Dans un précédent billet, j'avais expliqué pourquoi les négociations entre la Grèce et ses créanciers étaient depuis des mois dans l'impasse, ce qui rendait envisageable, et envisagé, que la Grèce quitte la zone euro. Puis le gouvernement grec en vint à refuser l'ultimatum posé par l'Eurogroupe, fin juin, et à organiser un référendum sur le plan des créanciers, le 5 juillet. J'avais alors rédigé une petite analyse sur ce référendum, que je concluais en affirmant que c'est bien la zone euro qui est arrivée au bord du précipice et pas seulement la Grèce !
Et bien aujourd'hui, je ne retire pas un mot de ma conclusion, car celle-ci s'avère encore plus vraie que jamais : la Grèce a capitulé devant l'Eurogroupe, mais désormais plus rien ne sera pareil au sein de la zone euro, car cet épisode a démontré que l'Euro n'était pas irréversible...
L'Eurogroupe et la BCE contre la démocratie !
15,3 milliards de liquidités en échange d’un engagement immédiat sur un certain nombre de mesures d'austérité, dont le seul effet eût été de plomber encore plus l'activité dans le pays si activité il reste ? Telle était la proposition-diktat avancée par l'Eurogroupe fin juin, qui achevait de démontrer que chez les technocrates, l'Euro ne peut se penser qu'en des termes financiers. Exit donc toutes velléités de changements politiques, sociaux et économiques.
C'est d'ailleurs la notion même de démocratie que l'Europe technocratique ne peut supporter, comme en témoigne cette saillie de Jean-Claude Juncker dans un entretien au Figaro le 29 janvier dernier : "dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités. [...] Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens". Bienvenue dans l'Union européenne pénitentiaire dont on ne s'échappe pas !
Les propositions inacceptables faites à la Grèce, qui dépassent largement la ligne rouge fixée par le gouvernement, expliquent pourquoi le Premier ministre grec n'avait dès lors plus d'autre choix que de redonner la parole au peuple. Et celui-ci s'est prononcé majoritairement contre les conditions exigées par les créanciers. Et c'est là que tout a hélas dérapé...
La capitulation
Ce non au référendum, alors même que le oui avait joui de tellement de relais dans les médias que l'on finissait par le donner vainqueur, a fait renaître quelques espoirs dans les coeurs de ceux qui imaginent encore possible une autre Union européenne.
[ Source : France TV info ]
On savait alors qu'il y aurait un avis de gros temps sur la zone euro, mais personne ne s'attendait visiblement à ce que, moins de 3 jours après le référendum qui lui a donné un mandat clair pour mettre un terme à l'austérité, Alexis Tsipras en vienne à négocier sa reddition avec l'Eurogroupe.
Reddition ? Non, capitulation ! En effet, le programme accepté le 13 juillet par le Premier ministre grec ressemble beaucoup à celui du mois de juin, mais en pire ! Quel était donc l'intérêt d'avoir entretenu pendant trois semaines un tel psychodrame en Europe pour en revenir finalement au même point ?
C'est que les représentants de la Troïka avaient très vite compris que Tsipras ne voulait pas réellement prendre le risque de sortir de l'euro, même si cela signifiait trahir son programme politique. C'est d'ailleurs ce qu'il a confirmé depuis en déclarant à la presse "j'assume la responsabilité pour un texte auquel je ne crois pas mais je le signe pour éviter tout désastre au pays" ! Dès lors, l'histoire était déjà écrite et il ne lui restait donc plus qu'à négocier sa capitulation, i.e. accepter toutes les conditions posées par l'Eurogroupe.
Dans le détail, en échange d'une nouvelle "aide" de 80 à 86 milliards d'euros, qui s'appuiera notamment sur le Mécanisme européen de stabilité (MES), la Grèce doit s'engager sur les points suivants :
* d'ici le 15 juillet, le gouvernement grec doit réformer et simplifier la TVA, réformer le système de retraite (= baisser les pensions de retraite ?), garantir l’indépendance de l’Elstat, l’organisme des statistiques grec ;
* d'ici le 22 juillet, le gouvernement grec devra réformer son code de procédure civile afin d'accélérer les procédures et d’en réduire les coûts, et transposer dans sa législation les nouvelles règles de renflouement des banques ;
* présenter un calendrier crédible pour les autres réformes exigées (système de retraite, réduction du coût de la fonction publique, privatisations, droit du travail, libéralisation financière, etc.)
* création d'un fonds chargé de lever 50 milliards d'euros (sic !) en privatisant les actifs grecs. Ce fonds sera sous contrôle des autorités européennes, ce qui revient à dire que la Grèce est de facto dépossédée de ses actifs et placée sous tutelle internationale ! Maigre consolation, Tsipras obtient que 12,5 milliards d'euros de ce fonds servent à soutenir l'investissement en Grèce ; le reste servira à restructurer les banques (25 milliards d'euros) et au service de la dette (12,5 milliards d'euros).
Voici le texte intégral de l'accord (il prend quelques instants à s'afficher ci-dessous), traduit en français par Politis :
La zone euro-technocratique
Les conditions de ce nouveau plan d'aide se veulent donc humiliantes et même punitives. Et encore, les négociations ne pourront être entamées qu'après l'aval de plusieurs parlements nationaux de l'UE, ce qui signifie que le nouveau plan ne prendra effet que d'ici quelques semaines. D'ici là, un crédit relais pourrait être accordé généreusement à la Grèce pour faire face à ses obligations financières du mois de juillet...
