Ces derniers mois, il a beaucoup été question de hausse des prix des matières premières, de stagflation et de baisse du pouvoir d'achat. Mais les tensions sur l'approvisionnement n'ont guère été évoquées que sur le court terme en lien avec la guerre en Ukraine, négligeant de la sorte les problématiques structurelles de souveraineté... Dans ce billet, nous allons donc faire un rapide tour d'horizon de l'approvisionnement de l'UE en matières premières (énergies, céréales et métaux).
L’approvisionnement en métaux
Les métaux et minerais (cuivre, lithium...) constituent une matière première indispensable à l'industrie européenne. Ils deviendront déterminants pour la transition écologique, puisque celle-ci s'accompagnera d'un besoin accru de silicium pour les panneaux photovoltaïques, de terres rares pour les véhicules électriques et d'un panel d'autres métaux (Lithium, nickel, cobalt...) pour les batteries du futur.
Hélas, comme le rappelle l'Agence internationale de l'énergie (IEA), durant la décennie 2030-2040, l'offre disponible au sein de l'UE ne devrait guère en mesure de répondre à cette forte demande. D'où une intensification des importations, qui créera des tensions sur les prix (déjà visible à court terme pour le nickel avec la guerre en Ukraine), des luttes commerciales et creusera le déficit de la balance commerciale. Cela ne manquera pas de soulever aussi des questions environnementales et sociales, dans la mesure où ces matières premières proviennent essentiellement de pays plus ou moins regardant sur les conditions d'extraction.
Il reste alors les filières de recyclage, dont les gouvernements attendent beaucoup, peut-être un peu trop au vu des faibles investissements actuels et des prix pratiqués.
L'approvisionnement en énergie
J'avais déjà un peu abordé le sujet dans un précédent article, dont il faut retenir la suprématie de l'OPEP du côté de l'offre :
Les sanctions internationales contre la Russie, qui est dans le peloton de tête des pays producteurs de pétrole, ne peuvent qu'ajouter de l'incertitude sur la production mondiale et son prix. En ce qui concerne le gaz, la Russie possède la plus grande part des réserves mondiales (environ 20 %) et occupe le deuxième rang mondial dans la production :
[ Source : BP ]
L’UE cherche depuis quelques mois à diversifier ses approvisionnements, mais les choses sont ce qu'elles sont : la dépendance au gaz russe est très importante, notamment pour les PECO ! Et maintenant que l'Algérie est en froid avec l'Espagne sur l'éternelle question du Sahara occidental, le soutien de l'UE à Madrid risque de compliquer quelque peu les négociations. Quant au gaz naturel liquéfié (GNL), il faut des années pour mettre en œuvre des infrastructures adéquates et signer de gros contrats. Or, comble de malchance, l’incendie d'un terminal aux États-Unis pèse lourdement sur l’approvisionnement et les prix du GNL aux États-Unis... Rien d'étonnant dans ces conditions que les énergéticiens se tournent vers le gaz de schiste, au péril de porter l'estocade aux ambitions gouvernementales de transformation énergétique.
Et la récente tribune commune de la directrice générale d’Engie, du PDG d’EDF et du PDG de TotalEnergies en dit long sur la crise qui se prépare mais que les cigales ne veulent pas voir durant les vacances. Face aux baisses de livraison de gaz russe, aux hausses de prix, aux difficultés réelles à diversifier les approvisionnements, aux tensions sur le système électrique et au niveau faible des stocks de gaz à l'échelle européenne (et j'en passe...), les trois patrons appellent "à une prise de conscience et à une action collective et individuelle pour que chacun d’entre nous – chaque consommateur, chaque entreprise – change ses comportements et limite immédiatement ses consommations énergétiques, électriques, gazières et de produits pétroliers".
L'approvisionnement en céréales
Là aussi, la guerre en Ukraine a servi de révélateur. Ainsi, pour 2022-2023, l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) prévoit une contraction à l'échelle mondiale de la production, de l’utilisation, des stocks et du commerce des céréales : "D’après les premières prévisions de la FAO concernant la production mondiale de céréales en 2022 et de son utilisation en 2022-2023, la production céréalière ne serait pas suffisante pour satisfaire les besoins d’utilisation escomptés [...]". On peut donc redouter des crises et famines dans certaines régions du monde, qui résulteront de ces pénuries...
En ce qui concerne l'UE, l’Ukraine et la Russie assurent plus d'un tiers des importations. Et les sanctions internationales contre la Russie et les blocages de ports ukrainiens par les Russes compliquent sérieusement les transports internationaux de blé.
Comme on peut le lire sur le site de la Commission européenne, l'UE est l'un des plus grands producteurs et négociants de céréales au monde, et exporte chaque année environ 20 % de sa production de blé et importe de grandes quantités d’oléagineux, d’aliments pour animaux et de riz. Dans le détail, la production céréalière de l'UE se compose comme suit :
[ Source : Passion Céréales ]
Cela soulève bien entendu la question de la souveraineté alimentaire, qui curieusement est toujours mise sous le boisseau, comme si l'immense production céréalière de l'UE assurait nécessairement un égal accès de chaque Européen à ces matières premières et aux produits transformés en découlant. Et avec le changement climatique, il n'est pas certain qu'à l'horizon 2030-2040 la production de céréales au sein de l'UE soit toujours à ce niveau. Ce d'autant plus que nous risquons d'assister à une reconfiguration/partition de l'UE lorsque la guerre en Ukraine prendra fin.
En définitive, l’approvisionnement en matières premières de l'UE soulève de redoutables questions de souveraineté... et de survie !
P.S. L'image de ce billet provient de cet article du site African Manager.