J'ai commencé l'année 2022 par un article sur la hausse des prix et le calme social, sujet qui n'avait pas encore pris l'ampleur que nous lui connaissons maintenant. J'y ai expliqué que les prochains budgets de l'État seraient mis à contribution pour éviter l'explosion sociale liée à la hausse des prix. De ce point de vue, le projet de loi de finances 2023 en est l'archétype et risque, ce faisant, de faire oublier le retard et les incohérences sur d'autres objectifs comme la transition écologique. C'est dire combien, dans ce contexte, il devient indispensable de prendre du recul pour avoir une vision d'ensemble du système économique et social du pays, sous peine de mener uniquement des politiques de court terme sans réelles perspectives.
Mais revenons un instant encore sur l'année 2022, riche en événements économiques et sociaux, d'où mes nombreuses analyses dont vous trouverez les liens dans le tableau ci-dessous. Pour finir ce billet, je vous proposerai comme chaque année quelques éléments de réflexion pour l'année à venir...
Retour sur l'année 2022
Commençons donc par un petit retour en arrière sur mes billets de l'année 2022. Tous les liens sont actifs, il vous suffira donc de cliquer sur le billet de votre choix pour le lire ou le relire, c'est selon !
Et en 2023 ?
Disons-le d'emblée, je ne dispose pas d'une boule de cristal et ne souhaite pas être engagé comme mage prévisionniste de l'économie. Tout au plus est-il possible de faire quelques constats sur les tendances en 2023, par exemple en matière de production et de commerce. Le monde reste, en effet, suspendu aux chiffres de la croissance sans s'interroger sur ce qu'ils recouvrent. Trop nombreux sont d'ailleurs ceux qui se persuadent que le PIB est un gâteau à se partager. Et le moins que l'on puisse dire est qu'ils seront déçus en 2023 :
[ Source : FMI ]
Quant à la croissance verte, Hélène Tordjman a montré avec brio l'illusion d'un tel système économique fondé sur l’accumulation du capital et la sauvegarde de la nature. Pourtant, le concept continue à faire florès...
Ainsi, c'est toute l'économie mondiale qui pourrait plonger en récession cependant que l'inflation resterait forte. D'un mot, nous allons vers la stagflation, caractérisée par la stagnation de l’activité économique (donc faible croissance et chômage élevé) et une hausse généralisée des prix ! Paniquées par cette perspective, les Banques centrales ont visiblement fait le choix de privilégier la lutte contre l'inflation au détriment de l'emploi et des salaires. Aux États-Unis, la Fed n'hésite plus à l'affirmer ouvertement, comme si la vie des gens valait au fond peu de chose dans le monde actuel... Le risque est évidemment d'étouffer la croissance et de précipiter l'économie en récession des deux côtés de l'Atlantique, alors même que l'économie mondiale se remet à peine de la crise liée à la covid-19 (est-elle du reste finie ?). Quid alors de la dette des agents privés (ménages et entreprises) et publics ?
Quant au taux de chômage, c'est souvent le chiffre qui cache la forêt. En effet, en commentant ad nauseam un seul et unique chiffre, l'on passe à côté d'évolutions inquiétantes, qui constituent (trop) souvent l'envers du décor d'un taux de chômage bas : la hausse des contrats précaires de travail, la segmentation du travail en temps et en lieu, la perte de sens... Ainsi, commenter l'évolution du taux de chômage sans dire un mot sur le taux d'activité, les personnes au chômage depuis plus d'un an et la qualité des emplois, revient à commenter des chiffres dans le vide.
Notons d'ailleurs que dans sa Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (publiée en 1936), Keynes a montré que le fonctionnement du marché du travail, tel que le voient les néoclassiques, est une analyse "supposée simple et évidente qui a été fondée, pratiquement sans discussions, sur deux postulats fondamentaux". Il lui porte ensuite l'estocade en déclarant : "il se peut que la théorie classique décrive la manière dont nous aimerions que notre économie se comportât. Mais supposer qu'elle se comporte réellement ainsi, c'est supposer que toutes les difficultés sont résolues" ! Keynes réfute l'idée même qu'il existerait un marché du travail comme le présentent les néoclassiques, c'est-à-dire avec une demande de travail des entreprises qui augmente lorsque le salaire réel diminue (fonction décroissante), et une offre de travail des salariés qui augmente lorsque le salaire réel augmente (fonction croissante).
