Au moment où les parlementaires français étudient le budget 2019, c'est un autre pays qui croise le fer avec Bruxelles au sujet de ses finances publiques : l'Italie. La commission européenne vient en effet de rappeler à l’ordre le gouvernement italien et lui laisse trois semaines pour revoir sa copie sous peine de sanctions. Décision historique, qui risque fort d'avoir des conséquences à grande échelle...
La situation économique en Italie
Malgré tous ses efforts l’Italie n'arrive toujours pas à renouer avec une croissance forte, si tant est qu'un tel objectif soit viable économiquement, socialement et écologiquement (j’ai marqué d’un trait noir la ligne du zéro) :
[ Source : OCDE ]
Il est vrai que la productivité par tête stagne et que la capacité de production de l'industrie italienne est en net recul, ce qui ne laisse rien présager de bon pour la croissance potentielle.
Quant à la bataille de l'emploi est elle aussi encore loin d'être gagnée, malgré (ou à cause ?) des mesures de libéralisation du marché de l'emploi sous le gouvernement de Matteo Renzi :
[ Source : OCDE ]
Pour l'instant, le déficit public permet encore de stabiliser le taux d’endettement public :
[ Source : Natixis ]
Néanmoins, au vu du niveau stratosphérique atteint par la dette publique (2 300 milliards d'euros soit plus de 130 % du PIB !), il vaudrait mieux qu'elle n'augmente plus d'autant qu'elle devra bien un jour ou l'autre être restructurée à l'instar des autres dettes publiques européennes :
[ Source : OCDE ]
En résumé, l'économie italienne est en toute petite forme et les problèmes sont assez bien identifiés (liste non exhaustive) :
* stagnation de la productivité du travail depuis deux décennies, qui pèse sur la croissance potentielle et l'investissement ;
* faiblesse des compétences de la population active et taux de chômage toujours très élevé notamment chez les jeunes ;
* grandes inégalités régionales (Nord-Sud notamment) et niveau très élevé de la part de la population exposée à des risques de pauvreté ou d'exclusion sociale ;
* créances douteuses nombreuses dans les bilans des banques.
Il n'y a guère que la balance extérieure qui soit positive, ce qui rassure les mercantilistes de tous bords, qui ne voient pas que le pays, par ailleurs, perd massivement des parts de marché à l'exportation !
[ Source : OCDE ]
Que reproche Bruxelles à l'Italie ?
Dans ces conditions économiques dégradées, peut-on reprocher aux électeurs italiens d'avoir mis au pouvoir une coalition surprenante formée du Mouvement 5 étoiles (M5S) mené par Luigi Di Maio et de la Ligue de Matteo Salvini ? Qu'il suffise de rappeler le lourd tribut payé par les ménages depuis la crise, ce qui leur laisse un goût amer sur le passage à l'euro en 1999 (même s'il n'est pas seul responsable) et démontre par l'absurde que l'économie est toujours politique :
[ Source : Natixis ]
Est-ce donc le fait d'avoir voté contre le système technocratique de Bruxelles que la Commission européenne sanctionne aujourd'hui, comme pourraient le laisser penser les déclarations à peine voilées qui suivirent les résultats des élections générales du 4 mars dernier ?
Officiellement, il s'agit de faire respecter le pacte de stabilité européen, visiblement en faisant un exemple avec le gouvernement Conte, alors même que durant des années les grandes capitales se sont assises dessus pour le dire poliment... Il est ainsi reproché à l'Italie d'être sortie des clous de sa trajectoire budgétaire de réduction du déficit public structurel de 0,6 % par an, puisque le gouvernement annonce 2,4 % de déficit public en 2019 contre 0,8 % prévu par le précédent gouvernement.
[ Source : France Soir ]
Baisses massives d’impôts sur les ménages (pauvres et classes moyennes au travers de la TVA) et les PME, abaissement de l’âge de départ à la retraite et instauration d’un revenu universel, etc. Bref, c'est un véritable programme anti-austérité que défend le gouvernement italien. Impensable à Bruxelles : lâchez donc les chiens sur l'Italie... Comme l'aurait dit Thatcher avant de perdre la tête, "there is no alternative". Voilà exactement le fond du problème avec la gouvernance de l'Union européenne : elle privilégie une seule et unique idéologie libérale, ravalant les questions économiques complexes à de simples problèmes techniques auxquels la Science économique préconiserait un unique remède optimal valable en tous lieux et toutes circonstances.
En l'état, le gouvernement italien dispose de trois semaines pour revoir sa copie, sous peine de voir à terme la Commission européenne lancer à son égard une procédure pour déficits excessifs. Vous savez, la fameuse procédure qui n'a jamais empêché le gouvernement français de faire du déficit... On évoque même la possibilité d'une amende pouvant aller jusqu'à 0,5 % du PIB si le gouvernement italien s'entête, à mon sens aussi probable que la fin de l'évasion fiscale au Luxembourg.
Mais sait-on assez que dans les couloirs de la Commission européenne, les technocrates font désormais confiance aux marchés financiers pour discipliner le vilain canard italien ? Autrement dit, certains amis européens de l'Italie ne verraient pas forcément d'un mauvais œil que les intérêts sur la dette publique du pays augmentent suffisamment pour faire plier le gouvernement, à l'image de ce qui s'était passé au Portugal, en Irlande et bien entendu en Grèce.
[ Source : Bloomberg ]
C'est l'expression même de l'Europe des règles tant voulue par Angela Merkel en lieu et place de l'Europe de la solidarité, que l'on nous avait pourtant tellement vendue au début des années 1990. Encore un peu de cette politique et les prochaines élections européennes en 2019 verront les extrémistes de toutes obédiences s'installer durablement au Parlement européen !
En attendant, le gouvernement italien a choisi de faire front, d'autant qu'au vu de la taille de l'économie italienne (15 % du PIB de la zone euro en 2016), il ne sera pas possible de reproduire la mise en coupe réglée pratiquée sur la Grèce. Alors tandis que certains commencent déjà à évoquer un recul de la croissance couplé à une hausse des taux d'intérêt, bref une crise de solvabilité, d'autres agitent le chiffon rouge d'une sortie de la zone euro, qui ne manque pas d'affoler encore un peu plus les investisseurs et les ménages.
Tout cela s'achèvera-t-il sur un écrasement comme dans la vidéo ci-dessous ?
P.S. : l'image de ce billet provient de cet article de Courrier International