Après quatre semaines de tittytainment footballistique, voici venu le temps de l'indispensable réveil pour éviter la gueule de bois économique. En effet, à force de parler de ballon rond, certains ont fini par oublier que l'économie européenne s'enfonce dans une nouvelle crise de grande ampleur...
À suivre les médias grand public, on finirait par croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. On y parle de prouesses des millionnaires du football, de supporters en liesse, de dépassement de soi au cyclisme, de réussite extraordinaire au baccalauréat, de reprise économique en France, bref de la joie de vivre, mais on oublie sciemment tous les nuages noirs qui forment déjà un front dense et menaçant à l'horizon.
Retour sur le Brexit
Commençons par le Brexit qui, faut-il encore le rappeler, est un événement majeur de l'histoire politique européenne. La voix du peuple a parlé au Royaume-Uni et elle s'est prononcée pour la sortie de l'Union européenne, comme je l'avais analysé dans ce billet. Il appartiendra donc au successeur de David Cameron d'entamer la procédure de sortie de l'UE, conformément à l'article 50 TUE.
Le plus difficile, et le plus chronophage, sera à n'en pas douter de détricoter les lois du droit communautaire déjà intégrées au corpus législatif du Royaume-Uni pour reprendre la main sur tous les aspects de la vie politique et économique. Pendant ce temps, ce sera la grande inconnue sur le rôle que jouera le Royaume-Uni au sein des institutions européennes et sur l'obligation ou non de continuer à respecter la totalité des textes européens...
Les premières conséquences de la hausse de l'incertitude liée au Brexit se sont manifestées sur les marchés financiers, avec un dévissage en règle des principales places financières dans le monde et une hausse de la volatilité. À cela s'ajoute une chute de la livre sterling, qui ne manquera pas d'avoir des conséquences sur les bilans des banques exposées aux produits dérivés sur la livre...
L'arrogance des élites
Bien entendu, si le référendum au Royaume-Uni avait donné le remain gagnant, on aurait entendu les élites politiques et économiques expliquer que les citoyens ont compris les enjeux de ce vote et ont fait preuve de discernement. Or, avec la victoire du Brexit, c'est au contraire à un déferlement de propos arrogants et abjects que nous avons assisté. Petit pot-pourri :
* Alain Minc dans le Figaro (extraits et commentaires dans Marianne) : "Ce référendum n'est pas la victoire des peuples sur les élites, mais des gens peu formés sur les gens éduqués. On ne peut pas tout le temps nous expliquer que les études supérieures sont la chose la plus importante dans la vie et dénoncer en permanence les diplômés. Si les élites diplômées représentaient 48 % du peuple anglais, cela ferait un pays très démocratique !"
* BHL dans le Monde : "Ce « Brexit », c’est la victoire, non du peuple, mais du populisme. Non de la démocratie, mais de la démagogie. C’est la victoire de la droite dure sur la droite modérée, et de la gauche radicale sur la gauche libérale. C’est la victoire, dans les deux camps, de la xénophobie, de la haine longtemps recuite de l’immigré et de l’obsession de l’ennemi intérieur. [...] L’Europe était, certes, indigne d’elle-même. [...] Mais ce qui vient en lieu et place de ce jardin des Finzi-Contini, c’est une zone pavillonnaire mondialisée où, parce qu’il n’y aura plus que des nains de jardin, l’on oubliera qu’il y eut Michel-Ange".
* Jacques Attali sur son site web : " Un tel référendum implique qu'un peuple peut remettre en cause toute évolution considérée jusque-là comme irréversible, telle qu'une réforme institutionnelle, une conquête sociale, une réforme des mœurs. (…) Selon notre conception occidentale du Droit, il existe des progrès irréversibles, (par exemple, la démocratie, la liberté du culte, l'interdiction du travail des enfants, l'abolition de la peine de mort) qu'un vote simple ne peut défaire (...) Toute décision ayant un impact lourd sur le sort des générations suivantes, écrit-il encore, ne devrait pas pouvoir être prise par une majorité de moins de 60% des votants, réaffirmée à trois reprises à au moins un an d'écart".
Ces propos antidémocratiques donnent la nausée, au point que Chantal Delsol a décidé de publier une tribune dans le Figaro afin d'analyser ces réactions qui, selon elles, témoignent de "la plus grande crise de la démocratie jamais connue depuis ses origines modernes". Et si tout simplement après la crise grecque de l'année dernière, le Brexit avait permis de faire une fois pour toute tomber les masques quant au prétend fonctionnement démocratique des institutions européennes ?
