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13 mars 2023 1 13 /03 /mars /2023 13:19

 

 

Difficile de passer à côté de l'annonce phare de ces derniers jours : la banque américaine des start-up, Silicon Valley Bank (SVB), a été fermée vendredi 10 mars par le régulateur californien ! L'on notera d'ailleurs que ces mauvaises nouvelles bancaires ont tendance à être annoncées le vendredi, laissant les clients dans une situation épouvantable tout le week-end... Puis, le lundi, commence le ballet à plusieurs temps (et à plusieurs sujets, au double sens artistique du terme) : recherche de la liste complète des clients afin d'identifier les maillons faibles, mouvements violents sur les marchés financiers, annonces politiques sur la solidité du système bancaire pour éviter la contagion et l'effondrement, recherche de responsabilités individuelles histoire de couper quelques têtes pour l'exemple, etc.

 

SVB n'échappe pas à ce ballet macabre.

 

La banque des start-up

 

Silicon Valley Bank (SVB) est (était ?) une banque américaine implantée à Santa Clara en Californie. Fondée en 1983, elle s'est spécialisée dans le monde des technologies numériques et finançait de nombreuses start-up. Inconnue du grand public, la SVB était une star dans l’écosystème de la Tech, à en juger par les unes élogieuses accordées par les grands magazines spécialisés :

 

 

 

D'après les premières informations qui circulent, cette banque finançait allègrement les jeunes pousses de la Silicon Valley et, en contrepartie, ces dernières déposaient leur trésorerie sur ses comptes. Rien d'étonnant à ce que la SVB soit parvenue à se hisser au 16e rang des banques par sa taille. Mais depuis vendredi 10 mars, SVB c'est plutôt ça :

 

 

Remontée des taux d'intérêt et crise de la Tech

 

Que s'est-il donc passé pour déchoir le roi du capital-risque de son trône ? Prêter des fonds aux start-up est une activité pouvant se révéler hautement lucrative, surtout lorsque le monde de la Tech semblait connaître une croissance sans limite. Portées par les record en Bourse des géants de la Tech, les start-up levaient très facilement des montants colossaux, ce qui n'est pas sans rappeler la fin des années 1990 avec l'émergence d'internet.

 

Mais depuis la fin des confinements, le chiffre d’affaires des géants de la Tech est revenu à un rythme de progression moins effréné, d’où des désillusions notamment sur le Nasdaq pour Amazon, Microsoft, Apple, Meta… Et quand le doute s'instille dans les esprits, c'est l'ensemble du secteur qui fait ensuite grise mine et en particulier les start-up, pour lesquelles les investisseurs exigent désormais une rentabilité forte et rapide. Dès lors, ces jeunes pousses, très endettées, ont plus de mal à se financer et tirent plus souvent sur leur compte en banque pour, entre autres, rembourser des crédits devenus plus chers avec la hausse des taux d'intérêt.

 

Ce faisant, une banque comme SVB doit faire face à des retraits de plus en plus importants, qui la conduisent à vendre des actifs mis en réserve afin de trouver des liquidités. Et cela au plus mauvais moment, puisque les portefeuilles de titres de la banque, souvent des obligations, ont subi des moins-values liées au resserrement monétaire aux États-Unis, à la hausse des taux d'intérêt et à l'inflation (le lecteur est invité à choisir la séquence causale qui lui semble la plus pertinente avec ces trois facteurs).

 

Résultat des courses : à un moment, les pertes doivent être prises et les montants commencent à devenir élevés : il est question de 1,8 milliard de dollars ! La tentative malheureuse de procéder alors à une augmentation de capital de plus de 2 milliards d'euros en parallèle d'un financement par crédit tombe elle aussi au mauvais moment, puisque le marché est plutôt mal disposé. Et une dégradation de la signature de la banque par les agences de notation n'a fait qu'empirer le mal, d'autant que dans le monde du capital-risque, les rumeurs sur la mauvaise santé de la SVB allaient bon train depuis la fin 2022...   L'un dans l'autre, une fois la rumeur devenue une annonce publique, la SVB fit un saut dans le précipice le 8 mars, avec une chute de plus de 60 % de la valeur de son action.

 

Et maintenant ?

 

Le régulateur californien, la California Department of Financial Protection and Innovation, n'avait dès lors guère le choix que de prendre le contrôle formel de la banque, après l'avoir déclarée insolvable. Mes étudiants reconnaîtront un mécanisme bien connu, qui conduit une banque illiquide à devenir très vite insolvable. Chemin faisant, ce fut au tour de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) d'entrer en jeu de massacre, en limitant à 250 000 dollars par épargnant (ou investisseur) le montant récupérable sur un compte, conformément au seuil de garantie légale aux États-Unis. L'on n'avait plus vu cela à une telle échelle depuis la crise des subprimes avec Washington Mutual !

 

Comme à chaque fois, les régulateurs affirmeront à n'en pas douter, qu'il ne leur était pas possible d'anticiper la catastrophe. Et pourtant, la faillite du géant des cryptoactifs, FTX, laissait clairement entrevoir une situation tendue dans le financement des start-up. Maintenant, il s'agit d'éviter un effet de contagion entre banques et de savoir si le gouvernement américain renflouera la banque SVB avec de l'argent public. Janet Yellen affirme qu'il n'est pas question d'une telle aide, puisque la FDIC cherche à mettre la banque aux enchères. D'ailleurs, sur son site, la FDIC précise (traduction en Français faite par moi) :

 

Le transfert de tous les dépôts a été effectué dans le cadre de l'exception pour risque systémique approuvée hier. Tous les déposants de l'institution seront indemnisés.  Aucune perte liée à la résolution de la Silicon Valley Bank ne sera supportée par les contribuables.  Les actionnaires et certains détenteurs de créances non garanties ne seront pas protégés.  Les cadres supérieurs ont également été démis de leurs fonctions.  Toute perte subie par le fonds d'assurance-dépôts pour soutenir les déposants non assurés sera recouvrée par une cotisation spéciale sur les banques, comme le prévoit la loi.

 

Mais, si la panique devait s'étendre sur les marchés, a priori uniquement américains au vu de la taille relative de la banque, il est à peu près certain que les États-Unis partiraient pour une nouvelle politique de bail-out. Heureusement, SVB n'est pas dans la liste des banques systémiques (sic).

