Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par Raphaël DIDIER

À chaque jour une nouvelle incartade de Donald Trump. Cette fois, le président des États-Unis est décidé à faire arrêter la production de la pièce d'un centime de dollar - le célèbre penny - afin de réduire les dépenses publiques. En effet, le coût de production de cette pièce est bien plus élevé que sa valeur, ce qui est également vrai des pièces d'un et deux centimes d'euros. Mais est-ce un argument suffisant pour en arrêter la fabrication ? La monnaie n'est-elle pas plus qu'un simple moyen de paiement ? Éléments de réponse dans cet article, qui se focalisera sur le cas européen.

Production de pièces dans la zone euro

L'encours de pièces en circulation (en volume) nous est donné par la BCE :

[ Source : https://www.ecb.europa.eu/stats/policy_and_exchange_rates/banknotes+coins/circulation/html/index.en.html ]

L'on constate donc que les pièces de 1, 2 et 5 centimes représentent à la louche les 2/3 de l'encours en volume, ce que confirme la Monnaie de Paris chargée de leur production.

Bien que le coût de fabrication des pièces courantes en euro ne soit pas public, le gouvernement confirmait en 2018 que la production des pièces en cuivre avec cœur d'acier coûte plus cher que leur valeur faciale. La seule donnée publique que j'ai pu trouver est un ancien tableau publié par le Sénat en 2005 :

[ Source : Sénat ]

Dans une étude de 2013, la Commission européenne avait chiffré que la fabrication des pièces d'un et deux centimes avait coûté, entre 2002 et 2013, 1,4 milliard d'euros. Est-ce à dire qu'il faut arrêter la production de ces pièces au nom d'un rapport coût/valeur négatif ? Rien n'est moins sûr...

Peut-on payer librement en pièces ?

C'est à mon sens la seule vraie question. La loi est très claire à ce sujet : il est possible de payer en espèces jusqu’à 1 000 euros à des professionnels, même s'il existe tout un tas d'exceptions concernant le Trésor public, le paiement des salaires, le paiement d'un notaire, etc. Notons, cependant, que ces seuils ne sont pas applicables aux personnes ne disposant d’aucun autre moyen de paiement ou d'aucun compte bancaire. 

Le paiement en espèces peut donc être refusé lorsque les pièces sont, par exemple, en mauvais état ou en nombre trop important (plus de 50 pièces pour un seul paiement, sauf Trésor public). Des raisons techniques ou de sécurité peuvent également être opposées au client qui souhaiterait régler en petites pièces. En même temps, combien d'horodateurs acceptent-ils encore les pièces d'un centime d'euro ? 

Des sociétés ont compris l'intérêt de vous débarrasser de vos petites pièces, à l'instar de Coinstar, qui permet d'obtenir en contrepartie d'une commission un bon d'achat valable dans le magasin où est installée la borne. En désespoir de cause, il reste le dépôt de vos pièces à la banque, mais il faut savoir que les agences bancaires peuvent devenir très agaçantes sur la forme (tri préalable, présentation en rouleaux, etc.).

Suppression à l'étude

À plusieurs reprises, la Commission européenne s'est penchée sur le rapport coût/utilité des pièces d'un et deux centimes. Et, en 2020, elle a lancé une consultation pour obtenir l'avis des citoyens européens, qui pour plus des deux tiers se sont prononcés pour la suppression arguant de leur inutilité. Mais, depuis, la Commission européenne n'a cessé de reporter sine die sa décision, considérant certainement (avec raison !) qu'il y avait des sujets bien plus importants.

Pourtant, certains États ont déjà franchi un pas dans cette direction, à l'instar de la Belgique qui, sans supprimer la circulation des pièces (pouvoir qu'elle n'a pas), a opté pour l'arrondi aux 5 centimes supérieurs pour les paiements en espèces. Autrement dit, en Belgique, payer en liquide à la caisse peut vous coûter plus cher que payer en carte en raison de l'arrondi. C'est d'ailleurs la solution qu'Elon Musk semble privilégier aux États-Unis avec son comparse Trump.

Quel que soit le pays, après l'épisode inflationniste post-covid 19, il n'est pas certain que ce soit le bon moment pour appliquer un tel arrondi sur les prix. De plus, quid des petits dons effectués avec ces pièces dans le cadre des petites tirelires (opération Pièces Jaunes, mais pas seulement...) chez les commerçants ? Quid des petites pièces que les gamins mettent dans leur tirelire personnelle, selon le vieil adage "les petits ruisseaux font les grandes rivières" ? Et, quid des réactions complotistes à la suppression de pièces, à un moment où beaucoup de personnes s'inquiètent - souvent exagérément - de l'émergence d'un euro numérique ? Enfin, faut-il rappeler que le coût de production n'a au fond que peu d'importance, dans la mesure où ce qui compte vraiment est l'utilisation qui est faite de ces pièces.

La monnaie, par-delà les fonctions économiques

Tout cela nous rappelle qu'une monnaie ne peut pas simplement se réduire aux trois fonctions canoniques déjà mises en exergue par Aristote : unité de compte, intermédiaire des échanges et réserve de valeur. Comme je l'explique plus en détail dans mon livre Les grands mécanismes de l'économie en clair (3e édition), au-delà de ces fonctions économiques, la monnaie se caractérise, avant tout, par des fonctions sociales et politiques. 

Ainsi, la monnaie est le ciment qui a permis d’unifier les royaumes puis les États, ce qui explique pourquoi battre monnaie est très vite devenu un pouvoir régalien lié à la souveraineté. À bien y regarder, à toute époque, la monnaie a mobilisé plusieurs dimensions de la société : politique, sociale, morale, parfois religieuse… C’est ce qui en fait un "fait social total", pour reprendre l’expression du père de l’anthropologie française, Marcel Mauss (1872-1950). La vraie valeur d'une monnaie dépend donc en premier lieu de la confiance que la communauté des utilisateurs aura en elle. Et c'est peu dire qu'actuellement, les dirigeants de gouvernement mènent des politiques aux conséquences très négatives sur la monnaie et la confiance...

P.S. La photo de cet article provient de cette page du site de la BCE, qui présente les faces (avers) des pièces d'un centime d'euro.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article