Après avoir évoqué le budget de l'État pour 2024 avec ses hypothèses très optimistes, les Bourses qui tiennent bon pendant que l'immobilier est dans l'expectative, le danger de la remontée des taux d'intérêt, j'ai analysé la dégradation sensible de l'économie en particulier en France et en Allemagne. Parmi les conséquences prévisibles d'une telle détérioration des conditions économiques, il y aura inévitablement une hausse de la pauvreté. Mais au fait, qu'est-ce que la pauvreté ? Comment la mesure-t-on ?
L'éradication de la pauvreté, un objectif des politiques publiques
Pour commencer, il est bon de rappeler que l'éradication de la pauvreté fait partie des 17 objectifs du développement durable de l'ONU :
[ Source : https://www.cnis.fr ]
En France, nous disposions d'un Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), qui a fusionné en 2019 avec le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE). D'après sa brochure de communication, le CNLE est "une instance représentative des principaux décideurs et acteurs, institutionnels et associatifs, impliqués dans la mise en œuvre des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale". Sur son site web, l'on trouve de nombreuses statistiques et éléments de compréhension du phénomène de la pauvreté, qui ne résume pas à son aspect monétaire, même s'il s'agit évidemment de celui qui vient spontanément à l'esprit.
La pauvreté monétaire
C'est certainement l'indicateur le plus connu, mais qui présente le défaut majeur de ramener la pauvreté à un simple seuil chiffré. Un individu est en effet considéré comme pauvre, au sens monétaire, lorsqu'il vit dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté, généralement fixé à 60 % de la médiane des niveaux de vie. En 2021, ce seuil correspond à 1 158 euros par mois pour une personne seule.
Si l'on s'intéresse uniquement aux personnes vivant en France métropolitaine dans un ménage dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante, alors ce sont 9,1 millions de personnes résidant en logement ordinaire qui vivent en dessous du seuil de pauvreté monétaire. Soit 14,5 % de la population en France métropolitaine !
[ Source : Insee ]
La petite vidéo ci-dessous résume brièvement ce concept de pauvreté monétaire :
La pauvreté : un phénomène multidimensionnel
Mais la pauvreté ne peut à l'évidence se résumer à la seule dimension monétaire, puisqu'il s'agit avant tout d'une question de nature de la privation. C'est ce que montrent les travaux du sociologue Nicolas Duvoux, qui a été nommé président du comité scientifique du CNLE en 2021. L'infographie suivante résume les principaux indicateurs de pauvreté, qui n'ont aucune raison de se recouper, ce qui revient à dire qu'une personne pauvre selon l'un de ces critères ne l'est pas forcément selon un autre :
[ Source : Le Monde ]
En particulier, il faut remarquer que pauvreté ne rime forcément avec chômage, en ce qu'il existe des travailleurs dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté ou dont les conditions de vie sont très dégradées.
[ Source : Insee ]
C'est d'autant plus le cas que nous subissons actuellement les conséquences conjuguées d'une ubérisation du travail et de la mise en œuvre de politiques de l'emploi dont le seul objectif est de mettre tout le monde au travail, sans réfléchir aux conditions d'exercice. Bienvenue dans le monde de la pauvreté laborieuse ! Pourtant, selon l’Observatoire des inégalités, la France est l’un des pays de l'UE qui réussit encore assez bien à contenir la hausse de la pauvreté monétaire, certes à un seuil élevé. L'efficacité de l'État social français n'y est pas étrangère, comme le montrent de nombreux travaux, dont ceux de l'Insee :
[ Source : Revenu et patrimoine des ménages 2021 - Insee ]
La pauvreté est donc avant tout une question sociale et politique. La ramener à un simple problème économique est un contresens permettant peut-être habilement à des demi-habiles de détourner le regard d'un phénomène difficilement conciliable avec le mantra actuel du progrès permanent...
La Commission européenne l'a bien compris. Chargée de mettre en œuvre (il y a déjà dix ans...) le programme Stratégie UE 2020, elle mesure le phénomène de la pauvreté en y incluant l’exclusion sociale, de sorte que son indicateur tient compte bien sûr de la pauvreté monétaire, mais également de la privation matérielle et sociale grave et de l'intensité de travail au sein des ménages.