S'il est un sujet susceptible de mobiliser toutes les rédactions de France et de Navarre, c'est bien le prix des carburants. Outre que l'omniprésence de ce débat rappelle de manière flagrante notre dépendance au pétrole (d'où une balance commerciale énergétique très déficitaire), il s'accompagne aussi trop souvent d'un populisme sans borne. Il m'a donc semblé utile de donner quelques éléments de réflexion sur cette problématique, qui au fond nous touche tous.
Évolution des prix des carburants
Le graphique ci-dessous en dit plus long sur l'évolution des prix des carburants que cent mots :
Comparaisons européennes
Et qu'en est-il chez nos voisins européens ? La réponse sur le graphique ci-dessous :
[ Source : https://fr.globalpetrolprices.com/gasoline_prices/Europe ]
Mais avant de se demander s'il est possible de faire baisser ces prix, encore faut-il comprendre comment ils se forment...
De quoi dépendent les prix des carburants ?
Là encore, résumons sur la figure suivante les principaux facteurs qui influent sur le prix à la pompe :
Or, c'est peu dire que le cours du baril n'est pas bien orienté, ce qui constitue du reste la première explication à la hausse actuelle des carburants. L'on note également une hausse de la marge de raffinage, qui correspond en gros à l'écart entre le prix des produits raffinés et le cours du pétrole brut. Quant à la marge brute de distribution, qui sert aux distributeurs à couvrir certains coûts (transport, stockage…) et se calcule comme la différence entre le prix hors taxe des carburants à la pompe et les prix sortis des raffineries, elle est décriée notamment par l'association de consommateurs CLCV qui note un tassement, mais pas encore un retour à "la fourchette normale".
Reste donc les taxes, très lourdes sur les carburants, qui servent autant à garnir le budget de l'État, qu'à orienter les choix de carburants des consommateurs (pensez à l'évolution des taxes sur le diesel considéré comme plus polluant) et même à modifier les comportements de ces derniers (la crise des gilets jaunes a commencé avec la taxation du carbone) :
[ Source : Sud Ouest ]
Au reste, contrairement à une idée reçue, ce n'est guère mieux chez nos voisins :
[ Source : https://ec.europa.eu/energy/maps/maps_weekly_oil_bulletin/latest_taxation_oil_prices.pdf ]
Que faire ?
Cette question léninienne est redoutable, car, à court terme, il n'y a pas grand-chose d'intelligent et peu coûteux à faire... À part peut-être taxer les différents maillons de la chaîne de valeur du pétrole (comme l'ont fait d'autres pays et comme le fera probablement à le faire le gouvernement français pour boucler son budget 2024), lorsque les entreprises du secteur font des profits exceptionnels liés à l'augmentation du baril. Or, actuellement, ce dernier est reparti à la hausse sous la pression d'une réduction de l'offre orchestrée par l'Arabie Saoudite, la Russie et leurs partenaires de l'OPEP+.
Autrement dit, pour l'essentiel, le prix des carburants dépend de paramètres sur lesquels l'État n'a que peu d'emprise. Cela n'empêche pas la multiplication des déclarations populistes, les uns accusant l'État de s'enrichir sur le dos du consommateur quand les prix du pétrole augmentent (partiellement faux puisque la TICPE étant perçue sur les volumes, une forte hausse du prix de l'essence réduira la consommation de carburants, donc les recettes de TICPE), les autres appelant au boycott des stations-service (comment réussir cela dans un monde dépendant au pétrole ?).
Pis, il n'est même pas certain que des baisses de taxes profiteraient exclusivement aux ménages, toute la chaîne en amont pouvant assez facilement capter une partie de cette ristourne fiscale. Une telle mesure serait donc susceptible de faire grossir les profits des intermédiaires sans baisse importante du prix TTC à la pompe, le tout avec un coût faramineux pour l'État. L'échec de la TIPP flottante mise en place par le gouvernement de Lionel Jospin en 2000 est là pour nous le rappeler... Le risque est alors grand que l'exécutif saisissent cette baisse de recettes comme prétexte pour couper de façon encore plus draconienne dans les dépenses publiques. Dans ce cas, les ménages auraient perdu sur tous les fronts !
Quant à la lumineuse idée de laisser la grande distribution vendre du carburant à perte, elle constitue à l'évidence une action désespérée du politique pour tenter de calmer un peuple en ébullition. En effet, comment croire un instant que la vente à perte - pourtant interdite par une loi de 1963 - puisse conduire à une baisse massive et durable du prix des carburants ? Les déclarations d'Olivier Véran et du député Renaissance Pieyre-Alexandre Anglade sur une baisse de près de 50 centimes par litre relèvent soit de la démagogie soit de l'incantation !
En raisonnant par l'absurde, nous pourrions dire que si cela se vérifiait, alors la grande distribution verrait ses pertes s'accumuler sur les carburants. Or, comme dans un système capitaliste, une entreprise se doit de faire du profit, les enseignes n'auraient d'autre choix que d'augmenter leurs prix en rayon pour compenser, au moment même où le gouvernement leur enjoint à faire un effort sur les prix alimentaires. CQFD ! Lors de leur audition à l’Assemblée nationale, Carrefour, Super U, Intermarché et Leclerc ont d'ailleurs confirmé qu'ils ne s'engageraient pas dans cette voie qui, de surcroît, leur aurait mis les autres distributeurs indépendants de carburants sur le dos...
Bref, la question des prix des carburants, et plus généralement de l'énergie, sera encore d'actualité (hélas) pour un bon moment en France ! La preuve : dans son allocution à la télévision, Emmanuel Macron vient d'annoncer une nouvelle indemnité carburant pour "les Français qui travaillent et qui ont besoin de rouler". Et Élisabeth Borne va recevoir les acteurs du secteur pétrolier avec l'espoir que les raffineurs baisseront leurs marges et que les distributeurs vendront à prix coûtant. Il est vrai que l'espoir fait vivre...
P.S. L'image de ce billet provient du site de la DGCCRF.