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14 octobre 2016 5 14 /10 /octobre /2016 11:31

 

 

J'ai souvent écrit, en particulier sur mon blog, sur les problèmes que soulève la désindustrialisation, que certains dirigeants appelaient pourtant de leurs voeux à l'orée des années 2000. Ne boudons donc pas notre plaisir et citons ces grands visionnaires, qui nous ont mis la tête dans le sable.

 

La palme (de quoi ?) revient bien entendu à Serge Tchuruk, patron d'Alcatel en 2001, qui popularisa le terme fabless pour désigner l'entreprise sans usine ! L'idée était alors, et elle semble toujours l'être dans la tête de certains patrons, d'abandonner les segments de la chaîne de valeur qui rapportent peu de marge et de se concentrer sur ceux à haute valeur ajoutée. Autrement dit, exit les usines de production et bienvenue dans le monde de la recherche-développement. Sauf que... au même moment les géants de l'électronique en Corée du Sud (Samsung, LG, etc.) faisaient le pari inverse et conservaient leurs usines à proximité du siège social. Et devenez qui domine aujourd'hui au niveau mondial ?

 

Ce billet sera ainsi consacré à l'analyse des conséquences du passage de l’économie mondiale à une économie de services, qui trop souvent ont été sous-estimées.

 

Vers une économie (monde) de service

 

Ce passage de l'économie mondiale à une économie de services a commencé il y a déjà trois décennies, mais s'est accéléré avec la crise de 2008 :

 

 

[ Source : Natixis ]

 

Bien entendu, ce constat est également vrai à l'échelle de la France où de profonds changements sont intervenus dans la structure de l'emploi :

 

Emploi total par secteur

 

[ Source : INSEE ]

 

Complétons ensuite par l'évolution de l'emploi entre 1982 et 2002 en France :

 

 

[ Source : Dares ]

 

Ces graphiques nous permettent de conclure que les trente dernières années ont été marquées par une tertiarisation de l'économie, c'est-à-dire un recul du poids de l'industrie au profit des services.

 

Les conséquences d'un passage à une économie de services

 

1) Tout d'abord, lorsqu'une telle évolution est mal anticipée - ce qui est peu ou prou le cas de toutes les mutations - , les capacités de production industrielles deviennent très vite largement excédentaires par rapport à une demande qui s'amenuise. Cela débouche sur une chute des prix industriels et une baisse de l'investissement dans ce secteur, donc très probablement sur une baisse globale de l'investissement puisque le secteur industriel investit en général bien plus que les services. 

 

Ensuite, le prix des matières premières employées dans l'industrie va lui aussi connaître une baisse si l'industrie n'investit plus autant que par le passé. La chute des prix du pétrole, de l'acier et d'autres matières premières qui étaient injectées encore naguère en grande quantité dans l'antre du monstre industriel chinois, sont évidemment des cas d'école...

 

Bien entendu, les profits industriels risquent rapidement de décroître et de conduire à du chômage supplémentaire, doublé ou non d'une délocalisation des derniers sites de production vers les pays à bas coûts (Vietnam, Indonésie, Philippines, Thailande, éventuellement PECO), nouveaux réservoirs d'esclaves après la Chine devenue trop chère.

 

2) L'affaiblissement du commerce mondial, s'il résulte de nombreux facteurs, doit cependant beaucoup au fait que les échanges de services sont de beaucoup plus petite taille que les échanges de biens.

 

 

[ Source : Natixis ]

 

Le passage à une économie de services n'est donc pas une bonne nouvelle pour le commerce mondial et encore moins pour les pays qui ont misé leur croissance sur les exportations (Allemagne, Japon, Australie,...). On peut aussi craindre la fin de la corrélation entre les cycles économiques des différentes régions du monde, qui était justement assurée par les échanges internationaux.

 

Pour le dire simplement, jusqu'à présent, lorsqu'une région du monde souhaitait sortir d'une crise elle pouvait s'appuyer sur les importations d'une autre région dynamique du monde, ce qui lui permettait de relancer son économie en favorisant les exportations. Mais le passage à une croissance domestique remet tout en cause.

 

3) L'évolution que nous venons de décrire va certainement amplifier le phénomène de bipolarisation de l'emploi dont j'avais déjà parlé dans ce billet. Il s'agit, pour le dire clairement, d'une disparition des emplois intermédiaires et d'une concentration aux extrémités (emplois peu qualifiés et emplois très qualifiés).

 

On peut alors craindre que cette disparition des emplois à qualification intermédiaire conduise à un recul de la productivité globale et, en tout état de cause, à une faible progression des gains de productivité. Or, comme la croissance dépend à long terme de la productivité par tête et de la croissance future de la population active, on en déduit par conséquent que cette évolution de la structure de l'emploi débouchera sur une baisse de la croissance de long terme.

 

Ce phénomène soulève aussi le problème de l'augmentation des inégalités de revenus, qui ne sont rentrées dans le radar de la politique économique que depuis quelques mois, alors qu'elles deviennent insupportables si on en juge par les nombreuses revendications et manifestations dans la plupart des pays développés. Et l'ubérisation de l'économie ne va rien arranger, puisqu'on s'achemine vers des emplois peu protégés et mal rémunérés, qui achèveront à terme le concept de classe moyenne ! Seul point positif, ces entreprises du monde numérique feront des bénéfices mirobolants et n'auront pas à s'inquiéter des revendications salariales, qui avaient permis jusqu'à présent à la société humaine de ne pas imploser...

 

Et pendant ce temps, les dirigeants européens, cependant qu'ils soutiennent sans réserve la numérisation du monde, pratiquent l'incantation en espérant que cela suffira à sauver une industrie qu'ils laissent par ailleurs soumise aux vents mauvais de la concurrence à outrance. Allez comprendre...

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