Je ne peux donc que reprendre la conclusion de mon article sur la panique dans le monde des cryptos. N'est-il pas déraisonnable que des gouvernements continuent à fonder leurs politiques économiques avec pour seule ambition de créer des licornes, quel que soit le modèle d'affaire de l'entreprise ? Plus généralement, n'est-il pas déraisonnable de laisser la bride sur le cou à des acteurs financiers qui ne recherchent que leur intérêt privé égoïste (quid de la sépration des activités bancaires) ? Ce d'autant plus qu'à l'arrivée, c'est toujours, hélas, une minorité qui touche le gros lot, tandis que l'immense majorité paye les pots cassés du monde des cryptos, mais aussi des banques et de la finance !

 

N.B. Et maintenant, voilà que Credit Suisse se retrouve en difficulté, entraînant l'ensemble du secteur bancaire européen dans sa chute boursière. Assurément, le temps de l'argent gratuit est bien révolu. Comme l'affirmait le célèbre investisseur Warren Buffet, "c'est quand la mer se retire qu'on voit ceux qui se baignent nus"...

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28 février 2023 2 28 /02 /février /2023 11:29

 

 

Comme chaque année à la même période, le marronnier du déficit de la balance commerciale refleurit, même si cette année il a quelque peu été éclipsé par la réforme des retraites. Quoi qu'il en soit, Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité et des Français de l'étranger (sic !) a commencé sa conférence de presse par un constat sobre : "on est malheureusement dans la continuité des années précédentes".

 

Encore une fois, cela témoigne de l'importance excessive - l'obsession ? - accordée au commerce international des biens dans une économie où les services pèsent pourtant très lourd. C'est pourquoi après mes articles consacrés à la réforme des retraites, l'un présentant les tenants et aboutissants du projet de loi, les deux autres abordant le type de protection sociale et le rôle tenu par le taux d'emploi des seniors, plongeons sans attendre dans les chiffres du commerce extérieur de la France.

 

Balance commerciale et taux de couverture

 

Commençons par quelques rappels terminologiques et méthodologiques. La balance commerciale est le compte qui retrace la valeur des biens exportés et la valeur des biens importés sur la base des statistiques douanières. Les exportations ne prennent en compte que les coûts d’acheminement jusqu’à la frontière française, c'est pourquoi l'on parle d'une valorisation FAB (franco à bord). Les importations, quant à elles, sont évaluées en tenant compte des coûts d’acheminement entre les deux frontières, ce que l'on qualifie de valorisation CAF (coût assurance fret).

 

Afin de pouvoir analyser des flux homogènes, les services des douanes sont dès lors contraints de corriger les chiffres CAF pour obtenir la valeur des importations FAB :

 

 

[ Source : https://lekiosque.finances.gouv.fr/site_fr/etudes/methode/traitement.asp ]

 

Le solde de la balance commerciale est par définition la différence entre la valeur des exportations et celle des importations. Si celui-ci est positif, on parle d'excédent commercial, sinon il s'agit d'un déficit commercial. Il est à noter que contrairement aux États-Unis entre autres, la balance commerciale en France ne couvre donc que les biens, mais pas les services.

 

Une autre manière, équivalente, de présenter le commerce international de biens, consiste à calculer le taux de couverture du commerce extérieur :

 

 

* lorsque le taux de couverture est inférieur à 1, la balance commerciale est déficitaire ;

 

 * lorsque le taux de couverture est égal à 1, la balance commerciale est équilibrée ;

 

 * lorsque le taux de couverture est supérieur à 1, la balance commerciale est excédentaire.

 

Notons que la balance commerciale (et donc le taux de couverture), peut être relative à un produit ou à l'ensemble des échanges de produits.

 

Le déficit commercial de la France

 

Commençons par ce graphique qui présente l'évolution du solde commercial de la France depuis 2004, date à laquelle elle devient structurellement déficitaire :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Alors que les exportations de biens ont confirmé en 2022 (+18,5 %) le dynamisme déjà retrouvé en 2021, les importations ont augmenté bien plus rapidement en valeurs (+29,1 %). L'un dans l'autre, cela se traduit donc par un abyssal déficit de la balance commerciale de 163,6 milliards d'euros contre 78,1 milliards en 2021 ! Cette très forte dégradation en 2022 s'explique principalement par le poids de la facture énergétique :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Les chiffres clés du commerce extérieur de la France en 2022

 

Toujours selon le rapport 2023 sur le commerce extérieur, voilà les principaux éléments à retenir sur le commerce extérieur de la France (chiffres, principaux partenaires, secteurs concernés...) :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Le solde commercial de quelques autres pays de l'UE

 

Le graphique ci-dessous présente le solde de la balance commerciale pour plusieurs pays de l'UE. Il faut néanmoins rester prudent sur l'interprétation de ces chiffres, puisqu'ils ne tiennent pas définition pas compte des services et ne permettent certainement pas de conclure qu'en Allemagne tout va bien et qu'à l'inverse au Royaume-Uni tout va mal, comme je l'ai expliqué dans mon livre Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'économie.

 

 

[ Source : OCDE ]

 

Néanmoins, l'on peut en déduire que l'année 2022 a marqué la dégradation de la balance commerciale dans presque tous les pays de l'UE en raison du cocktail constitué de la flambée des coûts énergétiques, de la faiblesse de l’euro face au billet vert et des incertitudes liées, entre autres, à la guerre en Ukraine.

 

Est-ce grave docteur ?

 

Ce qui compte vraiment, ce n'est pas tant le solde des seuls biens (balance commerciale), mais celui qui inclut les biens, services, revenus (salaires, dividendes, intérêts…) et certains transferts (dons, aides…). L'on obtient alors la balance courante, présentée sur le graphique ci-dessous :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Et l'image qu'elle donne du commerce extérieur est bien différente de celle qui résultait de la seule prise en compte des biens. En effet, même si le solde commercial est déficitaire, c'est tout le contraire pour les services dont le solde connaît un record, tiré par les transports et le tourisme, ce qui reflète la réalité de l'économie française où la part de l'industrie est déclinante (désindustrialisation) et où les emplois se situent essentiellement dans le secteur des services :

 

 

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

 

Certes, la balance courante affiche un déficit de 2 % du PIB en 2022 alors qu’elle était légèrement excédentaire en 2021. Mais ces chiffres sont loin d'être catastrophiques, car ils témoignent tout de même d'une capacité à rebondir de la France et à proposer des biens/services demandés à l'étranger.

 

Tout ce que nous venons de voir doit avant tout faire réfléchir sur les choix politiques des trois dernières décennies. Ce d'autant que la crise liée à la covid-19 rappelle au demeurant qu'au-delà des chiffres, le commerce international soulève des questions de souveraineté et de sécurité trop longtemps occultées… En tout état de cause, l'illusion d'une économie de la connaissance sans industrie (fabless pour reprendre le mot d'un célèbre patron français...) a contribué à une désindustrialisation accélérée et une baisse des dépenses de R&D. De là découle notamment une baisse tendancielle des gains de productivité et de la croissance potentielle, qui n'est d'ailleurs pas sans rapport avec les enjeux de la réforme des retraites.

