Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les mécanismes de l'économie 3

Tout savoir sur l'économie

Les mécanismes de l'économie 2

50 idées reçues déchiffrées

 

Économie BTS

100% BTS

Les grands débats économiques

 

La grande saignée économique

 

Comprendre la dette

 

Dictionnaire révolté d'économie

Les mécanismes de l'économie

 

Le capitalisme en clair

Les marchés financiers en clair

Prépa ECG

Concours commun IEP 2025

Concours commun IEP 2023

Concours commun IEP 2022

Concours commun IEP 2020

Concours commun IEP 2019

Concours commun IEP 2017

Concours commun IEP 2016

Concours commun IEP 2015

Mondialisation-IEP.jpg

Concours commun IEP 2014

Travail et culture

Concours commun IEP 2011

63548

Concours commun IEP 2010

iep

Recherche

1 mai 2023 1 01 /05 /mai /2023 13:27

 

 

D'année en année, le travail est célébré dans les discours des dirigeants politiques, surtout en période électorale, sans que l'on sache très bien de quel travail il est question... Pourtant, la pandémie de covid-19 a démontré jusqu'à l'absurde que le travail utile pour la société n'était pas celui encensé par les politiques à longueur de discours. Il y a du reste urgence à redonner du sens au travail :

 

 

[ Source : ANACT ]

 

Les deux dernières décennies, dans le monde néolibéral décrit avec brio par David Cayla, la fête du Travail semblait se résumer à une curiosité des temps anciens, une anomalie diront les plus bravaches, qu'il faudra bien un jour supprimer au nom (choisissez dans la liste suivante l'explication qui vous sied le mieux) du progrès, de la nécessité de travailler plus, de la modernité, de l'effort collectif... Bref, la notion de lutte syndicale semblait s'être effacée du paysage social français, avant de faire son grand retour en ce début d'année 2023 avec une lutte syndicale unitaire contre la réforme des retraites. Cette dernière était, en effet, vue par l'ensemble des syndicats comme un assaut sur le modèle de protection sociale de type bismarckien, alors même que la variable clé du taux d'emploi des seniors a tout simplement été occultée de cette loi imposée par le moyen de l'article 49.3.

 

Cela soulève inévitablement la question du fonctionnement d'une démocratie représentative, qui repose sur plusieurs fictions brillamment résumées par la sociologue Dominique Schnapper : "sens du vote, règle de la majorité, respect de l’État de droit et des institutions qui l’organisent". Cela signifie que la légitimité politique est fondée sur une forme de "transcendance par l’élection" résultant d'un vote majoritaire lors d'élections libres selon des règles acceptées par tous les citoyens. Or, lorsque la légitimité conférée par les institutions républicaines n'entraîne plus nécessairement la légitimité politique, la société fait face à une crise politique et institutionnelle grave, n'en déplaise aux bonnes âmes qui veulent seulement y voir un problème de dialogue social.

 

En vérité, il y avait déjà un problème de dialogue social depuis des années, mais qui a atteint son acmé ces derniers mois avec la réforme des retraites, dans la mesure où le gouvernement a refusé tout véritable dialogue avec les organisations syndicales, au point de les polariser unitairement contre sa loi. Le plus inquiétant, c'est qu'à l'issue de cet épisode ("séquence" est le mot à la mode) marquant des luttes sociales, beaucoup de Français semblent garder un goût amer, susceptible de se transformer à terme en rejet des institutions politiques, en violence et peut-être pire...

 

Au vu de ce contexte social très particulier, je souhaiterais comme chaque année rappeler brièvement l'histoire de cette journée du 1er mai consacrée au travail.

 

Le choix du 1er mai

 

C'est le 30 avril 1947 que le gouvernement décida de faire du 1er mai un jour chômé et payé, sans qu'il soit d'ailleurs fait référence à une quelconque fête. L'appellation fête du Travail n'est donc que coutumière, même si par abus j'ai moi-même commencé ce billet en ces termes ! Il n'y a guère que sous Vichy, le 24 avril 1941, que le 1er mai fut désigné comme fête du Travail et de la concorde sociale...

 

Cette date du 1er mai s'inspire en fait des grèves et négociations du 1er mai 1886, qui débouchèrent sur une limitation de la journée de travail à huit heures aux États-Unis.

C'est en 1889 que la deuxième Internationale socialiste réunie à Paris se donnera pour objectif la journée de huit heures, puisque jusque-là le temps de travail habituel était de dix à douze heures par jour ! Et pour marquer cette revendication, il fut décidé d'organiser une grande manifestation à date fixe (le 1er mai...) dans le but de faire entendre la même revendication de réduction du temps de travail dans tous les pays !

 

C'est ainsi qu'est née la Journée internationale des travailleurs également appelée fête des Travailleurs, avec un premier défilé le 1er mai 1890, où les ouvriers firent grève et défilèrent avec le célèbre triangle rouge à la boutonnière, qui symbolisait les 3 grands tiers de la journée : travail, sommeil, loisir. Mais il faudra tout de même attendre le 23 avril 1919 pour que le Sénat français impose enfin une limite de travail à 8 heures par jour...

 

Les ateliers nationaux en 1848

 

Enfin, puisque nous sommes en si bon chemin semé d'embûches, regardons brièvement ce que l'histoire peut nous apprendre sur le traitement du chômage au XIXe siècle. Après la révolution de février 1848, trop souvent oubliée par les Français alors même que la déflagration se fit pourtant sentir partout en Europe sous l'expression désormais consacrée de Printemps des peuples, le gouvernement provisoire de la IIe République créa les Ateliers nationaux dans l'idée de procurer aux chômeurs de Paris un petit revenu en contrepartie d'un travail (cf. cet article du site Hérodote.net). C'est l'exemple typique d'une belle idée sociale, en l’occurrence défendue depuis 1839 par Louis Blanc, qui souhaitait créer des Ateliers sociaux pour rendre effectif le droit au travail.

