Après mon billet sur les vrais résultats (dérangeants) de l'élection présidentielle, il est temps d'en venir à la politique économique d'Emmanuel Macron. Le mode de scrutin en France permet en effet ce genre d'incongruité : avec seulement 24 % des suffrages exprimés au premier tour, c'est une politique économique ultralibérale qui sera menée en France, bien que la plupart des électeurs l'aient pourtant catégoriquement refusée. Mais à l'heure où j'écris, j'apprends que nombreux sont les adversaires d'hier à avoir rejoint la majorité présidentielle, même au rang de Premier ministre, dans le seul intérêt général de la France cela va sans dire...
La composition du premier gouvernement de l'ère Macron
[ Source : Europe 1 ]
Voilà ce que les Anglais appelle un "ministère de tous les talents" depuis William Grenville en 1806 et que pour ma part, à l'instar des caricaturistes de l'époque, je préfère dénommer un broad-bottom ministry tellement Emmanuel a ratissé large... En effet, avec un Premier ministre de droite et surtout un ministre de l'économie tout-puissant et très à droite (souvenez-vous : 1000 pages de programme, la lutte contre l'assistanat érigée en principe cardinal...), je crains fort que nous ayons en fait tout simplement un gouvernement de droite qui se targue d'être écolo-nucléaire compatible avec la nomination de Nicolas Hulot et pense avoir fait mouche avec Laura Flessel... Il apparaît donc indispensable de détailler un peu les différentes politiques qui étaient défendues à droite et à gauche pour comprendre ce qui peut nous attendre.
Les différentes politiques économiques des ex-candidats
Il est important de commencer par présenter les grandes théories économiques qui sous-tendaient les programmes des candidats à l'élection présidentielle, afin de permettre des comparaisons. On peut ainsi distinguer quatre grandes tendances, que j'ai cherché à résumer par le schéma ci-dessous. Certes, les dénominations gauches, centre, droite ne sont plus forcément les plus adaptées après l'implosion qu'ont subie les grands partis traditionnels, mais elles ont au moins le mérite de permettre des comparaisons :
La politique de la demande
La politique de la demande consiste à relancer la consommation et l'investissement pour accéder au plein-emploi et à une croissance forte. Elle passe donc par un soutien aux bas revenu, des investissements publics, des aides et subventions, etc. Certes, il faut être prudent en l'état actuel de nos capacités de production nationale, puisque la hausse de la demande intérieure entre 2014 et 2016 liée à ce que j'appelais l'alignement des planètes dans ce billet, a essentiellement débouché sur une hausse des importations :
[ Source : Natixis ]
La prégnance de la crise sociale que l'élite politique a trop longtemps mise sous le boisseau quand elle ne l'a pas splendidement niée, a fait resurgir sur le devant de la scène le revenu universel auquel j'avais consacré ce billet. Pour les plus interventionnistes, il s'agit d'un outil de lutte contre la pauvreté dans un monde où le travail se fait rare et d'émancipation, en ce qu'il permet au citoyen de se consacrer à des activités culturelles et associatives que les contingences matérielles de la vie limitaient.
Quant aux dépenses publiques, trop souvent vues comme une simple charge nécessairement trop élevée, j'avais rappelé dans ce long billet qu'entre les services publics non marchands à destination des ménages - individualisables comme l'éducation ou collectifs comme la justice - et les prestations sociales en nature (médicaments, consultation de médecine, etc.) et en espèces (retraites, allocations, etc.), une bonne moitié de la dépense publique est constituée de prélèvements qui sont restitués aux ménages et donc soutiennent la dépense privée et la croissance. Les couper serait donc catastrophique pour l'activité de notre pays !
La politique de l'offre
La politique de l'offre consiste au contraire à réduire les prélèvements supportés par les entreprises, afin d'améliorer leur compétitivité-coût et ainsi relancer l'investissement privé et donc l'emploi. Elle s'appuie par conséquent sur la réduction des dépenses publiques et la flexibilisation du marché du travail, dont on sait pourtant qu'elle est déjà importante en France et qu'elle n'est pas nécessairement source de croissance.
La version la plus connue est un enchaînement popularisé par le chancelier ouest-allemand Helmut Schmidt en 1974, qui lui vaut désormais le nom de théorème de Schmidt (sic !) : baisse des impôts et cotisations sur les entreprises => hausse des marges => hausse de l'investissement => hausse des emplois. Sauf que ce théorème n'a que très rarement fonctionné dans nos économies... En dehors de ce théorème, comme je l'ai montré dans ce billet, il est souvent fait référence à la courbe de Laffer pour justifier la mise en place d'une baisse d'impôts et de cotisations sociales pour les entreprises tout en augmentant la TVA (ce qui n'est rien d'autre qu'une forme de TVA (anti-)sociale à laquelle j'ai consacré un chapitre dans mon livre Mieux comprendre l'économie : 50 idées reçues déchiffrées).
