À quelques heures de l'élection présidentielle américaine, j'ai souhaité faire une synthèse des programmes économiques des deux candidats, tout en remarquant que la problématique de la dette publique aura été de manière surprenante la grande absente du débat électoral. Une chose est certaine, tout oppose Donald Trump et Kamala Harris, que ce soit la personnalité, la méthode ou la vision du monde, au point qu'il devient légitime de s'interroger sur la possibilité (impossibilité ?) de gouverner une Amérique autant divisée.
Synthèse des programmes économiques
Même si les questions économiques n'auront au fond été qu'effleurées durant cette campagne électorale, elles demeurent un marqueur traditionnel de différenciation entre Démocrates et Républicains. Ainsi, Trump a-t-il martelé sa volonté de baisser les impôts, tandis que Harris envisage de nouvelles aides essentiellement en direction des classes moyennes, même si des deux côtés de l'Atlantique il devient bien difficile de définir le périmètre précis de cet ensemble de ménages ni trop riches ni trop pauvres.
Ainsi, le lecteur l'aura compris : quel que soit le nom du futur président, le déficit public se creusera profondément.
Le déficit public aux États-Unis
Dire que les États-Unis dépensent plus qu'ils n'ont de revenus est certes un truisme, mais qui se laisse très bien chiffrer :
[ Source : https://fiscaldata.treasury.gov/americas-finance-guide/national-deficit ]
Pourtant, les performances de l'économie américaine ont été bien meilleures qu'anticipées (bien meilleures qu'au sein de l'UE, c'est une évidence), en raison justement de la forte impulsion budgétaire du gouvernement Biden qui, d'une certaine façon, aura prolongé la politique économique expansionniste menée par Trump. En d'autres termes, ce sont les hausses de dépenses publiques et les baisses d'impôts qui ont soutenu la croissance des États-Unis, même lorsque l'économie était repartie à la hausse !
Inévitablement, cette mise sous perfusion de la croissance a creusé le déficit public d'année en année, comme s'il n'existait plus de contrainte budgétaire...
[ Source : https://fiscaldata.treasury.gov/americas-finance-guide/national-deficit ]
La dette publique aux États-Unis
Et lorsque les déficits publics primaires s'accumulent, la dette publique grossit jusqu'à atteindre le chiffre astronomique de 35 800 milliards de dollars !
[ Source : https://fiscaldata.treasury.gov/datasets/debt-to-the-penny/debt-to-the-penny ]
Si l'on rapporte le stock de dette publique au PIB, l'on obtient le taux d'endettement public, indicateur macroéconomique très usité pour les comparaisons internationales et temporelles :
[ Source : https://fiscaldata.treasury.gov/americas-finance-guide/national-debt ]
La tendance actuelle est donc bien à l'augmentation du ratio d'endettement public pour financer le déficit public et le déficit extérieur, que l'on appelle les déficits jumeaux. Et au vu des montants en jeu, aucun pays n'aurait pu continuer ainsi à s'endetter pour financer ces déficits s'il ne disposait d'un outil transcendant : le dollar !
Le privilège exorbitant du dollar
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'ancienne patronne de la Banque centrale des États-Unis (la Fed), Janet Yellen, aujourd'hui secrétaire au Trésor dans l'administration Biden, n'a pas trouvé grand-chose à redire de la situation actuelle des finances publiques, considérant la dette publique sous contrôle. Il est vrai que l'économie américaine est globalement assez dynamique, mais, et c'est là un élément fondamental de l'équation, la dette publique des États-Unis est essentiellement libellée en dollars !
Ce "pouvoir exorbitant du dollar", comme l'appelait en 1964 le ministre de l'Économie et des Finances, Valéry Giscard d'Estaing, permet aux États-Unis de s'endetter à des niveaux stratosphériques sans risquer (jusque-là) de crise. Barry Eichengreen, professeur d'économie et de science politique à l'université Berkeley, a repris cette question dans un livre passionnant intitulé Un privilège exorbitant. Il y explique que le dollar permet in fine aux ménages américains de vivre structurellement au-dessus de leurs moyens, parce que les investisseurs du monde entier sont friands de titres de dettes libellés en dollars ! En particulier, les États-Unis fournissent au reste du Monde une dette sans risque, sous forme de Treasury Bond (bons du Trésor).
D'aucuns affirment que le dollar devrait très prochainement perdre son statut de monnaie de réserve internationale conformément au célèbre dilemme de Triffin : les États-Unis abusent de ce rôle du dollar pour s'endetter excessivement avec très peu d'épargne, ce qui dégrade à terme la qualité de la monnaie et conduit à la perte de son hégémonie. Mais, comme cette prédiction sans conséquence est la même depuis un demi-siècle, il me semble que Kamala Harris et Donald Trump ont décidé tout simplement de l'ignorer et de faire du budget une simple variable d'ajustement à leur programme économique... Inquiétant !
P.S. L'image de ce billet provient du site https://www.usdebtclock.org.