 

Mais à l'Assemblée nationale, forts d'une majorité de notables provinciaux très méfiants à l'endroit des ouvriers, les députés décidèrent que les Ateliers nationaux ne devaient se voir confier aucun travail susceptible de concurrencer une entreprise privée (toute ressemblance avec la situation actuelle ne pouvant être totalement fortuite...). C'était dès lors les condamner au supplice de Sisyphe, d'autant que le nombre de chômeurs qu'ils employaient augmentait de façon vertigineuse : substituer des arbres provenant des pépinières nationales à des arbres sains préalablement abattus, dépaver les rues pour ensuite les paver à nouveau, etc.

 

Les Ateliers nationaux devinrent ainsi un repoussoir pour la classe bourgeoise, qui n'y voyait rien d'autre qu'un nid d'ouvriers révolutionnaires doublé d'un gouffre économique. Dès lors, par collusion d'intérêt, il n'est guère étonnant que nombre de parlementaires s'opposassent à toute forme d'intervention de l'État dans le domaine économique et dans la régulation des relations patrons/salariés. C'est que rentiers et bourgeois de l'Assemblée se sentaient offusqués de devoir entretenir avec l'argent public un nombre croissant de chômeurs employés par ce qu'ils surnommaient désormais les "râteliers nationaux", considérant qu'une telle aide relevait plutôt de la charité privée. Retour au 18e siècle.

 

Le 20 juin 1848 fut donc décidée la suppression des Ateliers nationaux, dans l'espoir de calmer au passage les velléités révolutionnaires des ouvriers. Ce faisant, 120 000 ouvriers furent licenciés par les Ateliers nationaux, ce qui déboucha sur de violentes émeutes de la faim (les journées de juinet une répression brutale. Répétons-le : c'est donc bien la République qui fit tirer sur le Peuple, même si cela semble difficile à entendre !

L'histoire nous rappelle que la question du travail et de sa valeur a souvent été traitée de manière partisane par le pouvoir politique, afin de satisfaire aux intérêts d'une minorité de riches faiseurs. Que n'a-t-on d’ailleurs entendu sur la "valeur travail", qu'il faudrait défendre et réimplanter d’urgence dans le cœur des Hommes. Or, trop souvent, les politiques confondent allègrement travail et emploi, évoquent du reste le chômage uniquement sous l'angle de son taux et le travail uniquement comme un coût salarial, pure vision de techniciens (technocrates ?). Cela permet d'occulter à dessein toutes les questions de qualité du travail, de déclassement professionnel et de mal-être au travail, pour ne conserver qu'un chiffre auquel l'on fait dire que le plein emploi est proche ! Même les mots sont dévoyés et finissent par dire le contraire de ce qu'ils signifient, comme je l'ai montré dans ce billet.

 

Pour finir, le lecteur intéressé par la problématique de l'emploi pourra utilement se reporter à mes anciens billets, qui conservent une certaine actualité :

 

 * Le travail ravagé par la perte de sens

 

 * Le temps de travail en France

 

 * Baisse du chômage : en route vers la crise sociale ?

 

 * Le taux d'activité ou la face cachée du plein emploi

 

 * la réforme des retraites est-elle indispensable ?

 

 * retraites : assaut sur le modèle de protection sociale

 

 * réforme des retraites 2023 : le taux d'emploi des seniors comme variable clé

 

 * les moutons mangent les hommes

 

 * Les sujets majeurs absents de la campagne présidentielle

Partager cet article

Repost0
30 avril 2023 7 30 /04 /avril /2023 12:57

 

 

 

Mercredi 3 mai à 18h30, je donnerai une deuxième conférence à l'Université Populaire de Sarreguemines sur le même modèle que la cafet'éco, que j'avais créée à l'UPSC, il y a plus de 13 ans ! Chacun est libre de prendre quelques notes, de participer en posant ses questions ou simplement d'écouter. Aucun prérequis n'est nécessaire pour suivre cette conférence d'économie.

 

Cette fois, nous évoquerons la dette ainsi que les dépenses publiques, et nous sommes convenus du titre suivant : Dépense et dette publiques : la poursuite du "quoi qu'il en coûte" ?. Il suffit de jeter un œil sur le graphique ci-dessous, pour comprendre la nécessité de s'intéresser aux tenants et aboutissants du "quoi qu'il en coûte" :

Infographie: Dette publique : un état des lieux | Statista Vous trouverez plus d'infographie sur Statista

Il sera donc question, entre autres, de la nature, du montant et de l'efficacité des dépenses publiques - au moment où le gouvernement lance son opération transparence sur les impôts  ("En avoir pour mes impôts", sic) -, de l'évolution du déficit public et de la soutenabilité de la dette publique... Autant de problématiques traitées par ailleurs dans mon nouveau livre grand public, Les grands mécanismes de l'économie en clair (3e édition, revue et augmentée), publié aux éditions Ellipses.

 

Renseignements auprès de l'UPSC, qui a fixé les prix suivants :

 

* Membres de l'UP : 5€
* Non-membres de l'UP : 7€
* Étudiants : gratuit

 

Université Populaire Sarreguemines Confluences

Place Jeanne d'Arc

57200 Sarreguemines

Tél : 03 87 09 39 81

Email : contact@upsc-asso.fr

 

 

Partager cet article

Repost0
25 avril 2023 2 25 /04 /avril /2023 11:15

 

 

Dans mon nouveau livre grand public, Les grands mécanismes de l'économie en clair (3e édition, revue et augmentée), publié aux éditions Ellipses, j'aborde de nombreuses thématiques d'actualité : l'inflation, la dette publique, la crise, la consommation... Des journalistes m'ont ainsi invité à évoquer mon livre et ces sujets brûlants dans le cadre d'interviews.

