Article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés". Pourtant, il existe dans le Code des impôts en France un dispositif qui a permis, en 2009, à 16 350 contribuables de bénéficier d'une restitution totale de 585 millions d'euros. Son nom de guerre est bouclier fiscal et, selon le Canard enchaîné, il aurait conduit le Trésor public a remboursé au total 100 millions d'euros sur 4 ans à Liliane Bettencourt (30 millions d'euros rien qu'en 2008 !).
Mais à en croire Hervé Novelli qui répondait, en mars 2009, à l'Assemblée nationale au député François Brottes (voir vidéo ci-dessous), le bouclier fiscal est une mesure "simple et juste". Non content de réciter la doxa officielle de la cour, celui-ci rajoutait que le bouclier fiscal était un moyen de lutter contre "l'exode fiscal". A ceci près qu'en 2008, ce sont 821 contribuables redevables de l'ISF qui ont quitté la France, soit plus qu’en 2007 lorsque le bouclier fiscal plafonnait les prélèvements à 60 % des revenus !
Il est triste de constater qu'en plus de qualifier de justice ce qui n'est autre que de l'injustice sociale, on en vienne à oublier que les chefs politiques n'ont pas toujours été autant pusillanimes dans l'histoire, notamment lorsqu'il s'agissait de faire contribuer les plus riches. En témoigne le discours enflammé de Mirabeau (1749-1791), improvisé à la Constituante pour soutenir le projet de Necker d'une "contribution volontaire du quart du revenu" pour éviter la faillite de l'État (même si j'ai déjà expliqué dans un billet que le mot faillite ne veut rien dire pour un État). Voici un extrait de sa vibrante péroraison de septembre 1789 (je mets en gras les mots que je juge importants) :
"Deux siècles de déprédations et de brigandages ont creusé le gouffre où le royaume est près de s'engloutir. Il faut le combler, ce gouffre effroyable. Eh bien ! voici la liste des propriétaires français. Choisissez parmi les plus riches, afin de sacrifier moins de citoyens. Mais choisissez; car ne faut-il pas qu'un petit nombre périsse pour sauver la masse du peuple? Allons, ces deux mille notables possèdent de quoi combler le déficit. Ramenez l'ordre dans vos finances, la paix et la prospérité dans le royaume. Frappez, immolez sans pitié ces tristes victimes, précipitez-les dans l'abîme; il va se refermer.... Vous reculez d'horreur.... Hommes inconséquents ! hommes pusillanimes ! Eh ! ne voyez-vous donc pas qu'en décrétant la banqueroute , ou, ce qui est plus odieux encore, en la rendant inévitable sans la décréter, vous vous souillez d'un acte mille fois plus criminel, et, chose inconcevable! gratuitement criminel; car enfin, cet horrible sacrifice ferait du moins disparaître le déficit.
Mais croyez-vous, parce que vous n'aurez pas payé, que vous ne devrez plus rien? Croyez-vous que les milliers, les millions d'hommes qui perdront en un instant, par l'explosion terrible ou par ses contrecoups, tout ce qui faisait la consolation de leur vie, et peut-être leur unique moyen de la sustenter, vous laisseront paisiblement jouir de votre crime? Contemplateurs stoïques des maux incalculables que cette catastrophe vomira sur la France; impassibles égoïstes, qui pensez que ces convulsions du désespoir et de la misère passeront comme tant d'autres, et d'autant plus rapidement qu'elles seront plus violentes, êtes-vous bien sûrs que tant d'hommes sans pain vous laisseront tranquillement savourer les mets dont vous n'aurez voulu diminuer ni le nombre ni la délicatesse?.... Non, vous périrez; et dans la conflagration universelle que vous ne frémissez pas d'allumer, la perte de votre honneur ne sauvera pas une seule de vos détestables jouissances..."
Et s'il manquait tout simplement du courage à nos dirigeants politiques pour changer réellement le système ?
N.B : Claude Guéant vient d'annoncer, il y a quelques jours, que le bouclier fiscal allait évoluer. Faudrait-il en déduire que le gouvernement a enfin compris l'ineptie d'une telle mesure... en particulier en période de crise où l'on exige des citoyens une participation à l'effort d'austérité destiné à séduire les marchés financiers ? Mais pourquoi dès lors laisser la parole à un secrétaire général non élu démocratiquement, plutôt qu'à un Premier ministre qui cherche pourtant à exister ?