 

 

[ Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2121532 ]

 

Et comme le rappelait Vincent Vicard, directeur adjoint du CEPII, dans une entrevue accordée au Monde il y a un an (mais toujours d’actualité !), les politiques publiques de baisse d'impôts sur la production et de réindustrialisation ont largement échoué à inverser la tendance, car la délocalisation reste un outil très prisé des multinationales françaises... À trop lorgner du côté de la compétitivité prix, l'on finit par oublier les autres dimensions de la compétitivité comme la qualité. Vouloir à tout prix faire de toutes les PME françaises des sociétés exportatrices me semble dès lors vain et inatteignable, car toutes n'ont pas vocation à s'étendre à l’international, malgré de nouvelles et nombreuses aides publiques.

 

Or, faut-il rappeler que ce n'est pas en accompagnant la dégradation du tissu industriel d'une dégradation des conditions de travail, de retraite et de chômage, que l'on inversera cette tendance. Et dire qu'il aura fallu attendre Macron, chantre de la flexibilité rebaptisée flexisécurité, pour que la question de la souveraineté économique refasse surface, même si la gestion de la crise de la covid-19 a montré l'incapacité du gouvernement français à ajouter des actes aux paroles ! Et que dire de cette lubie pour les seules start-up, alors que l'essentiel de l'emploi est lié aux industries plus traditionnelles, qu'il faudrait accompagner dans leur transition écologique (entre autres).

 

Bref, année après année, les dirigeants politiques déplorent le déficit commercial sans en analyser les causes dont ils sont souvent en partie responsables et qu'ils chérissent. Terminer un billet économique en paraphrasant Bossuet, qui l'eût cru ?

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21 février 2023 2 21 /02 /février /2023 11:21

 

 

Cet ouvrage collectif est destiné aux étudiants préparant le concours commun d'entrée en 1re année des IEP, qui se déroulera le 22 avril 2023. Composé de 300 pages et de d'une centaine de fiches (dissertations corrigées, fiches de culture général, fiches de lecture), il permet une préparation efficace à l'épreuve de questions contemporaines du concours (durée : 3h, coefficient 3, dissertation sur un sujet à choisir parmi deux), dont les thèmes pour 2023 sont l'alimentation et la peur.

 

Rappelons que cette épreuve évalue la connaissance, la capacité à analyser et à argumenter sur les grands thèmes et débats inscrits dans l'actualité des années récentes. Le candidat doit dès lors mobiliser une palette de savoirs variés : économie, histoire, science politique, géographie, philosophie, actualité des sciences et techniques..., pour traiter des grandes problématiques actuelles.

 

Dans cette perspective, nous avons été nombreux (enseignants en classes préparatoires, responsables de formation IEP et universitaires spécialistes du thème) à nous réunir afin de concevoir des dissertations et fiches de lecture/synthèse pour une préparation optimale des candidats à l'épreuve. Pour ma part, j'ai apporté la contribution suivante : L'alimentation dans le budget des ménages.

 

Ce livre peut être utilement complété par les autres ouvrages de la même collection et par mes livres, notamment Mieux comprendre l'économie : 50 idées reçues déchiffrées ou mon petit manuel d'économie Les grands mécanismes de l'économie en clair - 2e édition, dont une troisième édition va paraître le 4 avril toujours aux éditions Ellipses.

 

Cet ouvrage de préparation au concours IEP peut être acheté dans toutes les bonnes librairies et en ligne :

 

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9 février 2023 4 09 /02 /février /2023 13:26

 

 

Après deux articles consacrés à la réforme des retraites, l'un présentant les tenants et aboutissants du projet de loi et l'autre le rôle tenu par le taux d'emploi des seniors, restons dans la thématique en évoquant les deux principaux types de système de protection sociale : le modèle bismarckien et le modèle beveridgien. Cela permettra de comprendre en quoi la volonté du gouvernement français de passer du premier au second, notamment en matière de chômage et de retraite, est porteur de graves désillusions. Et une fois n'est pas coutume, nous terminerons ce billet par un petit florilège des arguments abracadabrantesques avancés par certains politiques pour justifier cette réforme des retraites.

 

Le modèle bismarckien

 

Comprenant le danger des désordres sociaux engendrés par la pauvreté et la misère, dans un contexte de développement du socialisme, le chancelier de fer (Bismarck) choisit de mettre en place un système de protection sociale novateur en cette fin de XIXe siècle, avec une protection contre les risques maladie (1883), les accidents de travail (1884), la vieillesse et l'invalidité (1889).

 

Selon les époques, les systèmes bismarckiens ont pu varier quelque peu, mais pour l'essentiel ils sont fondés sur l'accumulation de droits à la protection sociale liés au travail. La participation financière des ouvriers et des employeurs prend alors la forme de cotisations sociales, et non de "charges sociales", vocable patronal qui trahit une vision purement comptable des prélèvements obligatoires. Dans une vision socialisée du risque, celles-ci sont par conséquent fonction croissante des salaires et non du risque lui-même. Les membres de la famille sont du reste souvent couverts au titre des ayants droit. Enfin, par construction, le fonctionnement d'un tel système de protection sociale est dévolu aux salariés et aux employeurs.

 

Le modèle beveridgien

 

Ce deuxième modèle de protection sociale repose sur un célèbre rapport de 1942 (Rapport au Parlement sur la Sécurité sociale et les prestations connexes), rédigé par l’économiste William Beveridge sur demande du gouvernement britannique. Il s'agissait de repenser le modèle d'assurance maladie, dont le développement semblait peu satisfaisant au gouvernement. Lord Beveridge proposait de "libérer l’homme du besoin et du risque", afin d'assurer un développement économique et social pérenne.

 

Depuis, l'on qualifie de beveridgien tout système de protection sociale fondé l'universalité de la protection sociale (tous les risques et toutes les personnes sont couverts), l'uniformité des prestations (même montant versé à tous) et sur l'unicité du financement. Ce dernier point signifie qu'un système beveridgien n'est donc pas contributif (pas de cotisations sociales), mais repose sur des impôts, d'où une gestion par l'État de la protection sociale généralement au moyen d’une assurance nationale. C'est pourquoi les systèmes beverigiens sont aussi souvent qualifiés d'assurantiels.