 

C'est notamment le cas de RCF à Metz :

Et du Républicain Lorrain :

 

 

Ce livre s'adresse donc à toutes les personnes qui souhaitent comprendre l'économie et peut être acheté dans toutes les bonnes librairies, même celles en ligne (dont voici quelques liens) :


Amazon I Fnac l Ellipses I Decitre I Chapitre I Joseph Gibert I Mollat

Partager cet article

Repost0
11 avril 2023 2 11 /04 /avril /2023 11:40

 


Mes récents articles sur l'inflation, la faillite de la Silicon Valley Bank aux États-Unis, la réforme des retraites et le déficit record de la balance commerciale en France, montrent la complexité de certains mécanismes économiques. Pourtant, il est important de chercher à les comprendre, afin de se forger une opinion éclairée sur ces questions d’actualité.

 

Vous aimeriez donc comprendre le fonctionnement de l’économie, mais n’avez pas le temps de lire un traité de 1000 pages ? Alors mon nouveau livre est fait pour vous, puisque tous les concepts sont présentés de manière abordable, illustrés d’exemples et de schémas ! En neuf chapitres, remaniés et augmentés dans cette 3e édition, il vous guidera dans les méandres de l’économie et vous apprendra à en décrypter le jargon. Et afin de faire de ce livre un outil pratique que l’on peut consulter lorsque l’on cherche un point précis, vous y trouverez également un index des principaux termes employés et un glossaire.

 

Vous serez ensuite capable de comprendre l’actualité économique et de répondre, notamment, aux questions suivantes :

 

- Quelles sont les causes et les conséquences de l’inflation ?


- À quoi servent les dépenses publiques ?


- La mondialisation est-elle un risque ou une chance ?


- À quoi servent les banques et les marchés financiers ?


- La dette publique menace-t-elle l’Union européenne de faillite ?


- Est-ce grave si la balance commerciale est déficitaire ?


- Qu’appelle-t-on développement durable ?


- La croissance peut-elle résoudre tous les problèmes économiques ?


- Qui crée la monnaie et sous quelles formes ?

 

Ce livre s'adresse donc à toutes les personnes qui souhaitent comprendre l'économie et peut être acheté dans toutes les bonnes librairies, même celles en ligne (dont voici quelques liens) :


Amazon I Fnac l Ellipses I Decitre I Chapitre I Joseph Gibert I Mollat

Partager cet article

Repost0
27 mars 2023 1 27 /03 /mars /2023 11:42

J'ai déjà écrit plusieurs fois sur l'inflation et me suis exprimé dans les médias, tant le sujet touche notre vie quotidienne. Après deux années de pandémie très difficiles à supporter en raison des confinements plus ou moins stricts mis en place, l'inflation a souvent été vécue comme le fardeau de trop pour les petites entreprises et les ménages. Mais en se contentant d'évoquer la perte de pouvoir d'achat et la dégradation des marges, l'on finit par oublier que l'inflation est avant tout un conflit de partage, donc un phénomène social ! Et dans ce conflit, certains agents économiques tirent mieux leur épingle du jeu que d'autres...

 

Un point sur l'inflation au sein de l'UE

 

Au niveau de la zone euro, le taux d'inflation annuel est estimé par Eurostat à 8,5 % en février 2023 et il ne fait toujours pas bon consommer dans les Pays baltes où ce taux flirte avec les 20 %. Si les prix de l'énergie ont été durant des mois la composante principale de cette inflation dans la zone euro, leur reflux a hélas été accompagné d'une hausse des prix sur d'autres biens et services comme l'alimentation :

 

 

[ Source : Eurostat ]

 

En France, sur un an, l'Insee estime que les prix à la consommation ont augmenté de 6,3 % en février 2023, en raison là aussi de l'alimentation et des services :

 

 

 [ Source : Insee ]

 

Comme l'on pouvait le craindre, la hausse initiale des prix de l'énergie s'est répercutée dans les prix des autres produits du panier de la ménagère, dont l'alimentation. Le risque est alors grand que les considérations de qualité alimentaire soient reléguées au second plan, tout comme celles de transition écologique/énergétique.

 

Gagnants et perdants

 

Caractériser les gagnants et les perdants de cet épisode inflationniste nécessite de s'intéresser à plusieurs facteurs :

 

 * l'indexation des salaires, et plus généralement le revenu, sur le taux d'inflation ;

 

 * la capacité de négociation collective des salariés pour obtenir des hausses (durables) de salaire ;

 

 * l'existence d'un stock d'épargne permettant de couvrir une baisse de pouvoir d'achat ;

 

 * le taux d'endettement à taux variable ou fixe des agents économiques ;

 

 * la capacité des entreprises à absorber la hausse des coûts de production ou à augmenter durablement leurs prix de vente pour maintenir leurs marges ;

 

 * la capacité des entreprises à se positionner sur les segments de production/vente les plus rémunérateurs avec l'envolée des prix ;

 

Plutôt qu'un long discours, voici les conclusions auxquelles arrive Olivier Passet dans cette courte vidéo de Xerfi Canal, et qui me semblent pertinentes :

Quoi qu'il en soit, l'actuel épisode d'inflation ne peut se traiter comme dans les années 1970, ne serait-ce qu'en raison du changement important de mode de régulation capitaliste. Nous ne sommes plus dans un capitalisme fordiste, mais financier, comme le prouve la récente faillite de la banque SVB. C'est d'ailleurs le resserrement de la politique monétaire aux États-Unis, qui a conduit aux difficultés des banques. Pourtant, cela n'empêche pas les autorités monétaires d'appliquer au phénomène inflationniste les mêmes remèdes qu'il y a un demi-siècle, au risque de conduire à une baisse des salaires réels (c'est déjà le cas), donc à un recul de la demande globale et à une récession...

