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23 avril 2019 2 23 /04 /avril /2019 13:50

 

 

Après avoir évoqué les souffrances endurées par les plus de 50 ans au chômage, le recours massif aux contrats très courts, le partage des revenus qui se fait au détriment des salariés de la zone euro et la pauvreté en France, je vous propose aujourd'hui de nous intéresser au très mal nommé marché du travail européen. En effet, outre que la notion même de marché du travail est contestée par de nombreux économistes à la suite de Keynes, nous allons montrer que c'est l'hétérogénéité qui domine en la matière au sein de la zone euro et que celle-ci charrie des catastrophes humaines et sociales.

 

La critique radicale du marché du travail selon Keynes

 

Lorsqu'il écrit sa Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (publiée en 1936), Keynes veut en découdre avec la domination toute puissante de l'économie néoclassique qui, à l'image de notre époque, a pourtant prouvé son incapacité à rendre compte de la crise.

 

Dès lors, Keynes montre que le fonctionnement du marché du travail, tel que le voient les néoclassiques, est une analyse "supposée simple et évidente qui a été fondée, pratiquement sans discussions, sur deux postulats fondamentaux". Il lui porte ensuite l'estocade en déclarant  : "il se peut que la théorie classique décrive la manière dont nous aimerions que notre économie se comportât. Mais supposer qu'elle se comporte réellement ainsi, c'est supposer que toutes les difficultés sont résolues" !

 

Keynes réfute l'idée même qu'il existerait un marché du travail comme le présentent les néoclassiques, c'est-à-dire avec une demande de travail des entreprises qui augmente lorsque le salaire réel diminue (fonction décroissante), et une offre de travail des salariés qui augmente lorsque le salaire réel augmente (fonction croissante).

 

Pour lui, même s'il admet qu'à l'équilibre le salaire est égal au produit marginal du travail, la demande de travail ne résulte pas d'un mécanisme aussi simple que celui décrit par les néoclassiques, en particulier parce que les salariés et les patrons ne sont pas des agents économiques libres et égaux. Cela revient en fait à dire que Keynes avait bien perçu, contrairement à François Rebsamen, que sur le marché du travail les salariés étaient loin d'être en position de force dans les négociations (voir ce billet que j'avais écrit sur le partage des revenus), et qu'il fallait tenir compte de ce système hiérarchisé pour analyser le marché du travail.

 

Du côté de l'offre de travail, Keynes récuse l'idée qu'elle augmenterait avec le salaire réel. Sa principale explication tient au fait que salariés et patrons s'engagent sur la base du salaire nominal, car l'inflation n'est pas connue au moment de la signature (la notion d'inflation est-elle seulement comprise par la majorité des salariés et des patrons ?). Par ailleurs, il confronte la théorie néoclassique à ses propres contradictions, puisque si cette théorie était valide, les salariés devraient réduire leur offre de travail lorsque les prix à la consommation (= inflation) augmentent, leur salaire réel (=salaire nominal - inflation) diminuant. Or ce n'est pas le cas...

 

La divergence des coûts salariaux unitaires dans la zone euro

 

Le graphique ci-dessous nous montre comment a évolué le coût salarial unitaire (c'est-à-dire le coût salarial par unité de valeur ajoutée produite) en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, depuis l'entrée dans l'euro en 1999 :

 

 

[ Source : Natixis ]

 

Il est bon de rappeler qu'un salarié est également un consommateur (et aussi un citoyen même si les gouvernements semblent l'oublier...), et que si les salaires sont maintenus bas pour gagner en compétitivité-coût, il ne faudra pas espérer tirer la croissance par le traditionnel moteur de la consommation. Pire, les contestations sociales vont devenir de plus en plus nombreuses et importantes, comme en témoigne le mouvement des gilets jaunes. En outre, il est impossible de rester longtemps compétitifs face aux salaires pratiqués par les pays de l'Est, ce d'autant plus que les gains de productivité s'affaiblissent dans les pays du cœur évoqués ci-dessus :

 

 

[ Source : Le Monde ]

 

 

La dévaluation interne pour compenser la perte de compétitivité-coût

 

Certains pays, à l'instar de l'Allemagne au début des années 2000 et de l'Espagne en 2009, se lancent alors dans des politiques de dévaluation interne - également appelée ajustement nominal -, qui consistent en une baisse de coûts salariaux et des prix dans le but d'améliorer la compétitivité d'un pays. Bref, il s'agit d'imiter les effets d'une dévaluation monétaire dans une zone où la monnaie est unique.

 

Selon la théorie, comme les prix et les salaires baissent parallèlement, les salaires réels ne varient pas et la compétitivité s'améliore à l'export. Mais, ce remède de cheval, contrairement aux attentes, conduit le plus souvent (au moins à court terme) à l'effondrement de la demande des ménages en raison de la baisse des salaires réels. Cela débouche alors sur une compression de l'activité à court terme et donc sur une hausse du chômage.

 

En définitive, parler dans ces conditions de marché du travail européen est un vœu pieux, qui sert surtout une vulgate néolibérale tendant à accréditer l'idée qu'au fond tout finit par s'arranger lorsque le marché est libre. L'union des marchés du travail nationaux, avec une indemnisation du chômage des pays en difficulté assurée partiellement par ceux au plein-emploi, un niveau du salaire minimum fixé par rapport au salaire médian et autres idées pas forcément mauvaises, bute hélas sur une tendance au repli national dans presque tous les pays. Qu'il suffise pour s'en convaincre d'entendre les thèmes abordés dans la campagne électorale pour les Européennes...

 

P.S. : l'image de ce billet provient de cet article de la Croix.

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