De nombreuses personnes m'ont écrit pour connaître les points forts développés lors de ma conférence sur la croissance. Je vais donc chercher à les résumer dans ce billet. Tout d'abord, j'ai commencé par quelques déclarations très médiatiques sur la croissance : cela va de la croyance absolue en son pouvoir libérateur de tous les maux (Cf. Christian Blanc, "Soit le pays renoue avec la croissance, soit il sombre dans le chaos"), à la propagande politique (Cf. notre omniprésident et ses douleurs dentaires...).
Une fois mesurée l'importance médiatique consacrée à ce sujet, il est indispensable dans un premier temps, de définir précisément ce que l'on entend par PIB, PNB, croissance, expansion, recession, depression. Ceci afin de démystifier les récentes déclarations sur une hypothétique sortie de crise après un trimestre d'expansion très faible. J'ai ensuite présenté un état des lieux chiffré de la croissance dans le monde et de son évolution depuis 30 ans (50 ans pour la France). Cela permet de mettre en évidence l'impact de certaines crises (choc pétrolier, crise de 1993,...) et d'aborder la définition de la récession au sens du NBER, définition basée sur de nombreux indicateurs (production industrielle, prix, commandes à l’industrie, etc.) et pas seulement sur le PIB (2 trimestres consécutifs de croissance négative).
J'en arrive alors au premier point clé de ma présentation, à savoir le lien entre une croissance soutenue et les grands maux de l'économie. Je montre ainsi qu'il semble y avoir une corrélation entre croissance du PIB et croissance de l'emploi. Néanmoins, il faut tempérer ce constat pour au moins deux raisons : premièrement, la corrélation n'est pas parfaite, même pour la France : en 1999 et en 2005, la croissance du PIB français se réduit, mais la croissance de l'emploi dans notre pays s'accélère. De même, en 2003 et 2004, la croissance du PIB s'accroît et la croissance de l'emploi se réduit. Deuxièmement, corrélation ne signifie pas causalité. Il peut ainsi très bien y avoir des facteurs extérieurs qui expliquent ce lien.
Pour le lien croissance/pauvreté, le constat est plus délicat selon la mesure retenue de la pauvreté. En effet, celle-ci est-elle uniquement monétaire ? Dans ce cas, quel seuil retenir ?Pour le lien croissance/inégalités, c'est encore plus difficile car les inégalités sociales sont bien plus difficiles à mesurer objectivement - et sur longue durée - que des variations de richesse (encore que là aussi il y ait beaucoup à dire...). J'invite ainsi toujours les auditeurs à rester prudents avec ces supposées conséquences d'une croissance forte. D'ailleurs, je m'empresse, en général, de leur afficher l'évolution de la pauvreté monétaire, du nombre d'allocataires de minima sociaux, de l'écart de rémunération homme/femme, du différentiel de salaire grand patron/ouvrier, etc. Ces chiffres parlant en effet d'eux-mêmes... J'ai également traité la question des travailleurs pauvres, c'est-à-dire de ces personnes qui ont un emploi, font l'effort de travailler souvent dur, et qui n'arrive pas à gagner correctement leur vie. Qu'une prétendue démocratie, qui place le travail comme valeur suprême, puisse accepter qu'une personne travaille et soit pauvre, n'est-ce pas tout à la fois une honte et un échec patent de la politique économique ?
Après tout cela, j'ai souhaité orienté ma conférence vers le problème de la mesure de la richesse produite. Le PIB est, à cet effet, un très mauvais indicateur, puisqu'il ne tient compte que des richesses monétaires, excluant de fait la richesse humaine et sociale (quid de la richesse du bénévolat ? Quid du temps passé par une mère à élever ses enfants avec amour ?). J'en ai donc profité pour présenter quelques indicateurs alternatifs au traditionnel PIB (ISS, EBEE, IDH,...) et exposer les récentes conclusions de la Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social présidée par le prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz. Et de conclure qu'il reste très difficile de synthétiser la création de richesse en quelques indicateurs simples...
Enfin, j'ai rappelé - à travers de nombreux exemples - qu'une croissance soutenue allait inexorablement buter sur les limites physiques et écologiques de la planète. Par conséquent, j'ai voulu donner au public quelques clés pour lui permettre de comprendre - et participer ! - aux débats sur la décroissance, le développement durable (en rappelant que cette expression ne signifie rien en l'état), l'écologie politique.
Après ces 2h de conférence, le public fut invité à échanger sur ces questions, ce qu'il a fait avec beaucoup d'enthousiasme, tant le sujet est d'actualité ! Souhaitons que les politiques puissent eux-aussi se saisir de cette question, mais dans une optique humaine et non uniquement électorale...