Les banques en crise
Les valeurs bancaires furent sévèrement touchées par l’onde de choc du Brexit et pas seulement au Royaume-Uni, ce qui a poussé les investisseurs à se réfugier sur les titres de dette allemands, le franc suisse et bien entendu l’or. D'où de nouvelles aberrations sur les taux d'intérêt : le rendement de l'emprunt d'État suisse à 50 ans est passé en territoire négatif tout comme celui de l'Allemagne à 10 ans ! Sur ces entrefaites, les taux à 10 ans sur la dette grecque ou portugaise ont quant à eux augmenté... Bref, c'est tout le système de croyances des banques qui est en train de prendre l'eau :
Prises en étau entre les nouvelles obligations prudentielles et des taux de marge d'intérêt ridiculement bas, les banques voient leur rentabilité s'effondrer. Certaines ont alors cherché à prendre plus de risques pour se refaire une santé financière, à l'image de la Deutsche Bank, engluée aujourd'hui dans d'innombrables scandales et problèmes, qui ne seraient au fond que ceux de l'Allemagne si la banque ne venait d'être classée par le FMI comme l'une des plus dangereuses pour le système financier (on parle donc de risque systémique). Imaginez une faillite d'un tel géant, contrepartie dans tant d'opérations financières ? Les mânes de Lehman Brothers ne sont pas loin...
Et le développement de la finance de l'ombre (shadow banking) est loin d'être une bonne nouvelle comme on peut l'entendre çà et là, puisque les entreprises de ce secteur échappent en partie à toute régulation :
Et la Banque centrale européenne ne pourra pas indéfiniment injecter des liquidités dans le système, car l'effondrement de la marge d'intérêt des banques, la hausse de la volatilité sur certaines classes d'actifs et la formation d'une bulle obligataire résultent pour l'essentiel de cette politique monétaire ultra-expansionniste de la BCE.
Les banques italiennes en difficulté
L'été sera chaud... pour les banques italiennes dont certaines sont à l'agonie ! Un graphique suffira pour comprendre le problème :
[ Source : Bruegel ]
La part des créances douteuses et litigieuses (appelées prêts non performants) dans les bilans bancaires atteint désormais 18 % en Italie, 12 % au Portugal et 34 % en Grèce. Pour fixer les idées, au-delà de 1 à 2 % les petits problèmes des banques deviennent de gros problèmes pour tout le système bancaire du pays (360 milliards d'euros pour l'Italie tout de même...). Vous aurez donc compris, comme je l'ai déjà expliqué sur mon blog, que l'Italie fait face à une grave crise bancaire que les quelques bonnes nouvelles liées à la baisse des prix du pétrole n'arrivent plus à cacher...
Le plus grave est que l'augmentation des prêts non performants en Italie ne résulte pas de bulles immobilières comme en Espagne, mais bien de la stagnation économique qui empêche les PME italiennes destinataires de ses prêts de les rembourser rubis sur l'ongle. Or, selon les nouvelles règles de l'Union bancaire européenne entrée en vigueur le 1er janvier 2016, et à laquelle j'avais consacré un long billet, les règles de renflouement sont désormais les suivantes (accrochez-vous, les termes officiels sont un peu techniques) : le Fonds de résolution ne pourra pas être utilisé avant que 8 % du passif de la banque ait fait l’objet d’un bail-in. Par ailleurs, l’intervention du Fonds ne pourra être supérieure à 5 % du passif de la banque.
En termes clairs, cela signifie simplement que lorsqu'une banque sera en faillite, les premiers à mettre au pot seront les actionnaires et les prêteurs (d'où le nom de bail-in), qui devront couvrir au minimum 8 % des pertes de la banque. Si cela ne suffit pas, il sera possible de faire appel à des fonds nationaux de résolution, abondés par le secteur bancaire. Enfin, les ménages et les PME seront partiellement protégés puisqu'il a été confirmé que leurs dépôts seront garantis à hauteur de 100 000 euros.
Et si je vous disais que des retraités italiens, pas forcément très riches du reste, ont placé leur argent dans des titres de dette de leur banque ? Vous comprenez alors tout de suite pourquoi Matteo Renzi veut à tout prix éviter un bail-in qui ruinerait les petits épargnants et conduirait dans le climat actuel à une explosion sociale ! Mais faire passer l'idée d'un renflouement des banques en faillite par l'État italien à rebours des nouvelles règles européennes, va déclencher à n'en pas douter l'ire du chef de locomotive allemand. Et si le gouvernement italien passe en force, alors c'est vers une nouvelle crise de la zone euro que l'on se dirigera, qui sera autrement plus grave que celle en Grèce... Au reste, même les néolibéraux commencent désormais à penser que l'UE vit son crépuscule !
En définitive, pendant que le peuple avait les yeux tournés vers ses ludi circenses et s'est interdit de réfléchir, les nuages à l'horizon économique se sont accumulés pour donner un front menaçant. Hélas, certains ne découvriront cette nouvelle crise que lorsque l'été sera passé. Et aux mauvaises langues qui diront que je joue les Cassandre, je répondrai simplement que je fais preuve de réalisme... même en été !