 

Le passage à un modèle beveridgien

 

Chacun en son temps, Bismarck et Beveridge ont participé à l'édification de l’État social, notion que ses détracteurs ont fini par qualifier péjorativement d'État-providence. Mais faut-il en déduire que par son universalité, le modèle beveridgien est préférable au modèle bismarckien ? Ce serait oublié un peu vite ce que recouvrent ces formes de protection sociale ! Comme le rappelle avec brio Pierre-Cyrille Hautcoeur dans une chronique au Monde, basculer d'un système de retraite bismarckien à un système de retraite beveridgien est l'objectif suivi depuis deux décennies en France comme en témoignent notamment les exonérations de cotisations sociales compensées par de savants fléchages de rentrées fiscales.

 

Bref, des impôts à la place des cotisations sociales, et encore pas toujours pour le même montant malgré l'obligation issue de la loi du 25 juillet 1994 (loi Veil), ce qui asphyxie toujours un peu plus la Sécurité sociale, comme je l'ai expliqué dans ce billet, et permet ensuite d'invoquer les caisses vides comme argument massue pour réformer, voire privatiser.  Or, dans un système beveridgien, l'universalité de la prestation va (trop) souvent de pair avec un montant faible (qu'il suffise de jeter un œil aux États-Unis pour s'en convaincre...), ce qui conduit les personnes à recourir - si elles le peuvent - à la capitalisation individuelle ou collective, dans l'espoir de gagner de quoi vivre une retraite à peu près correcte. Pourtant, derrière les beaux discours de la retraite par capitalisation se cachent toujours des réalités moins agréables à entendre : les marchés financiers sont loin de garantir une prestation définie lorsque l'heure de la retraite aura sonné, une crise pouvant emporter tous ces espoirs (et les fonds déposés) vers les tréfonds...

 

C'est bien pour cela que le système de retraite est par répartition en France depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui témoigne d'une solidarité intergénérationnelle et d'une solidarité d'intérêts entre employeurs et employés (ils gèrent en effet ensemble le système de protection sociale), quelle que soit leur classe sociale. Dans un système beveridgien, au contraire, Pierre-Cyrille Hautcoeur rappelle que les intérêts financiers des classes moyennes et des plus riches convergent en matière de gestion de l'épargne. Bref, les plus pauvres sont persuadés que l'impôt est forcément mauvais et que l'universalité du système les protège, alors qu'en vérité ce système les abandonne souvent à leur sort avec une maigre prestation uniforme.

 

Des arguments abracadabrantesques

 

Pour finir ce billet dans un mouvement rabelaisien, rions-nous des arguments abracadabrantesques avancés par certains politiques pour justifier cette réforme des retraites (je laisse le lecteur compléter à sa guise cet  embryon d'inventaire) :

 

 * la faillite du système des retraites (un grand classique, pourtant démenti par le rapport du COR);

 

 * sans réforme, les pensions des retraités baisseraient de 20 % (Olivier Dussopt en grande verve) ;

 

 * "les mesures ne sont pas comprises, appréciées à leur juste valeur" (Laurent Marcangeli) ;

 

 * la réforme permettra aux aides à domicile de travailler jusqu'à 64 ans (grand prix "le mal de dos n'est pas une fatalité") ;

 

 * "Si nous devions augmenter les cotisations, de fait on baisserait les salaires" (Olivier Véran)

 

 * "Aucun Français ne verra sa retraite baisser" (Paul Midy)

 

 * "La retraite, c'est le capital de ceux qui n'en n'ont pas" (Stanislas Guerini inventant la notion de capital fondant)

 

 * les cotisations sociales n'ont pas vocation à financer notre système de retraite (Nadia Hai, grandiose !)

 

 * "1 200 euros de pension minimale" (Bruno Le Maire récitant des éléments de langage repris sous d'autres formes par d'autres politiques, argument démonté par Michaël Zemmour)

 

P.S. L'image de ce billet est une capture d'écran d'une petite vidéo de Dessine-moi l'éco.

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30 janvier 2023 1 30 /01 /janvier /2023 10:56

 

 

Dans mon précédent article consacré à la réforme des retraites, j'avais présenté les grandes lignes du projet de réforme, le calendrier parlementaire afférent et les arguments avancés par les uns et les autres. Depuis, il y a eu la journée de mobilisation du 19 janvier, qui a vu largement plus d'un million de personnes défiler partout en France contre la réforme. Et le 31 janvier, un front syndical unitaire appelle à une deuxième journée de mobilisation nationale.

 

Mon interview sur Mosaïk Cristal

 

J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur cette réforme durant 5 minutes dans l'émission spéciale de Mosaïk Cristal, ce qui m'aura permis de préciser quelques faits et de donner des éléments de réflexion sur le sujet :

L'emploi des seniors : variable clé de la réforme

 

Dans son discours du 10 janvier, Élisabeth Borne a évoqué la variable clé de cette réforme : l'emploi des seniors.

 

Enfin, le dernier progrès majeur de ce projet concerne l'emploi des seniors. Et c'est là aussi un combat auquel je crois profondément. Nous sommes l'un des pays d'Europe où la part des personnes de 60 à 64 ans qui travaille est la plus faible. Cela nous conduit à nous priver de leur expérience, de compétences précieuses et de leur contribution à notre richesse nationale. C'est aussi trop souvent le fait d'une pratique abusive et – disons-le – discriminatoire, qui consiste à faire partir les salariés quelques années avant leur retraite. Les entreprises doivent faire leur place aux personnes proches de la retraite et veiller à une meilleure qualité de vie au travail. Il est temps que les employeurs prennent en main ce sujet.

 

En effet, comme le montre le graphique ci-dessous, le taux d’emploi des seniors demeure extrêmement faible en France (35,5 % pour les 60-64 ans) :

 

 

[ Source : DARES - Les seniors sur le marché du travail en 2021 ]

 

Si l'on s'intéresse plus globalement aux personnes de 55 à 64 ans, le taux d'emploi en France est bien inférieur à la moyenne de l'UE :

 

 

[ Source : DARES - Les seniors sur le marché du travail en 2021 ]

 

Les freins à l'emploi des seniors

 

Bien entendu, il existe des disparités importantes entre cadres et ouvriers, que le gouvernement n'aborde finalement que très peu, sauf sous l'angle extrêmement réducteur de la pénibilité et de la durée des carrières.  Quoi qu'il en soit, Élisabeth Borne a affirmé qu'un « index sera créé sur la place des salariés en fin de carrière » dans les entreprises de plus de 1000 salariés en 2023, et dans celles de plus de 300 salariés dès 2024. Hélas, sans aucune sanction véritable, cet index rejoindra l'enfer des indicateurs pavé de bonnes intentions !


