Avant la guerre en Ukraine, un journaliste me demandait si le dollar pouvait perdre sa place prédominante au profit de l'euro. Cela m'a semblé un bon point de départ pour rappeler quelques faits (déjà souvent abordés sur mon blog) sur le "privilège exorbitant du dollar", qui est à la fois économique et politique.
Le dollar comme monnaie internationale
Malgré l'estocade portée par Richard Nixon au système monétaire international issu de Bretton Woods en 1971, le dollar a conservé sa place dominante dans les opérations commerciales et financières mondiales :
[ Source : IFRI ]
Et même si la part des réserves de change en devises libellées en dollar est en baisse depuis les années 1970, où elle atteignait 80 %, le dollar demeure qu'on le veuille ou non la principale monnaie de réserve :
Le privilège exorbitant du dollar
Alors ministre de l'Économie et des Finances, Valéry Giscard d'Estaing déplorait en 1964 le "pouvoir exorbitant du dollar", qui permettait - et permet toujours ! - aux États-Unis de s'endetter à des niveaux stratosphériques sans risquer (jusque-là) de crise. Le général de Gaulle ne disait pas autre chose en 1965, même si l'idée de revenir à une forme d'étalon-or n'était pas une bonne idée comme je l'ai expliqué dans ce billet :
Barry Eichengreen, professeur d'économie et de science politique à l'université Berkeley, a repris cette question dans un livre passionnant intitulé Un privilège exorbitant. Il y explique outre ce que je viens de rappeler plus haut, que le dollar permet in fine aux ménages américains de vivre structurellement au-dessus de leurs moyens, parce que les investisseurs du monde entier sont friands de titres de dettes libellés en dollars !
En particulier, les États-Unis fournissent au reste du Monde une dette sans risque, sous forme de Treasury Bond (bons du Trésor) :
[ Source : Natixis ]
En définitive, d’aucuns affirment qu'au vu des conditions actuelles, le dollar devrait perdre son statut de monnaie de réserve internationale conformément au célèbre dilemme de Triffin : les États-Unis abusent de ce rôle du dollar pour s'endetter excessivement avec très peu d'épargne, ce qui dégrade à terme la qualité de la monnaie et conduit à la perte de son hégémonie.
Or, depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, il ne fait plus aucun doute que les pays membres de l'OTAN cherchent l'appui des États-Unis (le "parapluie américain") et non celui de l'UE, quand bien même Emmanuel Macron s'acharne-t-il à apparaître comme le sauveur européen. De facto, cela assure aux États-Unis une suprématie politico-économique, qu'il devient difficile de contester en ces temps troubles... Ainsi, le dollar demeurera, encore pour un moment, la devise clé des échanges internationaux, surtout depuis que les échanges bancaires via SWIFT ont été passablement secoués...
Quant à l'euro, pour qu'il puisse un jour subvertir la domination du dollar, encore faudrait-il qu'il existe une dette publique unique pour l'ensemble de la zone euro. Une proposition complexe, mais astucieuse, vient notamment d'être faite par Massimo Amato dans une tribune du Monde.
Certes, les cryptomonnaies du type Bitcoin, Ethereum sont en embuscade pour détrôner le dollar, mais les questions qu'elles soulèvent sont encore suffisamment nombreuses et complexes (volatilité, opacité, sécurité...) pour en limiter l'adoption à très grande échelle. En revanche, les monnaies numériques de Banques centrales ne manqueront pas de faire parler d'elles dans la course à la suprématie monétaire mondiale, la Chine ayant pris une bonne longueur d'avance avec son e-yuan. J'aurai d'ailleurs l'occasion d'y revenir dans un prochain billet.