Dans un récent billet, j'avais expliqué que l'embellie actuelle dans la zone euro est avant tout conjoncturelle. En effet, un euro relativement faible, un niveau très bas des taux d’intérêt et des prix du pétrole raisonnables ont pendant un temps soutenu la croissance, qui vient de connaître un coup de mou au premier trimestre 2018... C'est qu'à la force de croire qu'une hirondelle fait le printemps, les gouvernements perdent de vue les graves problèmes structurels de la zone euro dont j'ai souvent parlé et qu'il me semble utile de rappeler dans ce billet. Or, tant que ces problèmes ne seront pas réglés, la zone euro ne peut qu'aller vers le pire...
La fragilité financière des États
De nombreux États de la zone euro ne doivent leur survie financière qu'à l'action de la Banque centrale européenne sur les taux d'intérêt. Or, comme ceux-ci sont amenés à augmenter très prochainement, les intérêts payés sur la dette publique augmenteront, ce qui peut faire disparaître la solvabilité budgétaire qui, notons-le, est pour l'instant assurée pour la zone euro prise dans son ensemble :
[ Source : Natixis ]
Quant à l'endettement, c'est moins celui des États qui m'inquiète que l'endettement total des pays membres de la zone euro :
[ Source : Natixis ]
Les capitaux allemands ne financent plus la zone euro
Certes l'on peut dans une certaine mesure se réjouir du goût des Allemands pour l'orthodoxie financière, qui passe notamment par un sens très développé de l’épargne chez tous les agents économiques depuis le début des années 2000 (voir le chapitre L'Allemagne est-elle un modèle économique ? de nouveau livre Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'économie ! (éditions Ellipses)) :
* taux d'autofinancement des entreprises
[ Source : Natixis ]
* taux d’épargne très élevé des ménages
[ Source : Les Échos ]
* excédent courant gigantesque, supérieur à celui de la Chine en pourcentage du PIB
[ Source : OCDE ]
* excédent public
[ Source : OCDE ]
Le vieillissement démographique en Allemagne est certainement une explication plausible de ce comportement d'épargne, mais le problème est surtout de savoir ce que les Allemands font de leurs noisettes. Et là, c'est peu dire que le bât blesse, puisque l'épargne allemande n'est plus prêtée depuis 2007 aux autres pays de la zone euro en déficit extérieur, mais à des pays extérieurs comme la Russie.
L'absence de solidarité à défaut de fédéralisme
Depuis le Traité de Rome, en 1957,la concurrence est érigée en maître principe du fonctionnement économique de l'Europe économique. Aujourd'hui, c'est encore plus clair, puisque l’article 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) confère une compétence exclusive à l’Union européenne en matière d’établissement des règles de concurrence.
C'est précisément ce que l'on appelle la politique de concurrence de l'UE et qui part d'un principe vicié comme on peut hélas le lire sur le site de la Représentation française auprès de l'UE : "dans une économie de marché, la concurrence est la situation dans laquelle les acteurs peuvent librement échanger. Dans ce cadre, la politique de concurrence est un moyen d’accroître les richesses et d’atteindre un niveau de prix optimal". Pas un mot sur le bien-être de ceux qui créent ces richesses au sein des entreprises, des administrations ou ailleurs...
Bien entendu, nul n'est contre une certaine dose de concurrence afin d'éviter lorsque c'est nécessaire les monopoles et oligopoles, bref les pouvoirs de marché, mais faut-il pour autant créer les conditions de la guerre de tous contre tous ? Entre les deux extrêmes il y a de la marge... Et comme aujourd'hui ce sont même les États qui se font une concurrence à mort au sein de la zone euro en abaissant leur fiscalité, il viendra un moment où la course à l'échalote conduira à des baisses importantes de salaires, cachées sous le vocable de flexisécurité...
Il est devenu clair que la mise en place d'une monnaie unique a conduit à une spécialisation productive différente des pays et à la divergence de leur niveau de revenu, qui a pu durant un temps être cachée par la hausse de l'endettement.
[ Source : Eurostat ]
Dès lors, la zone euro se devrait d'être fédérale, afin d'assurer la redistribution de revenus des régions plus riches vers les régions plus pauvres à la faveur d'un budget fédéral autrement plus fourni que l'actuel budget communautaire qui ne pèse guère qu'un pourcent du PIB de l'UE. Emmanuel Macron avait certes proposé de créer un budget spécifique à la zone euro, mais la proposition fut rejetée avec véhémence par Angela Merkel et Jean-Claude Juncker. En définitive, le fédéralisme est un doux rêve et l'on assistera par conséquent à la hausse des inégalités de revenus entre les pays membres de la zone euro.
L'impossibilité de corriger les différentiels de compétitivité-coût au sein de la zone euro
Avant la mise en place de la monnaie unique, les problèmes de compétitivité-coût pouvaient se régler par un mécanisme de marché simple : le taux de change. Mais depuis, puisque par définition toute dévaluation monétaire est impossible, les gouvernements utilisent d'autres moyens :
* la dévaluation interne : également appelée ajustement nominal, elle consiste en une baisse de coûts salariaux et des prix dans le but d'améliorer la compétitivité d'un pays. Selon la théorie, comme les prix et les salaires baissent parallèlement, les salaires réels ne varient pas et la compétitivité s'améliore à l'export. Mais, ce remède de cheval conduit le plus souvent à l'effondrement de la demande des ménages en raison de la baisse des salaires réels. Cela débouche alors sur une compression de l'activité à court terme et donc sur une hausse du chômage.
* la dévaluation fiscale : il s'agit d'une substitution d'impôt censée produire les mêmes effets qu'une dévaluation monétaire. On pense notamment à la TVA sociale (qui n'a de social que le nom), qui consiste à basculer sur la TVA une partie des cotisations sociales patronales, de sorte que la TVA augmenterait et le coût du travail baisserait. Or, en pratique, lorsque la TVA augmente c'est le pouvoir d'achat des ménages qui est amputé, car les vases communicants ne fonctionnent jamais aussi parfaitement...
Bref, l’ajustement de la compétitivité-coût repose surtout sur les pays en difficulté, à qui l'on enfonce encore un peu plus la tête sous l'eau, ce qui rejaillit sous forme de conflits sociaux et d’extrémismes politiques...
En définitive, comme ces problèmes structurels ne peuvent être résolus faute de volonté politique, la croissance potentielle restera faible, les inégalités de revenus augmenteront entre les pays membres, la fuite des cerveaux se poursuivra dans les pays du sud de l'UE et les conflits sociaux seront en hausse. Il est alors à craindre une réaction violente du peuple, que l'on ne consulte d'ailleurs même plus sur les questions européennes de peur qu'il ne désavoue nos technocrates-gouvernants pétris de certitudes sur l'absence d'alternative (There is no alternative, TINA).
Adieu veaux, vaches, cochons, couvées disait La Fontaine...