De (trop) nombreux seniors font l'amère expérience d'un marché du travail bloqué pour les plus de 55 ans, et encore je vois large en mettant la barre à 55 ans... Une étude de la Direction générale du Trésor relève ainsi les freins suivants à l'emploi des seniors :

 

 * du côté de la demande des entreprises, l'étude évoque une perte d'employabilité (réelle ou non) avec l'âge, qui se conjugue à un recours à la formation et une adaptabilité plus faibles ; la question de la rémunération n'y est pas étrangère ainsi que la discrimination envers les plus âgés ;

 

 * du côté de l'offre de travail des individus, l'étude met notamment en avant une plus faible incitation au retour à l'emploi due aux règles d'indemnisation du chômage, un manque d'adaptation des conditions de travail à la réalité du vieillissement et aux problèmes de santé.

 

Et pour ma part, je ne suis pas certain que le monde du travail actuel, caractérisé par la perte de sens et la recherche effrénée du profit, donne vraiment envie de poursuivre sa carrière au-delà d'un certain âge...

 

Dès lors, il semble hasardeux d'affirmer, comme le fait le gouvernement, que le report de l’âge légal de départ à la retraite favorisera de manière certaine le taux d’emploi des seniors. Un tel lien - pas forcément mécanique du reste - peut exister pour certains cadres, mais assurément pas pour l'ensemble des salariés. Pour ces derniers, reporter l'âge de la retraite les condamnerait à demeurer encore plus longtemps dans le sas de précarité (ni en emploi ni à la retraite), du moins pour ceux qui seraient encore en vie.


Tout cela me conduit à reprendre la conclusion d'un précédent article consacré à la question des retraites : et s'il s'agissait tout simplement de réduire les dépenses publiques, programme idéologique sur lequel j'ai souvent écrit (par exemple ici) ? C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre cette phrase du PLF 2023 (p.11): "les administrations de sécurité sociale participeront à la maîtrise de l’évolution des dépenses, permise notamment par la réforme des retraites, la réforme de l’assurance chômage favorisant le plein emploi et la maîtrise des dépenses de santé (la progression de l’ONDAM s’établira à +2,7 % sur 2024-2025 puis 2,6 % sur 2026-2027)".

 

P.S. L'image de ce billet provient de cet article du Parisien.

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17 janvier 2023 2 17 /01 /janvier /2023 13:55

 

 

Alea jacta est : cette fois les dés sont jetés ! Le gouvernement vient en effet d'annoncer les principaux points de sa réforme des retraites, qui ont provoqué l'ire des syndicats. Ces derniers viennent d'ailleurs d'appeler à un front uni contre cette réforme avec une première mobilisation unitaire le 19 janvier. Mais que contient ce projet de loi ? Était-il indispensable de mener cette réforme maintenant ? Quels sont les principaux arguments des uns et des autres ?

 

Le projet de loi sur les retraites

 

Voici les principaux points de la réforme des retraites :

 

 

[ Source : France Bleu ]

 

La principale annonce est donc le report progressif de l'âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans (ligne rouge à ne pas franchir pour la CFDT), accompagné d'une accélération de l’allongement de durée de cotisation issue de la réforme Touraine de 2014.

 

Le calendrier de la réforme

 

Le projet de loi prévoir une mise en œuvre de la réforme dès septembre 2023, mais la phase de discussion au Parlement pourrait fort bien être écourtée par un nouvel usage de l'article 49-3...

 

 

[ Source : lafinancepourtous.com ]

 

Quels sont les principaux arguments du gouvernement ?

 

Voici un état des lieux du système de retraite par répartition français :

 

 

[ Source : La Dépêche ]

 

Cette réforme a été présentée comme indispensable par le gouvernement, pour des raisons résumées dans le schéma ci-dessous :

 

 

Les arguments des uns et des autres

 

Il ne s'agit pas là de faire une revue de littérature complète, mais juste de donner à mes lecteurs quelques liens s'ils souhaitent approfondir les arguments des uns et des autres. J'avais déjà expliqué dans ce billet qu'il n'y avait pas urgence à mener la énième réforme paramétrique, car d'après le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), le système est loin d'être en faillite financière.

 

Et s'il s'agissait tout simplement de réduire les dépenses publiques, programme idéologique sur lequel j'ai souvent écrit (par exemple ici) ? C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre cette phrase du PLF 2023 : "les administrations de sécurité sociale participeront à la maîtrise de l’évolution des dépenses, permise notamment par la réforme des retraites, la réforme de l’assurance chômage favorisant le plein emploi et la maîtrise des dépenses de santé (la progression de l’ONDAM s’établira à +2,7 % sur 2024-2025 puis 2,6 % sur 2026-2027)". Henri Sterdyniak, membre des Économistes atterrés, le pense aussi et explique dans une tribune au Monde que cette réforme risque d’augmenter le nombre de chômeurs et de bénéficiaires d’allocation (ASS, RSA).

 

Nicolas Bouzou évoque quant à lui la nécessité d'une réforme des retraites pour faire des économies, afin de dégager des marges financières pour d'autres aides. Gilbert Cette et Élie Cohen, approuvent également cette réforme, qu'ils trouvent d'ailleurs modeste en comparaison de ce qui a été fait chez nos visons européens ; Marc Touati leur emboîte le pas ; Jean Viard estime que les Français ont compris qu'ils devaient travailler plus longtemps et que la mobilisation sera plutôt faible.

 

Dans le camp d'en face, Jean-Marie Harribey évoque les sept perfidies de la réforme des retraites 2023 sur le site d'Attac ; Daniel Cohen considérait déjà, il y a quelques mois, que la réforme n'était pas indispensable ; Antoine Bozio tempère un peu les conséquences de ce projet de loi par rapport à celui envisagé il y a quelques mois. Et Michaël Zemmour apporte, selon moi, des réponses précises et pertinentes aux arguments soulevés par le gouvernement :

De l'art de la palinodie en politique

 

Pour finir, ne boudons pas notre plaisir devant cette courte vidéo dans laquelle Emmanuel Macron expliquait qu'il ne toucherait pas à l'âge légal de départ à la retraite. Il est vrai que la crise des gilets jaunes et le vrai-faux (dé-)ballage national avaient eu raison des velléités de réforme des retraites en ce temps-là...

P.S. L'image de ce billet provient de cet article de France Info.

