La soirée d'hier à Freyming-Merlebach sur le revenu universel fut très intéressante et j'ai ainsi répondu à d'innombrables questions durant 1h30 de débat. Mais aujourd'hui, après mon billet sur la faible croissance française et un autre sur la crise italienne, nous allons traverser la Manche pour nous rendre au Royaume-Uni où un accord semble avoir été trouvé sur le Brexit. Cependant, contrairement aux apparences, le plus difficile est encore à venir tant sur le plan politique qu'économique...
Rappels sur le Brexit
Le 23 juin 2016 fut organisé un référendum sur la sortie (Brexit) du Royaume-Uni de l'Union européenne auquel participèrent les Britanniques résidant au Royaume-Uni, mais aussi fort opportunément les Irlandais et entre autres les citoyens du Commonwealth résidant au Royaume-Uni ou à Gibraltar. Quelques images pour se remémorer l'essentiel sur le Brexit :
David Cameron annonça alors sa démission et ce fut Theresa May qui entama la procédure de sortie de l'UE, conformément à l'article 50 TUE, suivant un calendrier précis :
[ Source : La Croix ]
Un divorce en 585 pages hors annexes
Deux ans après le vote sur le Brexit, le gouvernement du Royaume-Uni et les représentants de l'UE se sont entendus dans la souffrance sur un texte de divorce (certains disent accord...) comportant 585 pages, hors annexes ! Et comme dans tout divorce où le consentement mutuel penche plus d'un côté que de l'autre, le Premier ministre Theresa May a été contraint d'avaler des couleuvres, qui lui ont valu de nombreuses démissions au sein de son gouvernement et quelques mauvaises séances au Parlement.
Les options furent les suivantes :
[ Source : Le Soir ]
Finalement, le texte présenté jeudi 15 novembre démontre clairement que le rapport de force n'a pas été favorable au Royaume-Uni, ce dont on pouvait se douter puisqu'il s'agissait de réaliser un plaquage à 27 contre 1 pour s'assurer de refroidir toute velléité future d'évasion d'un autre pays. Dès lors, rien d'étonnant à ce qu'en fait d'un Brexit dur, on soit arrivé à une sorte d'accord où le Royaume-Uni s'en va mais sur la pointe des pieds, sans doute pour ne pas déranger... Bref, dans ces conditions, le compromis a tôt fait d'être vu comme une compromission par les plus souverainistes, d'autant que la Cour de justice de l'UE (CJUE) conservera son autorité sur le pays jusqu'à la fin de la période de transition.
Une période de transition
Parmi les principaux points à retenir de cet accord, on notera une période de transition entre la date officielle de sortie de l'UE, le 29 mars 2019, et le 31 décembre 2020, durant laquelle le Royaume-Uni continuera à accéder comme avant au marché unique et restera membre de l'union douanière, ceci afin de permettre aux systèmes politique et économique de prendre doucement le large.
Cela implique de facto le respect des normes et valeurs édictées par Bruxelles au moins jusqu'en 2020 - cette période pouvant être prolongée par accord commun -, ce que les souverainistes britanniques ont évidemment beaucoup de mal à digérer, d'autant qu'ils n'auront plus le droit de participer aux instances où les décisions sont prises, mais devront s'acquitter d'un solde de tout compte compris entre 40 et 45 milliards d'euros au titre des engagements du budget pluriannuel 2014-2020.
Autrement dit, le Royaume-Uni n'aura pas le droit de négocier ses propres accords commerciaux durant cette période, ce qui pèsera très fortement sur le futur après 2020. Le pire des mondes en somme, sauf peut-être pour les 3,2 millions d'Européens qui vivent déjà au Royaume-Uni et 1,2 million de Britanniques qui vivent sur le continent, puisqu'ils pourront continuer leur existence sans tracas administratifs particuliers. Après le Brexit, en revanche, les continentaux qui voudront s'installer au Royaume-Uni seront considérés comme des immigrants quelconques.
La délicate frontière irlandaise
Le poids de l'histoire, que les néolibéraux cherchent à occulter et qui revient alors systématiquement en pleine figure, fait que la frontière irlandaise demeure un point d’achoppement comme le montre la carte ci-dessous :
[ Source : http://geopolis.francetvinfo.fr ]
Jusqu'à présent, bien que la République d'Irlande ne soit pas dans le Royaume-Uni, il n'y avait guère de problème à la frontière avec l'Irlande du Nord, car les deux pays faisaient partie de l'union douanière européenne. Mais avec le Brexit, la frontière sera à nouveau réelle, ce qui fait craindre le retour des violences liées à la partition de l'Irlande, que les accords de paix du Vendredi Saint (1998) avaient réussi à régler. De plus, les échanges entre le Nord et le Sud en subiraient forcément les conséquences :
[ Source : France Culture ]
L'accord prévoit par conséquent d'éviter une frontière dure en Irlande du Nord, ce qui implique que cette dernière continuera à appliquer une partie des règles du marché unique (TVA, aides d'État...) ; bref, la frontière restera ouverte. Cette solution temporaire a pris le doux nom de filet de sécurité (backstop en anglais) et maintient désormais la totalité du Royaume-Uni dans l'union douanière jusqu'en 2020 au moins.
L'avenir ?
Il ne faisait aucun doute pour moi qu'un accord serait trouvé. Ainsi, les déclarations alarmistes des uns et des autres durant les derniers mois n'étaient que simple dramatisation politique pour tenter d'arracher le meilleur compromis sans perdre la face. Theresa May, en sa qualité de chef de gouvernement, n'a certes pas obtenu le meilleur accord, c'est un euphémisme, mais a définitivement fermé la porte à un nouveau référendum :
À lire les réactions dans la presse, certains semblent depuis désirer que la némésis frappe au plus vite le Royaume-Uni pécheur. D'où, une forme de réjouissance malsaine à voir dans la chute de la Livre Sterling la première étape d'une descente aux enfers :
[ Source : Boursorama ]
Certes, à ce stade l'accord doit encore être entériné par la Chambre des Communes, ce qui est loin d'être une sinécure tant les uns et les autres ne se reconnaissent pas dans cet accord et en veulent à Theresa May de l'avoir endossé. Dans les milieux d'affaires, cependant, d'aucuns redoutent le renversement du gouvernement et une victoire du leader du parti travailliste Jeremy Corbyn, très à gauche sur l'échiquier politique. Ils verraient donc d'un bon œil que l'accord sur le Brexit soit accepté en l'état et que Theresa May se maintienne au pouvoir, avec peut-être l'espoir secret de le voir évoluer plus favorablement à leurs intérêts d’ici à 2020...
Quant à la City de Londres, elle devrait perdre son passeport financier européen, qui lui permettait d'exercer ses activités hautement lucratives dans toute l'UE, d'où quelques sueurs froides chez les financiers. On s'achemine visiblement vers un statut d'équivalence, bien plus limitatif, mais évolutif selon les avocats d'affaires. Mais ne nous inquiétons surtout pas pour la finance, qui ne saurait abdiquer son pouvoir aussi vite !
En définitive, je ne peux m’empêcher de voir dans le Brexit une lame de fond, qui est en train d'emporter l'édifice technocratique par le fond. Ce n'est que le résultat d'années de construction européenne sans les peuples, voire à leur détriment. Mais à quelques mois des élections européennes, le mea maxima culpa politique semble inenvisageable. D'où probablement la multiplication des conférences, débats et initiatives en tous genres pour expliquer les bienfaits de l'Europe économique, alors même que les préoccupations quotidiennes des citoyens sont occultées. Serait-ce un moyen de se rassurer et d'éviter de voir la réalité en face ?