Il y a peu, j'ai pu évoquer l'inflation, le pouvoir d'achat et le budget de l'État (le tout sur fond de grogne sociale dans le pays) lors d’une interview sur Moselle TV. Elle faisait suite à mes billets sur le budget 2023 et le pouvoir d'achat. Poursuivons dans cette lignée en nous intéressant aujourd'hui à la croissance, d'autant que contrairement aux belles paroles entendues ci et là, la zone euro est déjà en récession...
Croissance actuelle en berne
Certes, il y a eu un taux de croissance phénoménal après la fin des confinements liés à la covid-19, mais à peu près tout le monde a compris qu'il ne s'agissait là que d'un artefact statistique. La tendance de la croissance était déjà bien sombre avant 2019 et l'est redevenue depuis mi-2021 :
[ Source : Eurostat ]
Faut-il rappeler qu'entre temps l'économie a connu un fort choc d'offre négatif avec la hausse faramineuse des coûts énergétiques ? Quant aux ménages, ils subissent désormais des hausses de prix sur l'ensemble des produits du panier de la ménagère, dont l'alimentation, ce qui grève leur pouvoir d'achat et soulève d'inquiétantes questions sur la qualité des produits achetés et la valeur nutritionnelle des produits alimentaires. Et ce double constat n'est pas propre à la France, où le taux d'inflation est pourtant plus bas que dans d'autres pays en raison de l'aide (très chère) apportée par l'État. Au contraire, c'est désormais le lot quotidien de toutes les entreprises et de tous les ménages de la zone euro !
Prévisions de croissance du FMI
Le FMI est devenu très pessimiste sur la croissance à venir, comme en témoignent ses dernières prévisions :
[ Source : FMI ]
En ce qui concerne l'Europe, dans sa publication Perspectives économiques régionales, le FMI résume ainsi son analyse : "La guerre que la Russie mène à l’Ukraine pèse de plus en plus lourdement sur les économies européennes. L’aggravation de la crise énergétique grève le pouvoir d’achat des ménages et augmente les coûts des entreprises, et ces effets n’ont été que partiellement compensés par les nouvelles aides publiques. Les banques centrales sont intervenues plus vigoureusement afin de ramener l’inflation élevée et persistante aux niveaux cibles, et les conditions financières se sont durcies. Dans le reste du monde, la croissance a fléchi en Chine et aux États-Unis et l’inflation, qui a atteint un sommet jamais connu depuis plusieurs décennies, a entraîné un resserrement généralisé de la politique monétaire à l’échelle mondiale."
Que dire de plus, sinon que les citoyens des États européens vont payer un lourd tribut, autant en raison de la dégradation de l'environnement socioéconomique que des politiques mises en œuvre pour tenter d'y remédier...
Croissance potentielle négative
La croissance potentielle peut être définie comme la croissance réalisant le niveau maximal de production sans accélération de l'inflation, compte tenu des capacités de production et de la main-d’œuvre disponibles. En partant de l'identité suivante Y = P.N où Y désigne le PIB, P la productivité par tête et N l'emploi, on en déduit que la croissance potentielle est liée aux gains de productivité par tête et à la croissance de la population active.
Or, voici d'une part l'évolution tendancielle de la productivité par tête dans plusieurs pays européens :
[ Source : France Stratégie - Document de travail - C. Bruneau
et P.-L. Girard ]
Et d'autre part l'évolution de la population âgée de 20 à 64 ans dans la zone euro :
[ Source : Natixis ]
L'on en déduit que la croissance potentielle au sein de la zone euro est négative. La récession tant redoutée est en fait déjà là et même souhaitée par les Banques centrales, qui en font un prérequis pour réduire le taux d'inflation ! Cela peut aussi se lire comme le résultat de politiques qui ont laissé, depuis trois décennies, l'industrie partir sous d'autres cieux et le niveau de connaissances/compétences des citoyens s'abaisser à un point extrêmement inquiétant.
Comme, bien entendu, aucun dirigeant politique n'est jamais prêt à changer de modèle économique (le courage n'est pas la vertu la mieux partagée en politique), tout l'enjeu va être de vivre dans un monde économique entièrement fondé sur la seule croissance, alors même que celle-ci aura disparu. Les perspectives ne sont assurément guère réjouissantes...
P.S. L'image de ce billet provient de cet article de Capital.