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14 janvier 2023 6 14 /01 /janvier /2023 12:36

 

 

À la rentrée dernière, j'avais expliqué dans un billet qu'après 13 années, ma lourde charge de travail universitaire m'avait contraint à mettre en suspens la cafet'éco, créée à l'Université Populaire de Sarreguemines (UPSC) ! Durant ces années, j'y ai rencontré des auditeurs de tous horizons, grands débutants ou non, mais toujours désireux de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Et très humblement, ma plus grande satisfaction est de constater qu'ils en ressortent avec une bonne compréhension des mécanismes économiques principaux.

 

Mais je n'abandonne pas pour autant mon fidèle public, puisque je donnerai mercredi 18 janvier à 18h30 une conférence sur le même modèle que la cafet'éco. Chacun pourra choisir de prendre quelques notes, participer en posant des questions, ou simplement écouter. Aucun prérequis n'est nécessaire pour suivre cette conférence d'économie.

 

Le thème retenu est la monnaie, qui fait du reste l'objet de mes recherches universitaires, et nous sommes convenus du titre suivant : "Bitcoin, cryptomonnaie, monnaie locale : les mystères de la monnaie dévoilés". Ambitieux programme !

 

Renseignements auprès de l'UPSC, qui a fixé les prix suivants :

 

* Membres de l'UP : 5€
* Non-membres de l'UP : 7€
* Étudiants : gratuit

 

Université Populaire Sarreguemines Confluences

Place Jeanne d'Arc

57200 Sarreguemines

Tél : 03 87 09 39 81

Email : contact@upsc-asso.fr

 

 

P.S. L'image de ce billet provient de cet article de la Revue politique et parlementaire.

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6 janvier 2023 5 06 /01 /janvier /2023 13:18

 

 

Le 1er janvier, après un long parcours, la Croatie est devenue le vingtième État de l'UE à adopter la monnaie unique. Le moment n'est peut-être pas le plus opportun, puisque les nuages s'amoncellent sur la zone euro. En particulier, l'Italie doit composer avec une situation socioéconomique très dégradée, l'Allemagne fait face au retournement des forces de son modèle économique, la France est empêtrée dans le "quoi qu'il en coûte" et la Grèce conserve le nez sous l'eau après le passage de la Troïka. Mais, plus généralement, le problème majeur de la zone euro, souvent passé sous silence, est l'hétérogénéité croissante en son sein, qui complique beaucoup la mise en œuvre des politiques économiques communes.

 

L’hétérogénéité structurelle de la zone euro

 

Les travaux d'économistes comme Paul Krugman ont permis de montrer que l’hétérogénéité d’une Union monétaire augmente après sa constitution. C'est clairement ce qui s'est passé avec la zone euro, puisque l'introduction d'une monnaie unique a conduit à une spécialisation productive différente des pays, à la divergence des niveaux de productivité et de revenu, à une recomposition de la géographie industrielle, etc.

 

 

[ Source : Natixis ]

 

Tout cela a pu durant un temps être caché par la hausse de l'endettement, mais la crise de la zone euro a fait tomber les masques, comme le montre l'évolution du spread des obligations d'État de la Grèce et de l'Italie (écart de taux d'intérêt avec l'Allemagne sur les titres de dette publique à 10 ans) :

 

 

[ Source : Barbara Fritz, Sebastian Dullien et Laurissa Mühlich, « Le FMI à la rescousse : la zone euro a-t-elle bénéficié de l’expérience du fonds dans la lutte contre les crises ? », Économie et institutions [En ligne], 23 | 2015, mis en ligne le 30 décembre 2015, consulté le 06 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/ei/5669 ]

 

L'impossibilité de corriger les écarts de compétitivité-coût au sein de la zone euro

 

Avant la mise en place de la monnaie unique, les problèmes de compétitivité-coût pouvaient se régler par le mécanisme du taux de change. Mais depuis, toute dévaluation monétaire étant par construction impossible, les gouvernements utilisent d'autres moyens :

 

 * la dévaluation interne : également appelée ajustement nominal, elle consiste en une baisse de coûts salariaux et des prix dans le but d'améliorer la compétitivité d'un pays. Selon la théorie, comme les prix et les salaires baissent parallèlement, les salaires réels ne varient pas et la compétitivité s'améliore à l'export. Mais, ce remède de cheval conduit le plus souvent à l'effondrement de la demande des ménages en raison de la baisse des salaires réels. Cela débouche alors sur une compression de l'activité à court terme et donc sur une hausse du chômage.

 

 * la dévaluation fiscale : il s'agit d'une substitution d'impôt censée produire les mêmes effets qu'une dévaluation monétaire. On pense notamment à la TVA sociale (qui n'a de social que le nom), qui consiste à basculer sur la TVA une partie des cotisations sociales patronales, de sorte que la TVA augmenterait et le coût du travail baisserait. Or, en pratique, lorsque la TVA augmente c'est le pouvoir d'achat des ménages qui est amputé, car les vases communicants ne fonctionnent jamais aussi parfaitement...

 

Bref, l’ajustement de la compétitivité-coût repose surtout sur les pays en difficulté, à qui l'on enfonce encore un peu plus la tête sous l'eau, ce qui rejaillit sous forme de conflits sociaux et d’extrémismes politiques...

 

Que faire ?

 

La solution tient en un mot, qu'il est aussi difficile à mettre en œuvre politiquement qu'il est facile de le prononcer : fédéralisme ! Même si cela a mauvaise presse en ce moment (en fait, cela a toujours eu mauvaise presse...), il faudrait que les pays riches de la zone euro assurent des transferts vers les plus pauvres si l'on souhaite que la zone euro perdure. Sinon, avec l'appauvrissement que subissent certains membres de la zone euro, il ne faudra pas s'étonner que de plus en plus d'entre eux se tourneront vers des partis politiques ouvertement nationalistes, anti-européens, voire pire...

 

En ce sens, le fédéralisme dont aurait besoin la zone euro pourrait être qualifié de solidarité interétatique permanente. En d'autres termes, l'UE se devrait d'être fédérale, afin d'assurer la redistribution de revenus des régions plus riches vers les régions plus pauvres à la faveur d'un budget fédéral autrement plus fourni que l'actuel budget communautaire, qui ne pèse guère qu'un pour cent du PIB de l'UE. Des tentatives voient le jour, hélas sous la pression des crises (covid-19, énergie...), mais rien qui ne me semble durable.

 

 

[ Source : https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-budget-de-l-union-europeenne ]

 

Il suffit de voir les palabres et tergiversations lorsqu’il s'est agi de fixer un prix maximum d'achat du gaz en Europe, pour comprendre que l'unité politique européenne n'est pour l'heure qu'une illusion et que tout reste à faire. Et que dire de la politique monétaire (commune), à qui il est demandé d'assurer la stabilité des prix, alors même que les taux d'inflation sont très différents selon les pays membres ? Assurément, l'hétérogénéité au sein de la zone euro est une force centrifuge et, en tant que telle, un danger !

