intérêt décidées par les Banques centrales.
[ Source : Les Échos ]
* en 2013, les pays émergents disposent d'abondantes réserves de change, ce qui leur permet de soutenir leur monnaie en vendant des devises étrangères.
* en 1997, l'arrêt des flux interbancaires avait débouché très vite sur une crise bancaire, qui est bien plus grave qu'un recul des cours boursiers en 2013. Si vous n'en êtes pas persuadés, demandez l'avis d'un Espagnol ou un Grec sur le sujet...
Quels sont les effets d'une telle crise sur la croissance des émergents ?
A court terme, la dégradation des termes de l'échange et la compression de la demande vont conduire à un ralentissement de l'activité. L'espoir de reprise réside alors à plus long terme dans le fait que la dépréciation de la monnaie doit permettre au pays d'améliorer sa compétitivité-coût à l'export. Ceci reste à vérifier dans les futurs chiffres de l'activité des pays émergents, mais la faiblesse du commerce mondial risque fort d'avoir des conséquences non négligeables. En effet, la mondialisation nous a mis, qu'on le veuille ou non, dans le même bateau économique. Dès lors, si une zone de 350 000 habitants est en panne économique (et politique et sociale...), c'est tout le bateau qui prend l'eau !
Ce qui s'est passé dans les pays émergents devraient par conséquent donner à réfléchir aux États membres de la zone euro. En effet, nous avons vu l'importance joué par le mécanisme du taux de change dans la résolution d'une telle crise. Or, au sein de la zone euro, les difficultés extérieures des pays ne se traduisent plus par des variations de taux de change en raison de la monnaie unique, mais par des taux d'intérêts très élevés !
La résolution de la crise devient alors quasi impossible en l'absence d'un budget fédéral qui pourrait compenser l'indisponibilité du mécanisme de dépréciation du taux de change. Or, lorsqu'un pays n'arrive plus à financer son déficit extérieur en raison de taux d'intérêt stratosphériques, il ne lui reste plus qu'à faire appel à court terme aux prêteurs publics : FMI, troïka, FESF, MES bientôt,...
Il est évident que cette situation est intenable à long terme puisque les institutions publiques ne peuvent prêter sans cesse des fonds à un pays, d'autant plus que ces prêts s'accompagnent de plans d'austérité qui minent tout espoir de reprise économique. Mais prenons garde, car les pays en difficulté ne pourront bientôt plus supporter politiquement, socialement et économiquement ces politiques de rigueur et devront dès lors envisager de quitter l'union monétaire avec toutes les conséquences désastreuses que l'on peut imaginer !
N.B : l'image de ce billet provient de cet article de CNN money.