Décidément, depuis son élection, à laquelle j'avais consacré plusieurs billets çà et là, Emmanuel Macron multiplie les décisions propres à s'aliéner une partie croissante de la population. Il y eut d'abord la démission du Général de Villiers, qui avait eu le front de soulever devant la représentation nationale les difficultés matérielles et financières (réelles) d'une armée, dont les Français attendent beaucoup sans comprendre que cela passe nécessairement par des moyens à la hauteur des enjeux.
Non content d'avoir renié ses promesses concernant les budgets qui seraient sanctuarisés (défense, sécurité, recherche...), le nouveau président de la République a décidé de jouer les coupeurs de coûts au sein de France SA, en mettant tout le monde à contribution, entendez tous les ménages sauf ceux qui verront leur ISF baisser et leur impôt sur le capital être ramené à un taux forfaitaire de 30 %. Dernier avatar en date de cette stratégie perdante pour le plus grand nombre, une baisse de 5 euros par mois de l'aide personnalisée au logement (APL), dès le 1er octobre prochain.
Les aides aux logements
ll existe 3 types d'allocations logement (non cumulables entre elles), qui visent à diminuer le taux d'effort des ménages (loyer ou prêt) et se distinguent essentiellement par leurs conditions d'attribution ; leur montant dépend notamment des ressources du foyer :
* l'aide personnalisée au logement (APL) : elle est versée pour la résidence principale, à la condition que le logement soit conventionné. En règle générale, l'APL est versée directement au propriétaire ou, en cas d'accession à la propriété, à la banque.
* l'allocation de logement familiale (ALF) : elle est versée en fonction de la situation de la famille, notamment aux bénéficiaires de prestations familiales (allocations familiales, complément familial...) ou de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH).
* l'allocation de logement sociale (ALS) : elle est versée à ceux qui ne peuvent prétendre ni à l'APL ni à l'ALF.
Coût des différentes aides au logement et nombre de bénéficiaires
[ Source : La Tribune ]
Les chiffres de l'APL
Une infographie qui en dira plus qu'un long discours :
[ Source : La Voix du Nord ]
Tour ça pour boucler le budget ?
Mais qu'est donc allé faire le gouvernement dans cette galère, qui ne lui aura rapporté que le mépris d'une bonne partie de la population ? La réponse nous a été donnée par Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, qui cherchait 4,5 milliards d'euros pour boucler le budget et répétait à l'envi qu'il faudra faire des "réformes de structure l'an prochain". Bref, bien qu'il s'en défende, le ministre a tout bêtement appliqué comme ses prédécesseurs un coup de rabot général caché sous le vocable "économies", à charge ensuite pour les différentes ministres d'assumer et de justifier certaines baisses budgétaires injustifiables.
Mais pour les APL, prendre le risque de s'aliéner 2 600 000 personnes pour 32,5 millions d'euros "d'économies" par mois, relève soit d'un froid calcul technocratique soit du mépris. Ce d'autant plus que la réforme de l'ISF coûtera au bas mot 3 milliards d'euros aux caisses de l'État pour satisfaire une clientèle électorale de 340 000 contribuables ! Personne ne nie que la politique de l'aide au logement nécessite une remise à plat, ne serait-ce que pour corriger les effets inflationnistes bien connus de ces aides. Mais retrancher 5 euros par mois d'APL ne fera certainement pas baisser les loyers du même montant, c'est là un raisonnement spécieux. En effet, en temps normal, il faut des années pour qu'une telle baisse des loyers se matérialise, si tant est qu'elle se produise un jour, le contre-exemple du Royaume-Uni étant éclairant (baisse des aides sans baisse véritable des loyers...).
Bien au contraire, cette somme représentera une perte de pouvoir d'achat pour les ménages les plus modestes, qui comptent sur cette allocation pour se loger. On sait par exemple que les APL représentent 20 % du niveau de vie des 10 % de ménages les plus pauvres. Au surplus, lorsque la moitié des allocataires vit dans le parc social où le loyer est encadré, on ne voit pas bien comment la baisse de l'APL pourrait ne pas avoir de répercussions négatives sur la vie des ménages... Bien sûr, il se trouvera toujours l'idiot utile pour affirmer le contraire et défendre envers et contre tous la parole du maître, c'est même le propre d'une cour (royale) républicaine.
D'ailleurs qui se souvient encore que durant le quinquennat précédent, le rabotage des aides au logement avait été un sport fréquent, entre suppression du premier mois de versement par l'inénarrable Cécile Duflot et un subtil arrondi du montant à l'euro inférieur ? En fin de compte, aucun gouvernement ne semble vouloir se lancer dans une véritable remise à plat d'un système à bout de souffle, qui passerait déjà certainement par une réflexion sur le lien entre montant de l'aide et montant du loyer, qui désavantage les plus modestes.
Heureusement, certains économistes ont travaillé sérieusement sur la question et proposent par exemple de lier les aides au logement exclusivement aux caractéristiques des ménages qui les perçoivent (zone géographique, revenus, nombre de personnes à charge...). D'autres vont plus loin et suggèrent de fusionner toutes les aides sociales, afin de rendre le système plus lisible, ce qui permettrait entre autres de réduire les coûts de gestion très élevés, que le rapporteur d'un groupe de travail de 2015 sur cette question (François Pupponi) avait estimés à plus de 800 millions d'euros. Enfin, la question du plafonnement des loyers étudiants a refait surface, quand bien même je redoute ce genre de plafonnement qui se termine en général en pénurie de logements.
Je l'ai souvent répété sur ce blog, dans toute la zone euro les dirigeants politiques (et Macron en particulier) s'appuient actuellement sur de prétendues lois de l'économie pour préconiser en choeur la même politique de réduction des dépenses publiques, au nom d'une idéologie destructrice que l'on cache sous des noms rassurants (confiance, économie, compétitivité, etc.).
Tout cela témoigne du peu de sens des réalités de nos dirigeants, qui regardent la misère et les difficultés mais ne les voient pas. Enfermés dans leur tour d'ivoire, ils se persuadent que tout est affaire de chiffres et d'équilibre sur des marchés, où l'humain ne tient en fin de compte qu'une place marginale. Le pire est que nombre de personnes en Europe, heureusement de moins en moins tout de même, croient le loup lorsqu'il affirme qu'il fait tout cela pour le bien des moutons...