Le fonctionnement de l'assurance santé a été remis sous les feux des projecteurs ces derniers mois, tant en France qu'aux États-Unis. En effet, d'après l'OCDE, en 2011 les États-Unis ont dépensé nettement plus pour la santé que tous les autres pays de l’OCDE :
[ Source : Panorama de la santé 2013, OCDE ]
Dans les calculs de l'OCDE, les dépenses totales de santé correspondent à la consommation finale de produits et services de santé plus les dépenses d’investissement dans l’infrastructure. Afin de comparer les niveaux de dépenses entre les pays, les dépenses de santé sont converties en dollar américain et corrigées de la différence de pouvoir d’achat des monnaies nationales ; dans le jargon économique on dit que les sommes présentées dans le graphique ci-dessus sont des dollars en parités de pouvoir d’achat (PPA).
Mais on peut aussi analyser les dépenses de santé en proportion du PIB. On voit ainsi sur le graphique ci-dessous qu'en 2011, les dépenses de santé représentaient en moyenne 9.3 % du PIB dans les pays de l’OCDE (17,7 % aux États-Unis contre 11,6 % en France et 11,3 % en Allemagne) :
[ Source : Panorama de la santé 2013, OCDE ]
En France, dans le cadre du plan d'austérité Valls, la ministre des affaires sociales, Marisol Touraine, cherche à couper de 10 milliards d'euros les dépenses de l'assurance-maladie. Pour ce faire, elle a demandé à l'administration de lui faire des propositions pour atteindre cet objectif ; d'où ce rapport qui préconise la réduction des séjours post-accouchement à l’hôpital, la dialyse à domicile, la réduction du nombre d'IRM, le développement généralisé de la chirurgie ambulatoire, la substitution de médicaments génériques aux princeps, etc.
Pour information, le conseil de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnamts) n'a pas avalisé ce rapport - ce qui est suffisamment exceptionnel pour être noté ! -, car les représentants du patronat ont considéré que ces propositions n'étaient pas assez ambitieuses...
A ce stade il est bon de rappeler qu'aux États-Unis chaque État américain possède son système de couverture et que la plupart des personnes souscrivent à des assurances privées pour couvrir les risques liés à leur santé. Cela signifie en particulier que les personnes cotisent en fonction des risques de santé réels ou potentiels, sachant que les plus démunis ont accès au système MEDICAID, et les plus âgés au système MEDICARE. Dans un pays qui se veut la première puissance économique mondiale, 47 millions de personnes (sur 300 millions d'Américains) ne sont pas couvertes par une assurance santé alors que nous avons vu plus haut que les États-Unis dépensaient amplement plus que les autres pays de l'OCDE dans ce domaine !
D'où la réforme voulue par le Président Obama, que l'on nomme depuis obamacare, et qui a pour but de réduire le risque de la perte de l'assurance en créant une couverture universelle, qui est loin de faire l'unanimité tant les Américains restent persuadés que chaque citoyen a le devoir de se prendre en charge tout seul face à ce risque. Toujours est-il que cette réforme (révolution ?) permettrait de ne plus lier l'assurance santé uniquement à l'emploi comme c'est le cas aujourd'hui, afin de ne pas condamner le chômeur à une double peine : perte de son emploi et perte de l'assurance santé pour toute sa famille !
Dès lors, l'obamacare oblige les ménages à souscrire une assurance santé (pour les plus pauvres MEDICAID), avec l'obligation pour les compagnies d'assurance de prendre en charge les personnes quel que soit leur état de santé. En effet, le bon fonctionnement de ce système repose sur un volume de cotisations suffisant pour faire face aux risques de santé des individus, comme je vais l'expliquer dans un exemple ci-après.
Le but de ce billet n'est pas de faire un cours sur les objectifs de dépenses de l'assurance-maladie, encore moins d'analyser toutes les propositions avancées pour couper les dépenses, mais de pointer du doigt comment le risque de sélection adverse (également appelé antisélection) peut conduire à bloquer un tel marché de l'assurance santé privé. Pour ce faire, imaginons trois personnes cherchant à obtenir une couverture santé : Antoine, Bernadette et Cécile.
Chacune d'entre-elles a une idée du montant de ses dépenses de santé annuelle et se fixe un montant maximum pour la police d'assurance, c'est-à-dire un montant maximum qu'elle est prête à débourser pour se couvrir.
Bien entendu, si Cécile est prête à payer 3 700 € de police pour des dépenses annuelles estimées à 3 500 €, c'est qu'elle doit se savoir malade (ou qu'elle a une aversion particulièrement maladive au risque...). Il est donc fort probable qu'elle n'en fera pas mention lors de la recherche d'un contrat d'assurance santé, ce qui constitue un risque pour la compagnie d'assurance.
C'est précisément ce risque lié à l'asymétrie d'informations entre l'assuré et l'assureur avant la signature du contrat que l'on appelle risque de sélection adverse ou antisélection.
Si l'on imagine à présent que la compagnie d'assurance est dans l'incapacité de discerner le niveau de risque réel de chaque assuré, elle sera alors contrainte de fixer la police d'assurance au moins à la valeur moyenne des dépenses estimées :
Mais à ce prix, Antoine et Bernadette ne voudront plus se couvrir auprès de la compagnie d'assurance. D'où l'obligation de monter encore le prix de la prime pour couvrir les assurés restants (ici uniquement Cécile), jusqu'au point où il ne restera plus que les assurés les plus risqués du point de vue de l'assureur, les autres préférant ne pas s'assurer car le prix leur semble trop élevé.
On comprend donc mieux pourquoi j'expliquais plus haut que le bon fonctionnement de l'obamacare reposait sur un volume de cotisation suffisant pour faire face aux risques de santé des individus : la mutualisation des risques doit permettre d'abaisser le montant de la prime à verser par les assurés.
Certes, cet exemple est assez simple et suppose que la compagnie d'assurance n'a aucun moyen de savoir l'état de santé réel de la personne à assurer, mais il a l'avantage de démontrer que des choix individuels rationnels peuvent conduire à une situation catastrophique au niveau de la population prise dans son ensemble. C'est bien le cas lorsque 47 millions de personnes dans un pays ne sont pas assurés contre le risque de tomber malade...
Dès lors, ne jetons pas trop vite nos assurances universelles en Europe, même si la très libérale Commission européenne semble pousser à la privatisation de l'assurance santé !
N.B : l'image de ce billet provient du site http://www.unof.org