Partager cet article

Repost0
13 mars 2023 1 13 /03 /mars /2023 13:19

 

 

Difficile de passer à côté de l'annonce phare de ces derniers jours : la banque américaine des start-up, Silicon Valley Bank (SVB), a été fermée vendredi 10 mars par le régulateur californien ! L'on notera d'ailleurs que ces mauvaises nouvelles bancaires ont tendance à être annoncées le vendredi, laissant les clients dans une situation épouvantable tout le week-end... Puis, le lundi, commence le ballet à plusieurs temps (et à plusieurs sujets, au double sens artistique du terme) : recherche de la liste complète des clients afin d'identifier les maillons faibles, mouvements violents sur les marchés financiers, annonces politiques sur la solidité du système bancaire pour éviter la contagion et l'effondrement, recherche de responsabilités individuelles histoire de couper quelques têtes pour l'exemple, etc.

 

SVB n'échappe pas à ce ballet macabre.

 

La banque des start-up

 

Silicon Valley Bank (SVB) est (était ?) une banque américaine implantée à Santa Clara en Californie. Fondée en 1983, elle s'est spécialisée dans le monde des technologies numériques et finançait de nombreuses start-up. Inconnue du grand public, la SVB était une star dans l’écosystème de la Tech, à en juger par les unes élogieuses accordées par les grands magazines spécialisés :

 

 

 

D'après les premières informations qui circulent, cette banque finançait allègrement les jeunes pousses de la Silicon Valley et, en contrepartie, ces dernières déposaient leur trésorerie sur ses comptes. Rien d'étonnant à ce que la SVB soit parvenue à se hisser au 16e rang des banques par sa taille. Mais depuis vendredi 10 mars, SVB c'est plutôt ça :

 

 

Remontée des taux d'intérêt et crise de la Tech

 

Que s'est-il donc passé pour déchoir le roi du capital-risque de son trône ? Prêter des fonds aux start-up est une activité pouvant se révéler hautement lucrative, surtout lorsque le monde de la Tech semblait connaître une croissance sans limite. Portées par les record en Bourse des géants de la Tech, les start-up levaient très facilement des montants colossaux, ce qui n'est pas sans rappeler la fin des années 1990 avec l'émergence d'internet.

 

Mais depuis la fin des confinements, le chiffre d’affaires des géants de la Tech est revenu à un rythme de progression moins effréné, d’où des désillusions notamment sur le Nasdaq pour Amazon, Microsoft, Apple, Meta… Et quand le doute s'instille dans les esprits, c'est l'ensemble du secteur qui fait ensuite grise mine et en particulier les start-up, pour lesquelles les investisseurs exigent désormais une rentabilité forte et rapide. Dès lors, ces jeunes pousses, très endettées, ont plus de mal à se financer et tirent plus souvent sur leur compte en banque pour, entre autres, rembourser des crédits devenus plus chers avec la hausse des taux d'intérêt.

 

Ce faisant, une banque comme SVB doit faire face à des retraits de plus en plus importants, qui la conduisent à vendre des actifs mis en réserve afin de trouver des liquidités. Et cela au plus mauvais moment, puisque les portefeuilles de titres de la banque, souvent des obligations, ont subi des moins-values liées au resserrement monétaire aux États-Unis, à la hausse des taux d'intérêt et à l'inflation (le lecteur est invité à choisir la séquence causale qui lui semble la plus pertinente avec ces trois facteurs).

 

Résultat des courses : à un moment, les pertes doivent être prises et les montants commencent à devenir élevés : il est question de 1,8 milliard de dollars ! La tentative malheureuse de procéder alors à une augmentation de capital de plus de 2 milliards d'euros en parallèle d'un financement par crédit tombe elle aussi au mauvais moment, puisque le marché est plutôt mal disposé. Et une dégradation de la signature de la banque par les agences de notation n'a fait qu'empirer le mal, d'autant que dans le monde du capital-risque, les rumeurs sur la mauvaise santé de la SVB allaient bon train depuis la fin 2022...   L'un dans l'autre, une fois la rumeur devenue une annonce publique, la SVB fit un saut dans le précipice le 8 mars, avec une chute de plus de 60 % de la valeur de son action.

 

Et maintenant ?

 

Le régulateur californien, la California Department of Financial Protection and Innovation, n'avait dès lors guère le choix que de prendre le contrôle formel de la banque, après l'avoir déclarée insolvable. Mes étudiants reconnaîtront un mécanisme bien connu, qui conduit une banque illiquide à devenir très vite insolvable. Chemin faisant, ce fut au tour de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) d'entrer en jeu de massacre, en limitant à 250 000 dollars par épargnant (ou investisseur) le montant récupérable sur un compte, conformément au seuil de garantie légale aux États-Unis. L'on n'avait plus vu cela à une telle échelle depuis la crise des subprimes avec Washington Mutual !

 

Comme à chaque fois, les régulateurs affirmeront à n'en pas douter, qu'il ne leur était pas possible d'anticiper la catastrophe. Et pourtant, la faillite du géant des cryptoactifs, FTX, laissait clairement entrevoir une situation tendue dans le financement des start-up. Maintenant, il s'agit d'éviter un effet de contagion entre banques et de savoir si le gouvernement américain renflouera la banque SVB avec de l'argent public. Janet Yellen affirme qu'il n'est pas question d'une telle aide, puisque la FDIC cherche à mettre la banque aux enchères. D'ailleurs, sur son site, la FDIC précise (traduction en Français faite par moi) :

 

Le transfert de tous les dépôts a été effectué dans le cadre de l'exception pour risque systémique approuvée hier. Tous les déposants de l'institution seront indemnisés.  Aucune perte liée à la résolution de la Silicon Valley Bank ne sera supportée par les contribuables.  Les actionnaires et certains détenteurs de créances non garanties ne seront pas protégés.  Les cadres supérieurs ont également été démis de leurs fonctions.  Toute perte subie par le fonds d'assurance-dépôts pour soutenir les déposants non assurés sera recouvrée par une cotisation spéciale sur les banques, comme le prévoit la loi.

