Les sombres prévisions de croissance publiées par la Commission européenne font également état d'une hausse impressionnante de la dette publique dans presque tous les pays membres de la zone euro. Se posent alors des questions sur la soutenabilité de la dette publique, de sa monétisation et éventuellement de son annulation... Tout un programme !
Qu'est-ce que la dette publique ?
Dans ce genre de débat technique, qui glisse très vite dans le domaine politique, il vaut mieux poser clairement les termes, car comme l'aurait écrit Albert Camus, "mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde"... La dette publique correspond à l’ensemble des emprunts publics, c’est-à-dire contractés par des administrations publiques : l'État, la Sécurité sociale, les organismes divers d’administration centrale (ODAC) et les collectivités locales. Comme pour le déficit public, la dette publique est souvent présentée par commodité en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), ce que l’on appelle le ratio d’endettement public ou taux d’endettement public.
Notons que la définition de la dette publique retenue par les institutions européennes est quelque peu différente de celle présentée ci-dessus, dans la mesure où elle ne comprend pas l'ensemble des passifs financiers, est calculée brute (les actifs financiers des administrations publiques ne sont pas soustraits pas aux éléments de passifs), est consolidée (les éléments de dette d'une administration détenus par une autre administration sont exclus) et est évaluée en valeur nominale, c'est-à-dire à la valeur de remboursement du principal. Elle est qualifiée de dette publique au sens de Maastricht ou dette publique notifiée.
Le constat sur la dette publique
Voici le taux d'endettement public au deuxième trimestre 2020 :
[ Source : Eurostat ]
Selon Eurostat, par rapport au deuxième trimestre 2019, tous les États membres à l’exception de l’Irlande ont enregistré une hausse de leur ratio de dette publique rapporté au PIB. Les hausses les plus fortes ont été observées en France (+14,9 points), en Belgique(+12,9 points), en Italie (+11,9 points), en Espagne (+11,7 points), en Slovaquie (+11,1 points), en Slovénie (+10,8 points) et en Autriche (+10,7 points).
Les prévisions de la Commission européenne
Quant aux prévisions concernant la dette publique, elles font état de chiffres astronomiques :
[ Source : Commission européenne ]
La dynamique de la dette publique
Fondamentalement, la dynamique de la dette publique dépend de son niveau et du différentiel (taux d'intérêt réel - taux de croissance). Et c'est peu dire que les dernières années, les États ont pu profiter de la politique ultra-expansionniste menée par la BCE :
[ Source : Natixis ]
Celle-ci s'est traduite par une baisse des taux d'intérêt à long terme sur la dette publique et en tout état de cause une croissance (même très faible) supérieure aux taux d'intérêt, rendant supportables même des niveaux d'endettements publics très élevés comme en Italie.
Il n’existe a priori aucun seuil d’endettement maximum, la soutenabilité de la dette publique dépendant autant de facteurs économico-financiers (taux d’intérêt, taux de croissance, dépendance aux capitaux étrangers…) que de facteurs plus difficiles à appréhender (stabilité gouvernementale, effet d’annonce…). Ce n'est cependant pas une raison pour faire n'importe quoi, d'autant que l'endettement public s'accompagne d'effets redistributifs trop souvent négligés dans le débat ou résumés de manière simpliste à des transferts entre générations.
La monétisation de la dette publique
Contrairement à une idée reçue, ce n'est pas le stock de la dette publique que les États cherchent à baisser pour éviter un debt overhang (faible croissance résultant d'un endettement public trop élevé), mais le taux d'endettement public, c'est-à-dire le stock de dettes publiques rapporté au PIB. Pour ce faire, il existe trois possibilités principales :
* annuler la dette publique. Dans le jargon, on préfère parler de défaut sur la dette publique, certainement parce que cela rassure un peu. Toujours est-il que c'est la méthode non coopérative par excellence, mais qui est aussi la plus usitée dans l'histoire.
* faire en sorte que les taux d’intérêt à long terme soient inférieurs à la croissance nominale. En effet, dans ce cas, l’écart entre croissance et taux d’intérêt réduit le taux d’endettement chaque année, et le pays peut donc se désendetter à moindres frais. Hélas, les gouvernements n'ont aucune emprise sur les taux d'intérêt et les prévisions de croissance sont en berne.
* espérer un hypothétique retour de l'inflation.
Il reste alors la monétisation de la dette publique, qui consiste pour la Banque centrale à créer de la monnaie pour ensuite acheter les titres de dette publique. Nous avons vu plus haut que la Banque centrale européenne (BCE) achète des titres de dette publique dans le cadre du Quantitative easing, mais uniquement ceux déjà émis par les États membres de l’UE. Elle échappe ainsi à la critique d'une monétisation directe de la dette publique (interdite par les Traités européens), mais l'esprit est le même.
En effet, si la BCE crée de la monnaie pour acheter des titres de dettes publiques déjà émis sur le marché et dont l’objectif est de financer la lutte contre le COVID-19, l’État en question versera donc les intérêts de sa dette à la BCE. Or, le bénéfice net de la BCE est distribué aux banques centrales nationales, qui les transfèrent aux gouvernements des différents pays. Ce faisant, tout se passe comme si l’État récupérait en fin de compte les intérêts versés initialement. Dès lors, si la BCE s’engage à ne pas réduire la taille de son bilan et renouvelle l’achat de titres à l’échéance, alors les États n’auront pas à rembourser ce surcroît de dettes publiques, ce qui est bien une monétisation de la dette publique...
Et face à cette hausse formidable de la dette publique, il est peu probable d'échapper à une annulation (même partielle) des titres de dette publique détenus par les Banques centrales, d'autant qu'avant même la pandémie, la BCE détenait 20 % des dettes publiques de la zone euro, proportion vouée à augmenter après l’annonce par Christine Lagarde d’un programme d’achat urgence pandémique (PEPP).
P.S. L'image de ce billet est une capture d'écran d'une petite vidéo réalisée par The Economist.