Quant à l'emploi des mots "aide" pour désigner en fait des prêts remboursables, "compromis" pour parler d'une déroute et "accord" pour évoquer une capitulation, cela me fait inévitablement penser à la novlangue d'Orwell... Bienvenue en Océania euro-technocratique ! Vous noterez du reste que le FMI fait son grand retour, ce qui prouve au demeurant que les Européens sont toujours incapables de résoudre leurs problèmes par eux-mêmes.
Il faut donc le dire sans ambages : l'Eurogroupe a réussi à faire un exemple pour tous ceux qui chercheraient à contester l'idéologie néolibérale qui préside dans la zone euro. Pire, cet accord de capitulation démontre que, par construction, l'Euro n'est viable que si l'austérité est généralisée au détriment des peuples. C'est d'ailleurs ce qu'avait compris le journal allemand Tageszeitung qui, dans sa une du 5 janvier dernier, avait rappelé les règles de fonctionnement de la zone euro :
[ Source : http://www.nachdenkseiten.de ]
Pour ceux qui ne comprennent pas l'allemand, le titre peut être traduit de la sorte : "L'état major de l'Europuissance annonce". Et parmi les règles énoncées, la 1 stipule que "la Grèce doit faire des économies", la 4 que "la démocratie, il faut pouvoir se la payer", la 5 que "le vote pour des partis non autorisés est strictement interdit" et pour se faire plaisir la 6 "les ordres de l'état-major doivent être suivis sans conditions". N'est-ce pas un magnifique résumé de l'accord-capitulation signé par la Grèce ?
Deux prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz et Paul Krugman, s'étaient déjà fendus de nombreux pamphlets contre l'austérité. Et là, ils récidivent, le premier déclarant dans cet entretien que "l'Allemagne a porté un coup sévère et ébranlé l’Europe", le second dans le New York Times que "les efforts demandés dépassent la sévérité, ils recèlent un esprit de vengeance, la destruction totale de la souveraineté nationale et effacent tout espoir de soulagement”.
Et maintenant ?
François Hollande, dont on sait maintenant qu'il a officié en coulisses pour qu'un accord soit trouvé (quitte pour cela à envoyer des énarques rédiger l'accord à la place des Grecs...), peut s'estimer heureux puisque pour lui le plus important était que la Grèce reste dans la zone euro.
Et cela même si pour la Grèce, rester dans la zone euro signifie ployer sous encore plus d'austérité et plonger l'économie dans une dépression sans fin, d'où sortiront immanquablement un jour des forces politiques tyranniques qui mèneront le pays à la ruine politique. Cette paix économique provisoire dans la zone euro, achetée à prix d'or, a donc toutes les caractéristiques de la paix carthaginoise !
De même, l'Allemagne a prouvé que son leadership européen n'était pas entamé.et que, in fine, c'est toujours sa position qui prévaut quand bien même celle-ci va à l'encontre du bon sens économique et politique. Car, lecteurs, n'oubliez pas que la Grèce reste insolvable et que ce ne sont pas les "reprofilages" de la dette publique, entendez par là prolongement de la maturité des dettes et baisse des taux, qui vont y changer quelque chose. Seule une annulation partielle de dettes serait à même de permettre éventuellement de remettre le pays à flot économiquement, comme vient de l'annoncer le FMI.
C'est du reste pour cela que Yanis Varoufakis a démissionné, contre toute attente, le lendemain de la victoire au référendum. Dans un entretien au magazine britannique New Statesman, il a ainsi révélé que sa position avait été mise en minorité au sein même du cabinet gouvernemental. Plus précisément, il préconisait d'émettre des créances-monnaies (IOU dans le jargon...) et même de prendre le contrôle de la Banque centrale de Grèce si cela s'avérait nécessaire, conformément à une disposition d'urgence prévue par la Constitution. Or, Alexis Tsipras semblait déjà s'être décidé à passer sous les fourches caudines de l'Eurogroupe...
C'est pourtant pure folie que de s'engager à dégager plusieurs années de suite un excédent budgétaire primaire lorsque le pays est en récession (dépression est le mot adéquat en économie...) ; c'est aussi pure folie que de chercher à augmenter la TVA dans un pays où le principal problème est l'assiette fiscale ; c'est pure folie que de vouloir encore baisser les dépenses publiques et les revenus alors que la demande est en berne...
En fin de compte, la grande illusion sur la soutenabilité de la dette publique se poursuit et c'est la grande saignée que les institutions européennes continuent à prescrire au malade ! Le résultat est déjà prévisible : effondrement de l'activité qui n'existe déjà quasiment plus, hausse du taux d'endettement public, nouvelles mesures d'austérité correctives pour tenir les objectifs de la Troïka, etc. Dans le etc. on peut inclure la révolte, la rage et la révolution.
Le pire dans tout cela, c'est que de nombreux Grecs, surtout les plus jeunes, ont cru que leur vote pouvait peser sur la destinée de leur pays. Les dirigeants politiques européens ne mesurent pas bien les conséquences qu'une telle amertume des jeunes va avoir sur le fonctionnement du pays les deux prochaines décennies. Car après ce référendum et la capitulation qui s'est ensuivie, c'est vers une grave crise politique que l'on se dirige, qui commence déjà au sein de Syriza.
Désormais le projet de monnaie unique a ainsi montré son vrai visage : l'union mais seulement dans la force, la paix mais seulement en accord avec les traités, la solidarité mais seulement pour la finance privée. Et comme la Grèce est endettée pour plusieurs décennies, je vous laisse imaginer ce qu'il en sera lorsqu'il faudra remettre l'ouvrage sur le métier...
Conclusion : la capitulation de Tsipras prouve que, par idéologie, la zone euro ne peut être réformée, même si cela serait profitable aux peuples. C'est à prendre ou à laisser répètent en coeur les faucons de l'austérité. Tout est dit, fermez le ban !