 

P.S. L'image de ce billet provient du site https://www.touteleurope.eu

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30 décembre 2022 5 30 /12 /décembre /2022 12:50

J'ai commencé l'année 2022 par un article sur la hausse des prix et le calme social, sujet qui n'avait pas encore pris l'ampleur que nous lui connaissons maintenant. J'y ai expliqué que les prochains budgets de l'État seraient mis à contribution pour éviter l'explosion sociale liée à la hausse des prix. De ce point de vue, le projet de loi de finances 2023 en est l'archétype et risque, ce faisant, de faire oublier le retard et les incohérences sur d'autres objectifs comme la transition écologique. C'est dire combien, dans ce contexte, il devient indispensable de prendre du recul pour avoir une vision d'ensemble du système économique et social du pays, sous peine de mener uniquement des politiques de court terme sans réelles perspectives.

 

Mais revenons un instant encore sur l'année 2022, riche en événements économiques et sociaux, d'où mes nombreuses analyses dont vous trouverez les liens dans le tableau ci-dessous. Pour finir ce billet, je vous proposerai comme chaque année quelques éléments de réflexion pour l'année à venir...

 

Retour sur l'année 2022

 

Commençons donc par un petit retour en arrière sur mes billets de l'année 2022. Tous les liens sont actifs, il vous suffira donc de cliquer sur le billet de votre choix pour le lire ou le relire, c'est selon !

 

Janvier Février

 

Hausse des prix et calme social

Le taux d'activité ou la face cachée du plein emploi

L'inflation est-elle forcément mauvaise ?

 

Économie, sociologie, histoire du monde contemporain en prépa

La politique économique au Japon

Hausse des richesses : signe d'une économie en bonne santé ?

Mars Avril

SWIFT : l'arme nucléaire en finance ?

Coup de chaud sur le prix du gaz et du pétrole

La stagflation

Conséquences économiques de la guerre en Ukraine

À quoi sert (vraiment) la politique monétaire ?

 

Le déficit de la balance commerciale

Faut-il de l'épargne pour créer de la richesse ?

Les sujets majeurs absents de la campagne électorale

La fête du Travail ?

 

Mai Juin

 

Un documentaire sur d'autres formes de monnaies locales

Le pouvoir d'achat mis à mal

Krach boursier ou correction des cours ?

Le roi dollar sur son trône

 

Quand est-on riche en France ?

La réforme des retraites

Approvisionnement de l'UE en matières premières

Juillet Août

 

Les moutons mangent les hommes

 

 

Microéconomie et lutte contre le tabagisme

Conférences à Sarreguemines

Septembre Octobre

 

Taux de chômage, précarité, flexibilité

Aide aux devoirs à Forbach

Inflation et pouvoir d'achat

Apéro-Sciences : les cryptomonnaies, des monnaies comme les autres ?

 

 

L'Italie : l'Homme malade de l'Europe ?

Le budget 2023

Mon interview sur Moselle TV : inflation, salaire et grogne sociale

La récession est déjà là !

 

Novembre Décembre

 

Où en est l'économie allemande ?

Panique dans le monde des cryptos

L'atterrissage économique et social se fera-t-il en douceur ?

 

La réforme des retraites est-elle indispensable ?

Joyeux Noël !

 

Et en 2023 ?

 

Disons-le d'emblée, je ne dispose pas d'une boule de cristal et ne souhaite pas être engagé comme mage prévisionniste de l'économie. Tout au plus est-il possible de faire quelques constats sur les tendances en 2023, par exemple en matière de production et de commerce. Le monde reste, en effet, suspendu aux chiffres de la croissance sans s'interroger sur ce qu'ils recouvrent. Trop nombreux sont d'ailleurs ceux qui se persuadent que le PIB est un gâteau à se partager. Et le moins que l'on puisse dire est qu'ils seront déçus en 2023 :

 

 

[ Source : FMI ]

 

Quant à la croissance verte, Hélène Tordjman a montré avec brio l'illusion d'un tel système économique fondé sur l’accumulation du capital et la sauvegarde de la nature. Pourtant, le concept continue à faire florès...

Ainsi, c'est toute l'économie mondiale qui pourrait plonger en récession cependant que l'inflation resterait forte. D'un mot, nous allons vers la stagflation, caractérisée par la stagnation de l’activité économique (donc faible croissance et chômage élevé) et une hausse généralisée des prix ! Paniquées par cette perspective, les Banques centrales ont visiblement fait le choix de privilégier la lutte contre l'inflation au détriment de l'emploi et des salaires. Aux États-Unis, la Fed n'hésite plus à l'affirmer ouvertement, comme si la vie des gens valait au fond peu de chose dans le monde actuel... Le risque est évidemment d'étouffer la croissance et de précipiter l'économie en récession des deux côtés de l'Atlantique, alors même que l'économie mondiale se remet à peine de la crise liée à la covid-19 (est-elle du reste finie ?). Quid alors de la dette des agents privés (ménages et entreprises) et publics ?

 

Quant au taux de chômage, c'est souvent le chiffre qui cache la forêt. En effet, en commentant ad nauseam un seul et unique chiffre, l'on passe à côté d'évolutions inquiétantes, qui constituent (trop) souvent l'envers du décor d'un taux de chômage bas : la hausse des contrats précaires de travail, la segmentation du travail en temps et en lieu, la perte de sens... Ainsi, commenter l'évolution du taux de chômage sans dire un mot sur le taux d'activité, les personnes au chômage depuis plus d'un an et la qualité des emplois, revient à commenter des chiffres dans le vide.

 

Notons d'ailleurs que dans sa Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (publiée en 1936), Keynes a montré que le fonctionnement du marché du travail, tel que le voient les néoclassiques, est une analyse "supposée simple et évidente qui a été fondée, pratiquement sans discussions, sur deux postulats fondamentaux". Il lui porte ensuite l'estocade en déclarant  : "il se peut que la théorie classique décrive la manière dont nous aimerions que notre économie se comportât. Mais supposer qu'elle se comporte réellement ainsi, c'est supposer que toutes les difficultés sont résolues" ! Keynes réfute l'idée même qu'il existerait un marché du travail comme le présentent les néoclassiques, c'est-à-dire avec une demande de travail des entreprises qui augmente lorsque le salaire réel diminue (fonction décroissante), et une offre de travail des salariés qui augmente lorsque le salaire réel augmente (fonction croissante).