On croyait cette courbe enterrée pour de bon, mais comme tout concept zombie elle n'a cessé de polluer les campagnes politiques tant aux États-Unis qu'en Europe. Cela tient à sa simplicité (simplisme ?) et son caractère consensuel pour attirer les électeurs de toutes obédiences. En particulier, Ronald Reagan en prit prétexte pour baisser la pression fiscale aux États-Unis dès le début de son mandat, avec pour résultat catastrophique une forte hausse du déficit public :
[ Source : Natixis ]
Des deux côtés de l'Atlantique, la croyance est donc encore aujourd'hui que l'on se trouve du côté droit de la courbe, c'est-à-dire que la pression fiscale est devenue dissuasive et pèse par conséquent sur les rentrées fiscales de l'État. Dès lors, il suffirait de baisser la pression fiscale sur les entreprises pour que la relance de l'activité correspondante permette une augmentation des ressources fiscales de l'État. Autrement dit, le déficit public qui résulterait d'abord de la baisse du taux d'imposition serait entièrement compensé par les nouvelles recettes fiscales liées à la hausse de l'activité, ce qui revient à supposer que le multiplicateur budgétaire est très élevé, probablement le double de ce qu'il est actuellement...
Le programme économique de Macron
Emmanuel Macron a fait campagne sur le programme suivant :
[ Source : Europe 1 ]
En matière économique, l'infographie suivante en dit plus long que des mots :
[ Source : Boursorama ]
La dynamique schumpétérienne rêvée par Macron
Le programme d'Emmanuel Macron est en fait entièrement conçu sur une dynamique schumpétérienne. Celle-ci prend appui sur le concept de destruction créatrice, qui postule que l'innovation détruit certes des secteurs entiers de l'économie ancienne, mais au profit de la création de nouveaux secteurs dynamiques et plus productifs au sein desquels l'emploi se développera. La préconisation est alors d'ôter tout obstacle à la transformation des entreprises et de l'emploi, bref de laisser faire ce processus vu comme inéluctable et bienfaisant pour l'économie à long terme.
Ce faisant, on oublie juste que les emplois détruits ne sont pas nécessairement recréés en nombre égal dans les nouveaux secteurs d'activité. De plus, les qualifications n'étant pas les mêmes, rien n'assure le "déversement" d'un secteur à l'autre pour reprendre une expression popularisée par Alfred Sauvy. C'est pourquoi, les tenants du dieu Schumpeter préconisent de mieux former les salariés, de réduire la protection de l'emploi et de flexibiliser le marché du travail, quitte à inventer pour cela la tarte à la crème de la flexisécurité dont on ignore le fonctionnement précis, mais qui ne manquera pas de précariser encore un peu plus les travailleurs puisqu'il y aura négociation au niveau des entreprises sur des éléments essentiels et donc inévitablement ajustement à la baisse des salaires.
Emmanuel Macron, tout à sa vision européenne des affaires, néglige que le problème économique principal de la France (un niveau de coûts de production élevé par rapport à des pays de même niveau de gamme comme l'Espagne) ne pourra pas être réglé en l'état actuel de fonctionnement de la zone euro. Sa volonté de poursuivre l'approfondissement de l'UE, au moment où les opposants à la construction européenne se comptent par légion, relève soit de la pure folie (arrogance ?) soit d'une soumission à un programme ultralibéral qui fait du marché l'alpha et l'oméga de toute politique économique...
Toujours est-il que la multiplication des règles et autres corsetages imposés par l'ordolibéralisme allemand (TSCG, "six-pack", "two-pack", etc.), continueront a être repris comme un mantra par la majorité des dirigeants européens dont la France bien évidemment (les récentes déclarations d'Angela Merkel ne laissent aucun doute à ce sujet), pour le plus grand malheur de nos producteurs et ménages. Nombreux sont ceux qui, à l'image d'Emmanuel Macron, citent l'Angleterre de Thatcher comme modèle voire comme horizon indépassable. Rares sont en revanche les dirigeants politiques qui notent que Theresa May est un modèle de Premier ministre, en ce qu'elle a respecté la voix populaire exprimée lors du référendum sur le Brexit alors même qu'elle souhaitait à titre personnel le maintien au sein de l'UE. Mais de cela, nul ne semble vouloir en parler...
En France, mais également dans toute la zone euro, les dirigeants politiques s'appuient sur de prétendues lois de l'économie pour préconiser en choeur la même politique économique, certes avec des variations de nom selon le folklore local (loi travail, loi de confiance, loi de compétitivité, etc.). Ainsi, lorsqu'on regarde la structure sectorielle des créations d’emplois dans la zone euro, on constate hélas que la baisse du chômage a pour contrepartie des emplois de mauvaise qualité, en ce qu'ils sont peu payés, donc défavorables aux ménages, et peu productifs, donc défavorables à la croissance potentielle. L'un dans l'autre, les libéraux arriveront peut-être au plein-emploi, mais avec des conditions salariales (et non-salariales) épouvantables. Le risque d'une crise sociale et politique n'en sera que plus fort !
Dans les deux cas, l'emploi décent (c'est-à-dire tout sauf la déclinaison moderne du tripalium) risque de passer par pertes et profits avec la très prochaine loi sur le travail de France SA, qui en plus de court-circuiter le Parlement, ne fera qu'entériner la mort prochaine du code du travail protecteur tel que nous l'avons connu ! L'ubérisation sera alors érigée en programme de société, mais ses dégâts seront bien cachés dans un premier temps derrière le faux nez des start-up triomphantes.
En définitive, contrairement à une idée reçue, Emmanuel Macron ne prend pas le meilleur des politiques économiques de gauche et de droite, mais le pire ! Hélas, nous vivons dans un monde de communication et de marketing où toutes les relations se doivent d'être du type gagnant-gagnant (win-win en franglais d'aérogare qui fera bientôt autorité dans nos établissements scolaires et universitaires) même lors les uns n'ont plus aucun pouvoir de négociation. Au fait, comment appelle-t-on une politique qui fait énormément plus de perdants que de gagnants ? Le prélude à la colère sociale ?