Un précédent billet sur la destruction des emplois intermédiaires fut l'occasion d'expliquer pourquoi je ne crois pas un instant à une baisse durable du taux de chômage dans la zone euro, malgré l'optimisme béat qui suivit la publication des derniers chiffres en France. À moins que baisse du chômage ne rime avec ubériseration du monde du travail, c'est-à-dire la transformation des salariés en autoentrepreneurs, mis en concurrence sur un marché coté en continu de la fourniture de service... Dans ce cas, le taux de chômage baissera avec certitude, mais est-ce vraiment le signe d'une amélioration de la situation sociale de la zone euro ?
Aujourd'hui, je vais me concentrer sur la politique monétaire et essayer de vous expliquer pourquoi celle-ci n'a pas satisfait les espoirs placés en elle...
La politique monétaire dans la zone euro
Commençons par deux graphiques, l'un présentant le taux d'inflation des pays de la zone euro en septembre 2015, l'autre l'évolution du taux d'inflation depuis le début de la crise :
[ Source : Eurostat ]
[ Source : Eurostat ]
Face à une situation d'inflation très faible, qui pourrait potentiellement déboucher sur une déflation, la BCE a pris des mesures fortes d'assouplissement de la politique monétaire dont j'avais parlé dans ce billet notamment. La plus médiatique fut l'annonce d'un quantitative easing de plus de 1 100 milliards d'euros, qui consiste à acheter des titres de dettes (ABS, covered bonds, dettes d'États et d'institutions européennes comme le FESF, le MES ou la BEI) sur le marché secondaire, entre mars 2015 et septembre 2016, pour un volume de 60 milliards d'euros par mois !
La politique monétaire est inefficace dans la zone euro
Or, malgré l'injection de tombereaux de liquidités dans l'économie et des taux d'intérêt historiquement bas, à court et long terme, la reprise de la zone euro est poussive si ce n'est fragile.
[ Source : Banque de France ]
[ Source : Banque de France ]
A bien y regarder, la faible croissance de la zone euro s'explique plus par une conjonction de facteurs favorables (baisse des prix du pétrole et dépréciation de l'euro due partiellement à la hausse du dollar) que par la politique monétaire. A preuve, on peut citer la faiblesse dramatique de l'investissement productif, qui pourtant aurait dû retrouver des couleurs avec cette politique monétaire expansionniste.
[ Source : Natixis ]
Pourquoi la politique monétaire semble inefficace ?
Plusieurs réponses peuvent être apportées à cette question :
* le canal de transmission de la politique monétaire par le crédit bancaire ne fonctionne plus
En période "normale", les Banques centrales atteignent leurs objectifs grâce à des politiques monétaires conventionnelles basées essentiellement sur l'utilisation des taux directeurs. Le principal taux directeur est le taux d’intérêt auquel les banques commerciales se refinancent auprès de la Banque centrale ; ainsi plus il est élevé plus les banques payent leurs ressources chères, et donc moins elles sont incitées à prêter.
Or, dans la zone euro, bien que le principal taux directeur soit déjà tangent à 0, le crédit ne redémarre que très peu. Cela tient aux taux d'endettement encore élevés des ménages et des entreprises de la zone euro, ainsi qu'aux bilans dégradés de certaines banques qui font face à la hausse des créances douteuses et litigieuses.
* les liquidités créées par la BCE servent surtout à spéculer
Pour le dire autrement, l'argent injecté dans l'économie à la faveur de l'assouplissement quantitatif, a surtout inondé planète finance et très peu planète économie réelle. De plus, l'inflation reste désespérément faible et les taux d'intérêt réels ne peuvent devenir suffisamment faibles (négatifs) pour soutenir la demande.
* les effets de richesse sont faibles dans la zone euro
Rappelons qu'on appelle effets de richesse les hausses de la consommation et des achats immobiliers liées à la très forte augmentation des cours boursiers et des prix de l'immobilier. Or, comme ce sont les plus riches qui détiennent du patrimoine susceptible de voir sa valorisation augmenter, il n'y a pas grand-chose à attendre du côté de la consommation puisque leur propension marginale à dépenser est faible.
En définitive, la politique monétaire s'avère inefficace et pourtant on parle de redoubler d'efforts dans cette voie, notamment en prolongeant le quantitative easing après 2016. Et si on pensait un peu à soutenir la demande en augmentant les salaires pour les moins riches ? Cela permettrait de relancer bien plus efficacement l'économie réelle, puisque leur propension marginale à consommer est la plus élevée et que cela déboucherait donc sur une reprise sérieuse de la consommation. Mais ça, c'est de la politique budgétaire et les institutions européennes n'en veulent plus au nom de l'équilibre budgétaire...
N.B : l'image de ce billet provient de cet article de la Tribune.