C'est impressionnant tout ce que l'on peut entendre sur l'économie depuis les deux dernières semaines et qui dénote soit une méconnaissance de la discipline, soit un mépris envers les citoyens soit souvent les deux ! Petit florilège commenté :
* "Il faut poursuivre la discipline fiscale" : cette phrase n'a pas été prononcée par notre omniprésident, mais par Martin Poder, responsable des affaires européennes au ministère des finances estonien. Ce qui paraît formidable, c'est que le gouvernement estonien sortant a remporté les élections législatives en promettant plus d'austérité dans un pays déjà durement touché par la crise (taux de chômage à 20% début 2010, contre 5% en 2006) ! Après Robin des bois, tous les héros seraient-ils en train de marcher sur la tête ?
* "Les chiffres définitifs seront connus demain soir mais la baisse du chômage aura été importante au mois de janvier" : c'est ainsi que plastronnait Xavier Bertrand, ministre du travail, au journal télévisé de TF1 le mercredi 23 février. Vous noterez que c'est devenu une nouvelle mode pour les ministres du travail (peu importe leur couleur politique...) d'annoncer des chiffres et de s'en féliciter, avant même que ceux-ci ne soient publiés officiellement. Mais pendant que Xavier Bertrand pérorait sur les chiffres, il omettait de dire que selon la définition retenue, le résultat changeait beaucoup : si l'INSEE annonçait une baisse de 0,3 point du taux de chômage au sens du BIT, en France métropolitaine au quatrième trimestre 2010, la Dares faisait état d’une augmentation du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A (sans emploi n’exerçant pas d’activité réduite) en 2010... Peut-être faudrait-il rappeler que les deux définitions du chômage n'ont rien en commun (une personne pouvant être au chômage sans être inscrite à Pôle Emploi) ? Ou encore que le relèvement de l’âge de départ en retraite (suite à l'extraordinaire réforme de 2010) conjugué au relèvement de l’âge minimal d’accès à la dispense de recherche d’emploi, ne peuvent que conduire à une hausse des chiffres du chômage à moyen terme ? Et si on parlait aussi des radiations qui permettent opportunément de baisser le taux de chômage certains mois ?
* "Augmenter les salaires est la dernière bêtise à faire en Europe" : là c'est facile, c'est du Trichet dans le texte et dans l'esprit ! Au travers de cette déclaration, le gouverneur de la BCE confirme à son corps défendant que les missions dévolues à son institution doivent être revues au plus vite, tant elles sont en contradiction avec les besoins de l'économie. En effet, la BCE a pour mission quasi-unique de lutter contre l'inflation, en particulier en évitant les effets de second tour, c'est-à-dire une évolution globale à la hausse de tous les prix suite à l'envolée des prix des matières premières par exemple. Bref, la priorité est donné aux investisseurs (donc au capital) au détriment des salariés (donc du travail), dans le plus pur style néolibéral ! Bien entendu, on a aussi eu le droit au couplet traditionnel sur le miracle allemand, qui sera du reste le sujet de ma prochaine conférence à l'UPT (dont je reparlerai), le mercredi 30 mars à 19h...
* "Il a tout le soutien du gouvernement" : non, ce n'est pas une incantation pour sauver le soldat MAM de la déroute (celle-ci étant depuis consommée...), mais une déclaration de Buckingham Palace pour soutenir le prince Andrew, duc d'York. En effet, son train de vie a de quoi énerver légèrement les contribuables britanniques à qui l'on impose en ce moment une cure d'austérité douloureuse : entre 2001 et 2010, il aurait dépensé en hôtels et en avions près de 4 millions de livres pour 76 déplacements, le tout payé avec de l'argent public ! Pour aggraver son cas, en sa qualité de représentant spécial de la Grande-Bretagne pour le commerce international (sic !), il n'avait pas hésité à mettre les petits plats dans les grands pour recevoir à Buckingham le gendre de Ben Ali, après avoir fait état également de son amitié pour le fils d'un pseudo-colonel-exterminateur-de-son-peuple...
* "Nous voulons affirmer la valeur du travail" : retour en France, avec cette splendide phrase de François Fillon pour justifier qu'aucune nouvelle tranche d'impôt sur le revenu pour les plus riches ne serait instaurée. Il est vrai que le Premier ministre a une telle foi dans le travail qu'il a décidé d'exonérer près de 300 000 personnes de l'ISF, se privant ainsi d'un milliard d'euros de recettes à nouveau ! Mais il compte éventuellement le remplacer par un impôt sur le revenu du capital, dont les économistes savent qu'il est beaucoup moins efficace qu'un impôt forfaitaire sur le patrimoine ! Néanmoins, le tristement célèbre bouclier fiscal sera enfin - mais seulement partiellement - supprimé, encore qu'il faille attendre pour être certain. Il n'est cependant pas question de revenir sur l'allègement des droits de succession, mesure pourtant totalement en contradiction avec le libéralisme économique et politique prônait par le gouvernement. N'était-ce pas le même gouvernement qui prônait une convergence fiscale avec l'Allemagne au nom de la compétitivité ? Or, si je ne m'abuse, la Cour des comptes a chiffré que l'impôt sur le revenu est trois fois plus élevé en Allemagne qu'en France (9,6 % du PIB, contre 2,6 % en France), et que le taux marginal peut aller jusqu'à 45 % chez nos voisins alors qu'il ne dépasse pas 41 % chez nous...
* "La possibilité d'un défaut ou d'un échange de dette a augmenté depuis le dernier abaissement de la note souveraine en juin 2010" : c'est l'explication fournie par l'agence de notation Moody's, qui a abaissé la note souveraine de la Grèce à B1 contre Ba1 auparavant, ce qui fait de ces obligations d'État des produits hautement spéculatif désormais ! Pourtant, nul ne pouvait être dupe que les conditions drastiques imposées à la Grèce par le FMI et l'Union européenne allaient conduire à un défaut ou une restructuration. Je l'ai souvent répété dans ce billet par exemple ou dans celui-là.
Je vais m'arrêter là car sinon ce billet risquerait de se transformer en musée des horreurs. Mais il me semblait utile de commenter tout cela, tant les implications sont grandes pour les pauvres citoyens con-tribuables...