 

Mais, si la panique devait s'étendre sur les marchés, a priori uniquement américains au vu de la taille relative de la banque, il est à peu près certain que les États-Unis partiraient pour une nouvelle politique de bail-out. Heureusement, SVB n'est pas dans la liste des banques systémiques (sic).

Je ne peux donc que reprendre la conclusion de mon article sur la panique dans le monde des cryptos. N'est-il pas déraisonnable que des gouvernements continuent à fonder leurs politiques économiques avec pour seule ambition de créer des licornes, quel que soit le modèle d'affaire de l'entreprise ? Plus généralement, n'est-il pas déraisonnable de laisser la bride sur le cou à des acteurs financiers qui ne recherchent que leur intérêt privé égoïste (quid de la sépration des activités bancaires) ? Ce d'autant plus qu'à l'arrivée, c'est toujours, hélas, une minorité qui touche le gros lot, tandis que l'immense majorité paye les pots cassés du monde des cryptos, mais aussi des banques et de la finance !

 

N.B. Et maintenant, voilà que Credit Suisse se retrouve en difficulté, entraînant l'ensemble du secteur bancaire européen dans sa chute boursière. Assurément, le temps de l'argent gratuit est bien révolu. Comme l'affirmait le célèbre investisseur Warren Buffet, "c'est quand la mer se retire qu'on voit ceux qui se baignent nus"...

Partager cet article

Repost0
28 février 2023 2 28 /02 /février /2023 11:29

 

 

Comme chaque année à la même période, le marronnier du déficit de la balance commerciale refleurit, même si cette année il a quelque peu été éclipsé par la réforme des retraites. Quoi qu'il en soit, Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité et des Français de l'étranger (sic !) a commencé sa conférence de presse par un constat sobre : "on est malheureusement dans la continuité des années précédentes".

 

Encore une fois, cela témoigne de l'importance excessive - l'obsession ? - accordée au commerce international des biens dans une économie où les services pèsent pourtant très lourd. C'est pourquoi après mes articles consacrés à la réforme des retraites, l'un présentant les tenants et aboutissants du projet de loi, les deux autres abordant le type de protection sociale et le rôle tenu par le taux d'emploi des seniors, plongeons sans attendre dans les chiffres du commerce extérieur de la France.

 

Balance commerciale et taux de couverture

 

Commençons par quelques rappels terminologiques et méthodologiques. La balance commerciale est le compte qui retrace la valeur des biens exportés et la valeur des biens importés sur la base des statistiques douanières. Les exportations ne prennent en compte que les coûts d’acheminement jusqu’à la frontière française, c'est pourquoi l'on parle d'une valorisation FAB (franco à bord). Les importations, quant à elles, sont évaluées en tenant compte des coûts d’acheminement entre les deux frontières, ce que l'on qualifie de valorisation CAF (coût assurance fret).

 

Afin de pouvoir analyser des flux homogènes, les services des douanes sont dès lors contraints de corriger les chiffres CAF pour obtenir la valeur des importations FAB :

 

 

[ Source : https://lekiosque.finances.gouv.fr/site_fr/etudes/methode/traitement.asp ]

 

Le solde de la balance commerciale est par définition la différence entre la valeur des exportations et celle des importations. Si celui-ci est positif, on parle d'excédent commercial, sinon il s'agit d'un déficit commercial. Il est à noter que contrairement aux États-Unis entre autres, la balance commerciale en France ne couvre donc que les biens, mais pas les services.

 

Une autre manière, équivalente, de présenter le commerce international de biens, consiste à calculer le taux de couverture du commerce extérieur :

 

 

* lorsque le taux de couverture est inférieur à 1, la balance commerciale est déficitaire ;

 

 * lorsque le taux de couverture est égal à 1, la balance commerciale est équilibrée ;

 

 * lorsque le taux de couverture est supérieur à 1, la balance commerciale est excédentaire.

 

Notons que la balance commerciale (et donc le taux de couverture), peut être relative à un produit ou à l'ensemble des échanges de produits.

 

Le déficit commercial de la France

 

Commençons par ce graphique qui présente l'évolution du solde commercial de la France depuis 2004, date à laquelle elle devient structurellement déficitaire :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Alors que les exportations de biens ont confirmé en 2022 (+18,5 %) le dynamisme déjà retrouvé en 2021, les importations ont augmenté bien plus rapidement en valeurs (+29,1 %). L'un dans l'autre, cela se traduit donc par un abyssal déficit de la balance commerciale de 163,6 milliards d'euros contre 78,1 milliards en 2021 ! Cette très forte dégradation en 2022 s'explique principalement par le poids de la facture énergétique :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Les chiffres clés du commerce extérieur de la France en 2022

 

Toujours selon le rapport 2023 sur le commerce extérieur, voilà les principaux éléments à retenir sur le commerce extérieur de la France (chiffres, principaux partenaires, secteurs concernés...) :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Le solde commercial de quelques autres pays de l'UE

 

Le graphique ci-dessous présente le solde de la balance commerciale pour plusieurs pays de l'UE. Il faut néanmoins rester prudent sur l'interprétation de ces chiffres, puisqu'ils ne tiennent pas définition pas compte des services et ne permettent certainement pas de conclure qu'en Allemagne tout va bien et qu'à l'inverse au Royaume-Uni tout va mal, comme je l'ai expliqué dans mon livre Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'économie.

