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13 juin 2023 2 13 /06 /juin /2023 13:34

 

Avec le retour des beaux jours, et un thermomètre qui s'affole et devrait nous affoler sur la réalité du changement climatique, plus rien ne semble avoir d'importance en dehors des vacances. Ainsi, de nombreux sujets épineux sont renvoyés au diable Vauvert ou sine die, ce qui revient à détourner le regard lorsque la maison brûle... La question des taux d'intérêt en est un exemple, dans la mesure où elle a été reléguée au second plan après l'inflation, alors que les deux sont intimement liés et porteurs de graves désordres. C'est ce que j'explique dans l'un des chapitres de mon nouveau livre paru aux éditions Ellipses, Les grands mécanismes de l'économie en clair (3e édition, revue et augmentée).

 

Assurément, il ne sera pas possible d'escamoter très longtemps ces problématiques majeures pour l'économie, même si la période de taux d'intérêt très bas traversée par la zone euro pendant près d'une décennie a donné l'illusion d'un monde où l'argent est gratuit... C'est pourquoi, après un billet sur les communautés qui cherchent à vivre sans argent, je souhaitais aborder la remontée des taux d'intérêt et ses conséquences sur l'économie.

 

Taux d'intérêt très bas

 

Le retour de l'inflation a marqué la fin de la période de taux d'intérêt très bas, voire nuls ou négatifs. Parmi les conséquences d'un loyer aussi faible de l'argent prêté, l'on peut citer :

 

 

Or, à bien y regarder, ce n'est pas tant l'investissement qui a été favorisé par les taux d'intérêt très bas, mais plutôt un comportement de sur-rémunération du capital. En effet,  l’effet de levier, lié au fait que les taux d'intérêt sur la dette sont inférieurs au rendement du capital, a artificiellement dopé la rentabilité des fonds propres des entreprises, alors même que la croissance est globalement atone en France. L'allègement des charges d’intérêt y a également contribué sans compression excessive de la rémunération salariale, d'autant que l'inflation permettait à certaines entreprises d'augmenter leurs prix pour conserver ou augmenter leur marge. Les salariés ont d'ailleurs pu accéder plus facilement à l'endettement, ce qui ne présume en rien de la qualité de leurs achats et investissements.

 

L'un dans l'autre, les profits engrangés par les grands groupes cotés ont été impressionnants, tant et si bien qu'ils ont préféré utiliser ces profits pour racheter leurs concurrents (concentration défavorable à la baisse de l'inflation) et surtout pour racheter leurs propres actions, ce qui augmente les sommes déjà croissantes versées aux actionnaires sous forme de dividendes. Résultat des courses : les sociétés du CAC 40 ont distribué un montant record à leurs actionnaires en 2022 (80,1 milliards d'euros), en dividendes ou rachats d'actions, alors que le capital productif reste à la traîne. Une telle conclusion est à mettre en regard avec le déficit de la balance commerciale.

 

Taux d'intérêt très bas et État

 

Enfin, les taux d'intérêt très bas ont grandement facilité l'endettement de l'État qui, en France, a mené une politique de l'offre caractérisée par la poursuite des réductions de prélèvements obligatoires sur les entreprises et des subvention aux bas salaires, comme le montre avec brio Anne-Laure Delatte. Non seulement une telle politique coûte horriblement cher aux finances publiques, notamment lorsque le SMIC augmente en raison de l'inflation, mais elle pèse aussi sur la productivité globale dans la mesure où les emplois subventionnés (cotisations quasi nulles au niveau du SMIC) se situent souvent dans les services peu productifs. Et pour éviter la grogne sociale, l'État s'endette alors une nouvelle fois pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages face aux hausses de prix, tout en se privant de recettes puisque la fiscalité des ménages est abaissée.

 

Bref, avec un brin de provocation, nous pouvons dire que l'État français semble avoir abandonné l'investissement au profit d'une simple politique de transfert anti-explosion sociale. Rien d'étonnant donc à ce que les mauvaises langues qualifient le gouvernement de "gestionnaire de France S.A.", puisque toutes les réformes semblent avoir pour objectif la réduction des dépenses publiques concomitamment à une baisse des recettes fiscales. Le pire est sans doute que sondage après sondage, l'on voit que les priorités suivies par le gouvernement ne sont pas celles souhaitées par les Français. Ainsi, à force d'évoquer la réforme des retraites, qui a épuisé le débat politique dans le pays pendant des mois, il n'a plus été question des investissements d'avenir, du système de santé en lambeau, de l'avenir de l'école, etc. 

 

La remontée des taux d'intérêt

 

Avec le retour de l'inflation dans la zone euro, certes plus limitée en France à la faveur des nombreuses aides de l'État dont le coût est devenu faramineux tant les mesures étaient indifférenciées, les taux d'intérêt se sont très vite remis à la hausse :

 

 

[ Source : Boursorama.com ]

 

La politique monétaire a alors été durcie par la BCE, le taux des opérations principales de refinancement passant à 3,75 % le 10 mai 2023, puis à 4 % dès le 21 juin, la Banque centrale étant toujours persuadée qu'il suffit d'augmenter les taux d'intérêt directeurs pour éradiquer l'inflation :

 

 

[ Source : Banque de France ]

 

Pourtant, l'inflation semble s'être installée pour de bon (faisant des gagnants et des perdants) et la hausse initiale des prix de l'énergie s'est désormais répercutée dans les prix des autres produits du panier de la ménagère, dont l'alimentation. Le risque est alors grand que les considérations de qualité alimentaire soient reléguées au second plan, tout comme celles de transition écologique/énergétique.

 

J'invite maintenant le lecteur à imaginer les conséquences du retournement de tous les mécanismes évoqués ci-dessus, lorsque les taux d'intérêt augmentent. Pour les obligations d'État, cela renchérit en effet progressivement le service de la dette de l'État. Mais comme les entreprises (et les banques) ont placé leur argent sur de tels actifs, elles se retrouvent de facto avec des moins-values en portefeuille : c'est le mécanisme de la faillite de la banque SVB aux États-Unis ! Quant au profit des entreprises, lié à l'effet de levier et à l'allègement des charges d’intérêt, il est fort probable qu'il subira l'impact de la hausse des taux d'intérêt. Il y a donc fort à parier que la rémunération salariale en fera les frais... Et plus généralement, il faut s'interroger sur le risque de faillite des emprunteurs, qui se sont parfois pris à rêver d'un monde sans risque et sans coût, portés en cela par un sentiment de sécurité procédant de l'argent gratuit.

 

À n'en pas douter, le rêve d'une société capitaliste fondée sur l'argent sans coût est une chimère, certes entretenue par les Banques centrales elles-mêmes, mais dont il faudra très prochainement payer le prix !

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