Alors là les bras m'en tombent ! Je m'attendais à tout dans l'avant-projet de loi de Myriam El Khomri, mais je ne pensais pas que le ministre du travail accepterait d'endosser le rôle de fossoyeur des idées de gauche du Code du travail. Bien entendu, cela se fera au nom des impératifs de compétitivité et de lutte contre le chômage, qui marque l'acmé du cynisme gouvernemental ! Désormais, nous aurons donc le choix entre l'Océania (avec sa novlangue d'Orwell) et le monde de plus en plus vraisemblable de Trepalium !
Ce que contient l'avant-projet de loi
105 pages et 47 articles, que d'aucuns qualifieront de ballon d'essai et qui s'apparentent plus vraisemblablement à une estocade. En finir avec les 35h, au moment même où près de 5 millions de chômeurs attendent leur tour, est vraiment la pire idée qui soit. Dans le détail, on y trouve les principaux points suivants :
* certes, la durée légale du travail reste fixée de façon cosmétique à 35h, mais la durée maximale hebdomadaire pourra être portée à 60 heures contre 48 actuellement (12 heures par jour dans certains cas). L'entreprise pourra d'ailleurs se passer d'en demander l'autorisation à la Direction du travail, et se contenter d'obtenir un accord en interne...
* on connaissait l'accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi, qui consacre entre autres les consacre les accords compétitivité-emploi au sein des entreprises, i.e. que les patrons peuvent réduire le coût horaire du travail pour gagner en compétitivité, en contrepartie d'une garantie de ne pas licencier. Dans le nouveau texte, il est désormais prévu que l'entreprise puisse moduler librement le temps de travail et le salaire afin de partir à la conquête de nouveaux marchés.
* la question des indemnités prud'homales revient aussi sur le devant de la scène après avoir subi les foudres du Conseil constitutionnel. Il est donc prévu de plafonner ces indemnités suivant un barème lié à l'ancienneté du salarié.
* dans le cadre des accords d'entreprise (la marotte du gouvernement), les syndicats devront représenter non plus 30 % des suffrages lors des élections professionnelles, mais au moins 50 % ! En l'absence de validation de l'accord par les syndicats majoritaires, il est prévu de les contourner en demandant la tenue d'un référendum dont le résultat sera contraignant.
* les salariés en astreinte et non sollicités seront considérés comme étant en repos, afin de ne pas les payer, ce qui est d'ores et déjà en contradiction avec la Charte sociale européenne, mais le gouvernement n'en a cure...
* comme les apprentis constituent déjà une ressource (humaine ?) corvéable à merci, il est désormais prévu de les faire trimer plus facilement 40 heures par semaine et jusqu'à 10 heures par jour.
Pourquoi est-ce une folie ?
Tout d'abord, présenté ainsi, l'avant-projet de loi laisse penser que le travail existe en volume suffisant pour tous les demandeurs et qu'il suffirait de flexibiliser beaucoup plus le marché du travail pour obtenir le plein-emploi. C'est évidemment une illusion à laquelle seuls des politiques déconnectés de toute réalité (désincarnés ?) peuvent adhérer.
Qui peut croire un instant qu'allonger le temps de travail des personnes ayant encore la chance d'en avoir un permettra de répondre à l'immense défi que représentent les 5 millions de chômeurs dans ce pays ? C'est surtout le meilleur moyen d'approfondir la distinction entre les insiders (salariés qui ont conservé leur emploi) et les outsiders (salariés sans emploi), qui explique pourquoi après un choc, comme la crise de 2007, le taux de chômage de la zone euro ne baisse pas, mais au contraire semble monter durablement d'un cran (effet d'hystérésis du chômage).
De plus, les autres mesures dites de soutien à la compétitivité relèvent d'une incompréhension des mécanismes économiques. En effet, vouloir abaisser les salaires réels pour restaurer la profitabilité peut se défendre. Mais, le faire par une baisse des salaires nominaux est extrêmement dangereux, puisque cela conduit droit à la déflation !
Certes, le marché du travail en France connaît de nombreuses difficultés, qui vont être aggravées par l'ubérisation (qui risque du reste de faire baisser le taux de chômage avant 2017, mais est-ce une bonne nouvelle ?) et la disparition des emplois intermédiaires.
Mais la piste de la flexibilisation à outrance est une erreur, comme l'a montré une étude récente du FMI. En effet, pour faire simple, les équipes de recherche du FMI ont cherché à étudier les conséquences de plusieurs réformes structurelles sur la croissance potentielle, au travers de la productivité globale des facteurs. Et parmi celles-ci, se trouve justement un changement de réglementation du travail qui doit évidemment s'entendre comme une flexibilisation et une déréglementation. La conclusion de l'étude est édifiante : aucun effet sur la croissance potentielle à moyen terme et même un effet négatif à court terme !
Pourquoi ne pas rechercher un partage du travail, à l'instar de ce que font de nombreux pays nordiques pourtant cités en exemple dès que cela peut arranger les calculs politiques ? De plus, il serait temps que le gouvernement fasse la différence entre travail et emploi, le premier n'étant que la déclinaison moderne du tripalium dont il est issu...
En définitive, Emmanuel Macron avait proposé de travailler plus sans gagner plus :
Depuis Davos, Macron propose de travailler plus... par ActuLePoint6medias
Myriam El Khomri, qui sait maintenant ce qu'est un CDD et combien de fois on peut le renouveler, vient d'inventer le travailler plus pour gagner moins ! A contresens de l'histoire du progrès, qui transformait les gains de productivité en réduction du temps de travail. Chapeau l'artiste !
Évolution des durées annuelles de travail
[ Source : INSEE ]
Et si tout simplement, droite = gauche ? La preuve en image pour finir :
N.B1 : Si Madame le ministre a du temps à perdre entre deux lois, elle devrait relire l'article Front populaire de l'Encyclopædia Universalis. Elle y découvrirait la vraie notion de progrès économique et social !
N.B2 : l'image de ce billet provient d'un article du site www.jeunes-communistes.org