C'est impressionnant combien cette année 2009 a fourmillé de prétendus bons plans pour devenir riche à la vitesse d'une comète ! Dans un article daté du 19 décembre, le quotidien Le Monde nous présente ainsi la dernière pépite en matière d'investissement mirobolant : une société ayant son siège à Londres et qui propose des placements avec des promesses de rendements... "maximums", "durables" et "garantis" (le site web de cette société est précis : "de 12 % à 23,5 % d'intérêts net mensuels en souscrivant l'un de nos packs finance (confiance- sérénité-performance) et plus de 50 % net avec notre pack spécial" (sic !).
Quand on pense que le livret A rapporte 1,25 % et qu'une assurance-vie, selon la formule retenue, tourne autour de 4 %, il y a de quoi attirer le chaland ! Malheureusement, les investisseurs oublient souvent le revers de la médaille : à haut niveau de rentabilité, haut niveau de risque... D'après les éléments relevés par l'AMF (qui est le gendarme de la Bourse en France), les placements de cette société sont effectués notamment sur le marché des changes, lieu de toutes les spéculations et de tous les risques ces dernières années. Mes étudiants ont d'ailleurs eu le droit cette année à un cours d'introduction à ce marché - également appelé FOREX - où s'échangent, en moyenne, 3000 à 4000 milliards de dollars chaque jour, essentiellement pour de la spéculation pure !
En effet, la diversité des positions qui peuvent être prises conjuguée à des effets de levier importants (pour 1 euros engagé, l'investisseur peut "jouer" des dizaines de fois plus d'euros...) ont rendu ce marché très attrayant pour les grandes banques et sociétés d'investissement, en quête de rentabilités élevées. Le pire est que l'on a ouvert aux particuliers la possibilité d'y "jouer", avec tous les risques que cela comporte pour des personnes n'ayant pas forcément de connaissances approfondies dans le domaine : avec un effet de levier important, une infime variation du cours peut vous faire perdre toute votre mise... Quand je pense à tous les investissements productifs qui pourraient être financées avec ces sommes, je ne peux que me désoler et dénoncer ce que l'économiste François Morin qualifiait de "nouveau mur de l'argent"...
Pour en revenir à cette société, l'AMF signale qu'elle n’a pas été autorisée à faire du démarchage ni agréée pour exercer l’activité de prestataire de services d’investissement en France. Ces informations ont, dès lors, été transmises au Parquet de Paris qui devra aussi connaître d'une plainte déposée par des clients de cette société, qui s'estiment victime d'une escroquerie. Rappelons que les motifs de cette plainte - escroquerie, publicité mensongère et recel - sont passibles de cinq ans de prison. On ne peut s'empêcher de penser à un schéma de Ponzi (type Madoff), surtout lorsqu'on lit sur le site web de la société (fautes d'orthographe incluses) que "dans le cas de parrainnage, l'apporteur d'affaire, doit se faire enregister comme client avec 100 euros d'apport minimum. Il se verra rétribuer une commission de 15% du capital versé par le nouveau client"...
Et pourtant, il se trouve toujours des personnes pour croire que l'on peut gagner de l'argent rapidement et sans risque ! Chaque affaire ne faisant qu'effacer de la mémoire collective l'arnaque précédente. Qui se souvient ainsi que, quelques jours avant cette nouvelle affaire, l'AMF attirait l’attention du public sur les activités d'une fondation qui démarchait par Internet des investisseurs résidant, notamment, en France pour leur proposer un placement qui leur rapporterait 10 % par an, à vie, en contrepartie du blocage définitif des capitaux investis ? Surréaliste, n'est-ce pas ? Il suffit pourtant de se rendre sur le site de l'AMF et de faire une recherche avec les mots clés "mise en garde", pour constater le nombre d'arnaques développées ces dernières années, et spécifiquement ces derniers mois ! Le gendarme de la Bourse rappelle régulièrement aux investisseurs "la nécessité de faire preuve de la plus grande prudence face à ces propositions d’investissement présentant des performances élevées faites, notamment, par le biais d’internet. Elle invite, en conséquence, le public à les examiner avec la plus grande circonspection". A bon entendeur, salut...
Au delà du simple fait divers, il y a dans ces escroqueries le signe d'une dérive de notre société. Celle-ci ne semble plus en mesure de faire la part entre la cupidité le fantasme de la richesse, et la réalité du travail productif. Les doctrines néolibérales ont, en effet, fait de l'individu l'alpha et l'oméga de la société, au point d'en oublier que celle-ci ne peut se résumer à une somme d'individualités. Dans ce contexte, un glissement de paradigme s'est opéré subrepticement : on ne vit plus pour être heureux, on vit pour s'enrichir. Ce changement est perceptible à tous les niveaux : cela va du "I want you to become rich " de Jean-Marie Messier à ses actionnaires, au célèbre et désormais passé aux oubliettes "travailler plus, pour gagner plus". Il faudrait rappeler aux tenants de ces idéologies, que cette recherche de la richesse n'est pas nouvelle et que, à chaque fois qu'elle a été érigée en programme de vie, elle a abouti à des inégalités toujours plus criantes... et donc à moins de bonheur !
Qui y a-t-il de plus attristant que d'entendre un retraité expliquer, dans une émission de télévision, qu'il a investi son argent dans un fonds véreux (que lui penser évidemment être honnête !) parce qu'il espérait de la sorte transformer son minimum vieillesse en maximum de richesses pour enfin être à l'abris du besoin ? Gageons que la crise ne va qu'aggraver cet état de fait en permettant à des sociétés véreuses de profiter d'un capitalisme qu'elles auront façonné à leur image !