 

Pour lui, même s'il admet qu'à l'équilibre le salaire est égal au produit marginal du travail, la demande de travail ne résulte pas d'un mécanisme aussi simple que celui décrit par les néoclassiques, en particulier parce que les salariés et les patrons ne sont pas des agents économiques libres et égaux. Cela revient en fait à dire que Keynes avait bien perçu la réalité du rapport de force entre salariés et patrons dans les négociations (voir ce billet que j'avais écrit sur le partage des revenus), et qu'il fallait tenir compte de ce système hiérarchisé pour analyser le marché du travail. Du côté de l'offre de travail, Keynes récuse l'idée qu'elle augmenterait avec le salaire réel. Sa principale explication tient au fait que salariés et patrons s'engagent sur la base du salaire nominal, car l'inflation n'est pas connue au moment de la signature. Par ailleurs, il confronte la théorie néoclassique à ses propres contradictions, puisque si cette théorie était valide, les salariés devraient réduire leur offre de travail lorsque les prix à la consommation (= inflation) augmentent, leur salaire réel (=salaire nominal - inflation) diminuant.

 

Or ce n'est pas le cas... Ce qui n'empêche pas le gouvernement de se fonder sur le fonctionnement néoclassique du marché du travail pour mener une réforme des allocations chômage, qui aboutit à un système d'indemnisation variable, lié au taux de chômage. Plus précisément, à compter de 1er février, si le taux de chômage est inférieur à 9 % (ou baisse sur 3 trimestres consécutifs), la durée d'indemnisation des chômeurs sera réduite de 25 %, avec un minimum de 6 mois. En revanche, si le taux de chômage est supérieur à 9 % (ou hausse de 0,8 point sur un trimestre), la durée d’indemnisation sera rétablie. Or, comme l'explique Olivier Bouba-Olga, il est loin d'être établi qu'une telle mesure permettra de réduire le chômage en incitant les chômeurs à reprendre un emploi. Et que dire de la réforme des retraites, dont il est raisonnablement permis de s'interroger sur le caractère indispensable ?

 

Dans ce contexte dégradé, où les idéologies dominent sans dire leur nom, l'on peut craindre une montée de la grogne sociale. Ce d'autant plus que le débat démocratique fondé sur l'échange verbal - parfois musclé - et le débat animé est de plus en plus souvent  perçu comme une agression insupportable ("cessez de m'agresser verbalement" est devenu l'arme des minus habens pour réduire leur adversaire à quia) dans notre société postmoderne. Place au consensus mou sur des lois politico-économiques réputées universelles, sous peine de passer pour un extrémiste. L'on retrouve ici une logique néolibérale proche de celle décrite par Walter Lippmann, suivant laquelle le monde (en particulier économique) devrait être gouverné par des experts, seuls capables de comprendre les règles économiques universelles immuables. Ces dernières rendent d'ailleurs de facto inutiles la confrontation de projets de sociétés différents, et subséquemment les débats contradictoires dans le cadre de l'agon, bien qu'ils soient depuis plus de deux millénaires l'essence même de la démocratie. Le lecteur intéressé par ces questions pourra utilement se reporter à une longue analyse que j'avais faite en 2020.

 

Enfin, comme chaque année,  je rappelle aussi que nous ne sommes jamais à l'abri d'un cygne noir, tant les fragilités sont nombreuses... La crise sanitaire en fut un exemple probant en 2020 !

 

Sur ce, je tiens à vous remercier chers lecteurs pour votre fidélité et vous prie de recevoir mes meilleurs vœux (l’indispensable santé en premier) pour cette année 2023 ! Merci pour vos commentaires, partages, liens et encouragements, qui me touchent et m'incitent à continuer mes analyses sur ce blog malgré le temps qui me fait toujours plus cruellement défaut depuis que je mène mes recherches sur la monnaie.

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20 décembre 2022 2 20 /12 /décembre /2022 11:29

 

Alors que l'année dernière les fêtes de fin d'année étaient placées sous l'épée de Damoclès de la covid-19, il semblerait que l'épidémie a comme par enchantement disparu de la mémoire des Français à l'instar des célèbres gestes barrières. Résultat : les hôpitaux font désormais face à une triple épidémie de covid-19, de grippe et de bronchiolite ! Mais il est vrai qu'entre le mondial de football au Qatar, décrié mais regardé, et l'approche de Noël, les Français ont manifestement eu le cœur à la fête au mois de décembre.

 

Ce alors même que le gouvernement avait annoncé sa volonté de mener une réforme des retraites dont il est raisonnablement permis de s'interroger sur le caractère indispensable... Et l'on ne parle même pas de la hausse des coûts de l'énergie, qui affecte tout le monde au vu des températures des semaines passées. Plus généralement, les difficultés d'approvisionnement de la France en matières premières ne font guère la une des journaux, tout se résumant à n'évoquer que le seul taux d'inflation. Pourtant, les sujets qui méritent l'attention des citoyens ne manquent pas actuellement : la dette publique, les dépenses publiques, les inégalités de revenus, les inégalités de patrimoine immobilier, la pauvreté, la récession, l'indispensable régulation du monde des cryptoactifs, etc.

 

Hélas, dans l'ère du vide de la postmodernité, requalifiée depuis d'hypermodernité par Gilles Lipovetsky, une information en chasse une autre, quelle que soit son importance. Autrement dit,  l'humain ne pèse au fond pas très lourd dans la société du spectacle et de la communication, qui cherche avant tout à faire le buzz. Pour les plus jeunes, rappelons que le livre de Guy Debord ne concerne pas le pain et les jeux de cirque, comme le croient trop souvent ceux qui ne l'ont pas lu, mais la domination de la marchandise sur nos vies dans le monde capitaliste : "Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles" (parallèle évident avec l’œuvre de Marx). Beaucoup plus loin dans son livre, Guy Debord précisera que "le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images". À l'ère de TikTok et de ses influenceurs, l'on ne saurait mieux dire...

 

Une crise devrait être l’occasion de se poser des questions et de changer tout à la fois nos modes de production, nos modes de vie et avant tout nos façons de penser. Hélas, à force d'évoquer de manière incantatoire l'avènement du monde d'après, nous n'avons pas remarqué que c'est le monde d'avant qui est revenu, mais en bien plus piteux état économique et social (inflation, dette, précarité...). Gageons qu'un sursaut civique soit encore possible pour coopérer sur les grands enjeux sociaux qui nous attendent, dont la transition écologique/énergétique.

 

Joyeux Noël tout de même !

 

Sur ce constat et cet espoir d'une coopération des citoyens, je vous souhaite un joyeux Noël ! Je vous retrouverai la semaine prochaine pour mon dernier billet de l'année 2022 !

 

 

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