Aujourd'hui, nous allons nous intéresser aux emplois créés en 2016 chiffres que le gouvernement a beaucoup mis en avant pour nous assurer que la reprise était là. Mais à l'instar des dépenses publiques, de l'exceptionnel équilibre du budget de la Sécurité sociale et du revenu universel, le diable se cache dans les détails !
Les créations d'emplois en France en 2016
Selon l'INSEE, 2016 fut un grand millésime en matière de création nette de postes (pour agrandir, clique-droit sur l'image et choisissez "afficher l'image") :
[ Source : INSEE ]
Il n'en fallait évidemment pas plus pour les observateurs patentés déclarent que la reprise était là et que le chômage allait baisser de façon durable. Sauf que...
Peu d'emplois industriels mais surtout des emplois peu sophistiqués
Les 187 200 créations nettes d'emplois répertoriées par l'INSEE se répartissent sectoriellement ainsi :
[ Source : INSEE ]
L'industrie et la construction continuent donc à détruire plus d'emplois qu'elles n'en créent, ce qui est une très mauvaise nouvelle pour les salaires et la productivité, puisque c'est dans le secteur industriel que l'on trouve traditionnellement les gisements de gains de productivité et partant de hausse de rémunération. Pire, l'emploi dans le secteur tertiaire est largement une conséquence de la hausse de l'emploi intérimaire, qui est loin de constituer la panacée pour les travailleurs (euphémisme).
Enfin, si l'on appelle services domestiques peu sophistiqués l'ensemble constitué de la distribution, des services à la personne, des hôtels-restaurants et des transports (n'y voyez aucune connotation péjorative), alors l'évolution suivante est inquiétante à plus d'un titre :
[ Source : Natixis ]
En effet, cela signifie que la France crée pour l'essentiel des emplois peu productifs, où la précarité le dispute souvent à la stagnation des carrières.
Des emplois flexibilisés à l'extrême
Il faut bien comprendre que ce n'est pas le surplus de demande engendré par l'alignement temporaire des planètes (dépréciation de l’Euro, niveau très bas des taux d’intérêt et baisse importante des prix du pétrole) qui a conduit à des créations d'emplois, puisque la production ne s'est pas vraiment relevée et que ce sont hélas les importations qui ont répondu à la demande. De plus, l'explication qui fait du redressement des marges bénéficiaires des entreprises à la faveur du CICE la cause principale de création d'emplois en 2016 est à rejeter, car si les marges ont augmenté dans l'industrie cette dernière continue néanmoins à détruire des emplois comme nous l'avons vu plus haut.
Je crains plutôt que ce ne soit la flexibilisation à outrance du travail qui explique ces créations nettes. Plusieurs éléments nous permettent de tirer cette conclusion. Tout d'abord, nous avons vu que l'essentiel des emplois créés proviennent de l'intérim. De plus, ils sont très (trop ?) souvent peu sophistiqués. Enfin, ils prennent la forme de contrats très courts, puisque selon la DARES, 86 % des nouveaux contrats de travail signés en 2016 sont en CDD. Quant à la durée moyenne des missions d'intérim, elle signe depuis longtemps le retour aux manouvriers du XIXe siècle :
[ Source : DARES ]
L'ubérisation du travail n'est donc que l'ultime avatar d'une flexibilisation à outrance du travail que l'on subit depuis plusieurs années déjà. Or, je crains fort que l'économie numérique n'aggrave la bipolarisation du marché de l'emploi, avec d'un côté une faible proportion d'emplois très qualifiés et de l'autre une immense majorité d'emplois peu ou pas qualifiés (services à la personne, distribution, etc.). Les inégalités de revenus n'en seront qu'encore plus exacerbées, tout comme les conflits sociaux qui en résulteront !
Et pourtant, Emmanuel Macron se persuade (et cherche à persuader les autres) qu'un tel modèle constitue un avenir radieux et que la start-up, qu'on me permette de dire jeune pousse, est le seul lieu où le progrès technique trouve sa source ce qui permet également l'épanouissement pour un jeune dont le rêve ne peut être autre chose que de devenir milliardaire... C'est oublier d'une part un peu vite les conditions déplorables de travail qui règnent assez souvent dans les start-up et la réalité de l'innovation plus incrémentale que disruptive !
En définitive, les admirateurs du dieu Schumpeter (innovation, quand tu nous tiens...) devront constater que l'évolution actuelle - déformation de la structure des emplois vers des emplois moins productifs et donc baisse de la productivité globale - ne laisse pas présager des jours meilleurs pour les salariés. Et si tout simplement, les travailleurs n'étaient déjà plus la priorité des politiques, tout obnubilés qu'ils sont par la compétitivité, la croissance et autres indicateurs qui négligent l'Homme ?