 

 

[ Source : OCDE ]

 

Néanmoins, l'on peut en déduire que l'année 2022 a marqué la dégradation de la balance commerciale dans presque tous les pays de l'UE en raison du cocktail constitué de la flambée des coûts énergétiques, de la faiblesse de l’euro face au billet vert et des incertitudes liées, entre autres, à la guerre en Ukraine.

 

Est-ce grave docteur ?

 

Ce qui compte vraiment, ce n'est pas tant le solde des seuls biens (balance commerciale), mais celui qui inclut les biens, services, revenus (salaires, dividendes, intérêts…) et certains transferts (dons, aides…). L'on obtient alors la balance courante, présentée sur le graphique ci-dessous :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Et l'image qu'elle donne du commerce extérieur est bien différente de celle qui résultait de la seule prise en compte des biens. En effet, même si le solde commercial est déficitaire, c'est tout le contraire pour les services dont le solde connaît un record, tiré par les transports et le tourisme, ce qui reflète la réalité de l'économie française où la part de l'industrie est déclinante (désindustrialisation) et où les emplois se situent essentiellement dans le secteur des services :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Certes, la balance courante affiche un déficit de 2 % du PIB en 2022 alors qu’elle était légèrement excédentaire en 2021. Mais ces chiffres sont loin d'être catastrophiques, car ils témoignent tout de même d'une capacité à rebondir de la France et à proposer des biens/services demandés à l'étranger.

 

Tout ce que nous venons de voir doit avant tout faire réfléchir sur les choix politiques des trois dernières décennies. Ce d'autant que la crise liée à la covid-19 rappelle au demeurant qu'au-delà des chiffres, le commerce international soulève des questions de souveraineté et de sécurité trop longtemps occultées… En tout état de cause, l'illusion d'une économie de la connaissance sans industrie (fabless pour reprendre le mot d'un célèbre patron français...) a contribué à une désindustrialisation accélérée et une baisse des dépenses de R&D. De là découle notamment une baisse tendancielle des gains de productivité et de la croissance potentielle, qui n'est d'ailleurs pas sans rapport avec les enjeux de la réforme des retraites.

 

 

[ Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2121532 ]

 

Et comme le rappelait Vincent Vicard, directeur adjoint du CEPII, dans une entrevue accordée au Monde il y a un an (mais toujours d’actualité !), les politiques publiques de baisse d'impôts sur la production et de réindustrialisation ont largement échoué à inverser la tendance, car la délocalisation reste un outil très prisé des multinationales françaises... À trop lorgner du côté de la compétitivité prix, l'on finit par oublier les autres dimensions de la compétitivité comme la qualité. Vouloir à tout prix faire de toutes les PME françaises des sociétés exportatrices me semble dès lors vain et inatteignable, car toutes n'ont pas vocation à s'étendre à l’international, malgré de nouvelles et nombreuses aides publiques.

 

Or, faut-il rappeler que ce n'est pas en accompagnant la dégradation du tissu industriel d'une dégradation des conditions de travail, de retraite et de chômage, que l'on inversera cette tendance. Et dire qu'il aura fallu attendre Macron, chantre de la flexibilité rebaptisée flexisécurité, pour que la question de la souveraineté économique refasse surface, même si la gestion de la crise de la covid-19 a montré l'incapacité du gouvernement français à ajouter des actes aux paroles ! Et que dire de cette lubie pour les seules start-up, alors que l'essentiel de l'emploi est lié aux industries plus traditionnelles, qu'il faudrait accompagner dans leur transition écologique (entre autres).

 

Bref, année après année, les dirigeants politiques déplorent le déficit commercial sans en analyser les causes dont ils sont souvent en partie responsables et qu'ils chérissent. Terminer un billet économique en paraphrasant Bossuet, qui l'eût cru ?

Partager cet article

Repost0
21 février 2023 2 21 /02 /février /2023 11:21

 

 

Cet ouvrage collectif est destiné aux étudiants préparant le concours commun d'entrée en 1re année des IEP, qui se déroulera le 22 avril 2023. Composé de 300 pages et de d'une centaine de fiches (dissertations corrigées, fiches de culture général, fiches de lecture), il permet une préparation efficace à l'épreuve de questions contemporaines du concours (durée : 3h, coefficient 3, dissertation sur un sujet à choisir parmi deux), dont les thèmes pour 2023 sont l'alimentation et la peur.

 

Rappelons que cette épreuve évalue la connaissance, la capacité à analyser et à argumenter sur les grands thèmes et débats inscrits dans l'actualité des années récentes. Le candidat doit dès lors mobiliser une palette de savoirs variés : économie, histoire, science politique, géographie, philosophie, actualité des sciences et techniques..., pour traiter des grandes problématiques actuelles.

 

Dans cette perspective, nous avons été nombreux (enseignants en classes préparatoires, responsables de formation IEP et universitaires spécialistes du thème) à nous réunir afin de concevoir des dissertations et fiches de lecture/synthèse pour une préparation optimale des candidats à l'épreuve. Pour ma part, j'ai apporté la contribution suivante : L'alimentation dans le budget des ménages.

 

Ce livre peut être utilement complété par les autres ouvrages de la même collection et par mes livres, notamment Mieux comprendre l'économie : 50 idées reçues déchiffrées ou mon petit manuel d'économie Les grands mécanismes de l'économie en clair - 2e édition, dont une troisième édition va paraître le 4 avril toujours aux éditions Ellipses.

 

Cet ouvrage de préparation au concours IEP peut être acheté dans toutes les bonnes librairies et en ligne :

 

Amazon I Ellipses I Fnac I Decitre I Joseph Gibert I Chapitre

Partager cet article

Repost0
9 février 2023 4 09 /02 /février /2023 13:26

 

 

Après deux articles consacrés à la réforme des retraites, l'un présentant les tenants et aboutissants du projet de loi et l'autre le rôle tenu par le taux d'emploi des seniors, restons dans la thématique en évoquant les deux principaux types de système de protection sociale : le modèle bismarckien et le modèle beveridgien. Cela permettra de comprendre en quoi la volonté du gouvernement français de passer du premier au second, notamment en matière de chômage et de retraite, est porteur de graves désillusions. Et une fois n'est pas coutume, nous terminerons ce billet par un petit florilège des arguments abracadabrantesques avancés par certains politiques pour justifier cette réforme des retraites.

