J'ai eu souvent l'occasion, ces derniers temps, de m'exprimer sur la précarité de l'emploi qui s'est institutionnalisée depuis les deux dernières décennies. Ce phénomène est très fortement corrélé à la libéralisation des marchés financiers qui entraîne une pression accrue sur les entreprises, qui doivent désormais satisfaire des critères de résultats surréalistes (15 % de retour sur capitaux propres...). C'est ce que Michel Aglietta a parfaitement cerné lorsqu'il a écrit que "le cycle financier s'impose dorénavant au cycle économique".
Et comme pour faire mieux accepter l'ensemble de ces mesures ineptes à la sphère productive - qui de fait, ne se résume plus qu'à un actif à gérer sur les marchés -, on qualifie cette recherche de profit à outrance de "création de valeur". Les actionnaires, qui sont par conséquent les uniques bénéficiaires de cette création de valeur, se gardent bien de rappeler qu'il existe d'autres personnes qui, en contribuant au développement de l'entreprise, mériteraient aussi une part de cette valeur additionnelle : faut-il rappeler que sans les salariés - qui ne sont plus vus que comme un coût à réduire ! -, l'entreprise ne serait absolument rien ?
La réponse à cette dernière question semble évidente, et pourtant les nouveaux modes de production et d'organisation dans les entreprises ignorent royalement patronalement cette réalité ! Dans un contexte de concurrence mondialisée, où la bataille de la compétitivité-prix ne pourra jamais être remportée par la France, pourquoi se priver d'une force de travail parmi les plus productives et créatives du monde ? Qui peut croire qu'un salarié en contrat précaire aura la même motivation à produire que celui qui peut imaginer son avenir au sein de son entreprise ? Ceci est d'autant plus vrai que la précarité de l'emploi a plusieurs faces : CDD, intérimaire, stagiaire en lieu et place d'un fonctionnel,...
Certes, le CDI reste la norme pour encore quelque temps. Mais les moyennes masquent un phénomène inégalitaire : 34 % des actifs occupés de 15 à 29 ans occupent un contrat à durée déterminée (CDD), contrats aidés ou stages, contre 9 % des 30-49 ans, selon l'Enquête emploi en continu 2007 de l'INSEE. Et ce ne sont pas les incantations ministérielles sur le niveau des études scolaires qui y changeront quelque chose : selon une enquête du Céreq concernant le statut du premier emploi des jeunes sortis du système de formation en 2001, 40 % des diplômés du troisième cycle ont commencé par un emploi temporaire. Certes, les non qualifiés sont 63 % à être dans ce cas, mais chacun sait que si certains contrats temporaires fonctionnent comme des périodes d’essais, d’autres en revanche, ne constituent que des chausses- trappes à insécurité que l'on a rebaptisées poliment flexibilité. Et les choses ne cessent de se dégrader depuis comme le laissent entrevoir les premiers résultats de l'enquête du Céreq pour la "génération 2004" (cliquer sur l'image pour l'agrandir) :
[ Source : Céreq, enquête génération 2004 ]
Très récemment encore, un salarié intérimaire me racontait combien son quotidien professionnel lui semblait douloureux : pas de perspectives en vue, changement d'usine au gré des prêts de main-d'oeuvre, insécurité matérielle chronique, etc. Ajoutez à cela la crise qui dure depuis plus de 2 ans maintenant, et vous obtenez tous les ingrédients pour une grogne sociale qui pourrait s'avérer dévastatrice pour l'économie... mais encore faudrait-il que certains décideurs en prennent conscience !
Pour finir, je vous propose un court extrait d'une comédie réalisée par Serge Korber en 1967 : Un idiot à Paris. Une des répliques de Bernard Blier à ses salariés (écrites par Michel Audiard), résume parfaitement une partie de ce que je viens d'écrire :