Pour lui, même s'il admet qu'à l'équilibre le salaire est égal au produit marginal du travail, la demande de travail ne résulte pas d'un mécanisme aussi simple que celui décrit par les néoclassiques, en particulier parce que les salariés et les patrons ne sont pas des agents économiques libres et égaux. Cela revient en fait à dire que Keynes avait bien perçu la réalité du rapport de force entre salariés et patrons dans les négociations (voir ce billet que j'avais écrit sur le partage des revenus), et qu'il fallait tenir compte de ce système hiérarchisé pour analyser le marché du travail. Du côté de l'offre de travail, Keynes récuse l'idée qu'elle augmenterait avec le salaire réel. Sa principale explication tient au fait que salariés et patrons s'engagent sur la base du salaire nominal, car l'inflation n'est pas connue au moment de la signature. Par ailleurs, il confronte la théorie néoclassique à ses propres contradictions, puisque si cette théorie était valide, les salariés devraient réduire leur offre de travail lorsque les prix à la consommation (= inflation) augmentent, leur salaire réel (=salaire nominal - inflation) diminuant.
Or ce n'est pas le cas... Ce qui n'empêche pas le gouvernement de se fonder sur le fonctionnement néoclassique du marché du travail pour mener une réforme des allocations chômage, qui aboutit à un système d'indemnisation variable, lié au taux de chômage. Plus précisément, à compter de 1er février, si le taux de chômage est inférieur à 9 % (ou baisse sur 3 trimestres consécutifs), la durée d'indemnisation des chômeurs sera réduite de 25 %, avec un minimum de 6 mois. En revanche, si le taux de chômage est supérieur à 9 % (ou hausse de 0,8 point sur un trimestre), la durée d’indemnisation sera rétablie. Or, comme l'explique Olivier Bouba-Olga, il est loin d'être établi qu'une telle mesure permettra de réduire le chômage en incitant les chômeurs à reprendre un emploi. Et que dire de la réforme des retraites, dont il est raisonnablement permis de s'interroger sur le caractère indispensable ?
Dans ce contexte dégradé, où les idéologies dominent sans dire leur nom, l'on peut craindre une montée de la grogne sociale. Ce d'autant plus que le débat démocratique fondé sur l'échange verbal - parfois musclé - et le débat animé est de plus en plus souvent perçu comme une agression insupportable ("cessez de m'agresser verbalement" est devenu l'arme des minus habens pour réduire leur adversaire à quia) dans notre société postmoderne. Place au consensus mou sur des lois politico-économiques réputées universelles, sous peine de passer pour un extrémiste. L'on retrouve ici une logique néolibérale proche de celle décrite par Walter Lippmann, suivant laquelle le monde (en particulier économique) devrait être gouverné par des experts, seuls capables de comprendre les règles économiques universelles immuables. Ces dernières rendent d'ailleurs de facto inutiles la confrontation de projets de sociétés différents, et subséquemment les débats contradictoires dans le cadre de l'agon, bien qu'ils soient depuis plus de deux millénaires l'essence même de la démocratie. Le lecteur intéressé par ces questions pourra utilement se reporter à une longue analyse que j'avais faite en 2020.
Enfin, comme chaque année, je rappelle aussi que nous ne sommes jamais à l'abri d'un cygne noir, tant les fragilités sont nombreuses... La crise sanitaire en fut un exemple probant en 2020 !
Sur ce, je tiens à vous remercier chers lecteurs pour votre fidélité et vous prie de recevoir mes meilleurs vœux (l’indispensable santé en premier) pour cette année 2023 ! Merci pour vos commentaires, partages, liens et encouragements, qui me touchent et m'incitent à continuer mes analyses sur ce blog malgré le temps qui me fait toujours plus cruellement défaut depuis que je mène mes recherches sur la monnaie.