 

Le modèle bismarckien

 

Comprenant le danger des désordres sociaux engendrés par la pauvreté et la misère, dans un contexte de développement du socialisme, le chancelier de fer (Bismarck) choisit de mettre en place un système de protection sociale novateur en cette fin de XIXe siècle, avec une protection contre les risques maladie (1883), les accidents de travail (1884), la vieillesse et l'invalidité (1889).

 

Selon les époques, les systèmes bismarckiens ont pu varier quelque peu, mais pour l'essentiel ils sont fondés sur l'accumulation de droits à la protection sociale liés au travail. La participation financière des ouvriers et des employeurs prend alors la forme de cotisations sociales, et non de "charges sociales", vocable patronal qui trahit une vision purement comptable des prélèvements obligatoires. Dans une vision socialisée du risque, celles-ci sont par conséquent fonction croissante des salaires et non du risque lui-même. Les membres de la famille sont du reste souvent couverts au titre des ayants droit. Enfin, par construction, le fonctionnement d'un tel système de protection sociale est dévolu aux salariés et aux employeurs.

 

Le modèle beveridgien

 

Ce deuxième modèle de protection sociale repose sur un célèbre rapport de 1942 (Rapport au Parlement sur la Sécurité sociale et les prestations connexes), rédigé par l’économiste William Beveridge sur demande du gouvernement britannique. Il s'agissait de repenser le modèle d'assurance maladie, dont le développement semblait peu satisfaisant au gouvernement. Lord Beveridge proposait de "libérer l’homme du besoin et du risque", afin d'assurer un développement économique et social pérenne.

 

Depuis, l'on qualifie de beveridgien tout système de protection sociale fondé l'universalité de la protection sociale (tous les risques et toutes les personnes sont couverts), l'uniformité des prestations (même montant versé à tous) et sur l'unicité du financement. Ce dernier point signifie qu'un système beveridgien n'est donc pas contributif (pas de cotisations sociales), mais repose sur des impôts, d'où une gestion par l'État de la protection sociale généralement au moyen d’une assurance nationale. C'est pourquoi les systèmes beverigiens sont aussi souvent qualifiés d'assurantiels.

 

Le passage à un modèle beveridgien

 

Chacun en son temps, Bismarck et Beveridge ont participé à l'édification de l’État social, notion que ses détracteurs ont fini par qualifier péjorativement d'État-providence. Mais faut-il en déduire que par son universalité, le modèle beveridgien est préférable au modèle bismarckien ? Ce serait oublié un peu vite ce que recouvrent ces formes de protection sociale ! Comme le rappelle avec brio Pierre-Cyrille Hautcoeur dans une chronique au Monde, basculer d'un système de retraite bismarckien à un système de retraite beveridgien est l'objectif suivi depuis deux décennies en France comme en témoignent notamment les exonérations de cotisations sociales compensées par de savants fléchages de rentrées fiscales.

 

Bref, des impôts à la place des cotisations sociales, et encore pas toujours pour le même montant malgré l'obligation issue de la loi du 25 juillet 1994 (loi Veil), ce qui asphyxie toujours un peu plus la Sécurité sociale, comme je l'ai expliqué dans ce billet, et permet ensuite d'invoquer les caisses vides comme argument massue pour réformer, voire privatiser.  Or, dans un système beveridgien, l'universalité de la prestation va (trop) souvent de pair avec un montant faible (qu'il suffise de jeter un œil aux États-Unis pour s'en convaincre...), ce qui conduit les personnes à recourir - si elles le peuvent - à la capitalisation individuelle ou collective, dans l'espoir de gagner de quoi vivre une retraite à peu près correcte. Pourtant, derrière les beaux discours de la retraite par capitalisation se cachent toujours des réalités moins agréables à entendre : les marchés financiers sont loin de garantir une prestation définie lorsque l'heure de la retraite aura sonné, une crise pouvant emporter tous ces espoirs (et les fonds déposés) vers les tréfonds...

 

C'est bien pour cela que le système de retraite est par répartition en France depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui témoigne d'une solidarité intergénérationnelle et d'une solidarité d'intérêts entre employeurs et employés (ils gèrent en effet ensemble le système de protection sociale), quelle que soit leur classe sociale. Dans un système beveridgien, au contraire, Pierre-Cyrille Hautcoeur rappelle que les intérêts financiers des classes moyennes et des plus riches convergent en matière de gestion de l'épargne. Bref, les plus pauvres sont persuadés que l'impôt est forcément mauvais et que l'universalité du système les protège, alors qu'en vérité ce système les abandonne souvent à leur sort avec une maigre prestation uniforme.

 

Des arguments abracadabrantesques

 

Pour finir ce billet dans un mouvement rabelaisien, rions-nous des arguments abracadabrantesques avancés par certains politiques pour justifier cette réforme des retraites (je laisse le lecteur compléter à sa guise cet  embryon d'inventaire) :

 

 * la faillite du système des retraites (un grand classique, pourtant démenti par le rapport du COR);

 

 * sans réforme, les pensions des retraités baisseraient de 20 % (Olivier Dussopt en grande verve) ;

 

 * "les mesures ne sont pas comprises, appréciées à leur juste valeur" (Laurent Marcangeli) ;

 

 * la réforme permettra aux aides à domicile de travailler jusqu'à 64 ans (grand prix "le mal de dos n'est pas une fatalité") ;

 

 * "Si nous devions augmenter les cotisations, de fait on baisserait les salaires" (Olivier Véran)

 

 * "Aucun Français ne verra sa retraite baisser" (Paul Midy)

 

 * "La retraite, c'est le capital de ceux qui n'en n'ont pas" (Stanislas Guerini inventant la notion de capital fondant)

 

 * les cotisations sociales n'ont pas vocation à financer notre système de retraite (Nadia Hai, grandiose !)

 

 * "1 200 euros de pension minimale" (Bruno Le Maire récitant des éléments de langage repris sous d'autres formes par d'autres politiques, argument démonté par Michaël Zemmour)

 

P.S. L'image de ce billet est une capture d'écran d'une petite vidéo de Dessine-moi l'éco.

Partager cet article

Repost0
30 janvier 2023 1 30 /01 /janvier /2023 10:56

 

 

Dans mon précédent article consacré à la réforme des retraites, j'avais présenté les grandes lignes du projet de réforme, le calendrier parlementaire afférent et les arguments avancés par les uns et les autres. Depuis, il y a eu la journée de mobilisation du 19 janvier, qui a vu largement plus d'un million de personnes défiler partout en France contre la réforme. Et le 31 janvier, un front syndical unitaire appelle à une deuxième journée de mobilisation nationale.

 

Mon interview sur Mosaïk Cristal

 

J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur cette réforme durant 5 minutes dans l'émission spéciale de Mosaïk Cristal, ce qui m'aura permis de préciser quelques faits et de donner des éléments de réflexion sur le sujet :

L'emploi des seniors : variable clé de la réforme

 

Dans son discours du 10 janvier, Élisabeth Borne a évoqué la variable clé de cette réforme : l'emploi des seniors.

 

Enfin, le dernier progrès majeur de ce projet concerne l'emploi des seniors. Et c'est là aussi un combat auquel je crois profondément. Nous sommes l'un des pays d'Europe où la part des personnes de 60 à 64 ans qui travaille est la plus faible. Cela nous conduit à nous priver de leur expérience, de compétences précieuses et de leur contribution à notre richesse nationale. C'est aussi trop souvent le fait d'une pratique abusive et – disons-le – discriminatoire, qui consiste à faire partir les salariés quelques années avant leur retraite. Les entreprises doivent faire leur place aux personnes proches de la retraite et veiller à une meilleure qualité de vie au travail. Il est temps que les employeurs prennent en main ce sujet.

 

En effet, comme le montre le graphique ci-dessous, le taux d’emploi des seniors demeure extrêmement faible en France (35,5 % pour les 60-64 ans) :

 

 

[ Source : DARES - Les seniors sur le marché du travail en 2021 ]

 

Si l'on s'intéresse plus globalement aux personnes de 55 à 64 ans, le taux d'emploi en France est bien inférieur à la moyenne de l'UE :

 

 

[ Source : DARES - Les seniors sur le marché du travail en 2021 ]

 

Les freins à l'emploi des seniors

 

Bien entendu, il existe des disparités importantes entre cadres et ouvriers, que le gouvernement n'aborde finalement que très peu, sauf sous l'angle extrêmement réducteur de la pénibilité et de la durée des carrières.  Quoi qu'il en soit, Élisabeth Borne a affirmé qu'un « index sera créé sur la place des salariés en fin de carrière » dans les entreprises de plus de 1000 salariés en 2023, et dans celles de plus de 300 salariés dès 2024. Hélas, sans aucune sanction véritable, cet index rejoindra l'enfer des indicateurs pavé de bonnes intentions !


De (trop) nombreux seniors font l'amère expérience d'un marché du travail bloqué pour les plus de 55 ans, et encore je vois large en mettant la barre à 55 ans... Une étude de la Direction générale du Trésor relève ainsi les freins suivants à l'emploi des seniors :

 

 * du côté de la demande des entreprises, l'étude évoque une perte d'employabilité (réelle ou non) avec l'âge, qui se conjugue à un recours à la formation et une adaptabilité plus faibles ; la question de la rémunération n'y est pas étrangère ainsi que la discrimination envers les plus âgés ;

 

 * du côté de l'offre de travail des individus, l'étude met notamment en avant une plus faible incitation au retour à l'emploi due aux règles d'indemnisation du chômage, un manque d'adaptation des conditions de travail à la réalité du vieillissement et aux problèmes de santé.

 

Et pour ma part, je ne suis pas certain que le monde du travail actuel, caractérisé par la perte de sens et la recherche effrénée du profit, donne vraiment envie de poursuivre sa carrière au-delà d'un certain âge...

 

Dès lors, il semble hasardeux d'affirmer, comme le fait le gouvernement, que le report de l’âge légal de départ à la retraite favorisera de manière certaine le taux d’emploi des seniors. Un tel lien - pas forcément mécanique du reste - peut exister pour certains cadres, mais assurément pas pour l'ensemble des salariés. Pour ces derniers, reporter l'âge de la retraite les condamnerait à demeurer encore plus longtemps dans le sas de précarité (ni en emploi ni à la retraite), du moins pour ceux qui seraient encore en vie.


Tout cela me conduit à reprendre la conclusion d'un précédent article consacré à la question des retraites : et s'il s'agissait tout simplement de réduire les dépenses publiques, programme idéologique sur lequel j'ai souvent écrit (par exemple ici) ? C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre cette phrase du PLF 2023 (p.11): "les administrations de sécurité sociale participeront à la maîtrise de l’évolution des dépenses, permise notamment par la réforme des retraites, la réforme de l’assurance chômage favorisant le plein emploi et la maîtrise des dépenses de santé (la progression de l’ONDAM s’établira à +2,7 % sur 2024-2025 puis 2,6 % sur 2026-2027)".

 

P.S. L'image de ce billet provient de cet article du Parisien.

Partager cet article

Repost0

Archives